Aujourd’hui, on vous emmène à la rencontre des drag queens à Bordeaux.
Cette newsletter a été envoyée aux inscrit·es le 14 mars 2023.
Aux États-Unis, les conservateurs font tout pour interdire leurs performances, mais chez nous, leurs spectacles font un carton. Les drag queens font parler d’elles et remplissent cabarets et boîtes de nuit partout en France, et particulièrement à Bordeaux.
Le 28 mars, nous vous emmènerons à la découverte de cette scène drag bordelaise dans le documentaire « Sous les paillettes », co-produit par Revue Far Ouest, diffusé en avant-première à l’Utopia.
Mais en attendant, dans cette newsletter, vous allez comprendre ce qu’est vraiment le drag, d’où vient cet art, et comment le drag se professionnalise à Bordeaux.
Le coup de loupe
C’est quoi, le drag ?
Le terme de « drag queen » regroupe des personnes, hommes, femmes ou non-binaires, qui adoptent les codes de la féminité en les poussant à l’extrême. Mais il existe d’autres formes de drag : le drag king, qui lui joue avec les codes de la masculinité. Enfin, le drag queer, qui sort des codes binaires féminins/masculins pour créer un personnage singulier. Les drags performent généralement dans des cabarets, des boîtes de nuit, lors de drag shows, de compétitions ou encore de la Pride.
Il y a encore quelques années, le drag était méconnu et souvent confondu avec la transidentité, qui n’a pourtant rien à voir : un·e trans est une personne dont le genre ne correspond pas à celui qui lui a été attribué à la naissance. Le drag, ce sont des personnes qui performent, se griment de façon temporaire, peu importe leur identité de genre ou leur orientation sexuelle.
Loin d’être anecdotique, le drag est un art complet, où se mêlent plusieurs qualités et médiums artistiques : « Ma performance ne pourrait pas exister si je ne savais pas faire du costume », explique Lucas, alias La Maryposa, drag queen à Bordeaux. « Dans le drag, il y a un travail de couture, de perruque, de maquillage, de comédien… »
Ça vient d’où ?
L’origine du terme « drag » est incertaine. Sa première utilisation daterait du XVIIIe siècle, quand des travestis laissaient traîner (« to drag », en anglais) leurs jupes derrière eux. Une autre théorie date du XXe siècle, époque où les femmes n’étaient pas autorisées à jouer au théâtre, et où les hommes incarnaient les rôles féminins. L’acronyme « drag » pour « dressed as girl » était alors notée sur les scripts des acteurs.
Une chose est sûre : le drag est vraiment apparu aux États-Unis avec l’essor de la « Ball culture ». La première personne à se proclamer « queen of drag » est William Dorsey Swann, un esclave noir américain. Militant pour les droits des personnes LGBT, il organise des bals secrets à Washington dans les années 1880, dans lesquels des hommes, anciens esclaves eux aussi, défilent en robes de satin et de soie.
Dans les années 1920, ces bals s’étendent à la communauté LGBTQ+ de New-York, où des drag queens performent afin de remporter des prix. À l’époque, les drag queens sont souvent délaissées, rejetées ou abandonnées par leurs familles, et trouvent refuge dans de véritables maisons. Le terme de « maison » est alors élargi pour parler non seulement du lieu, mais aussi de la communauté de drags qui l’habite. Chaque drag queen adopte un nouveau prénom, et, comme pour une famille, y ajoute celui de sa maison ou de sa « marraine ». En effet, elles sont adoptées par une « mère » drag, souvent plus expérimentée, qui leur apporte un soutien et les forme à l’art drag.
Il y a des drag queens en Nouvelle-Aquitaine ?
Oui ! Particulièrement à Bordeaux, où la scène drag est bien installée : la capitale girondine compte au moins quatre maisons de drag queens. La première, Maison Éclose, est née après la Pride de 2018. Elle a ouvert la voie à trois autres maisons : La Casa ; la FamiLips, dont fait partie Elips, la star locale ayant participé à l’émission Drag Race ; et O’Fantasme, que nous avons suivi pendant plusieurs mois pour le documentaire « Sous les paillettes ». Toujours à Bordeaux, une maison de drag kings, La Cave à Kings, a vu le jour en 2019 et se produit régulièrement au Pourquoi Pas Café.
Les drag shows sont en pleine expansion à Bordeaux et conquièrent un public toujours plus éclectique : en 2022, Ô Fantasme a organisé une cinquantaine d’événements, devant un public allant de 100 à 1 400 personnes.
Au Pays Basque, il n’existe pas (encore) de maisons, mais la drag Safir performe régulièrement dans des bars de Bayonne. Tandis qu’à Poitiers, trois artistes ont créé La Coloc Drag, où elles répètent, se maquillent, et habitent.
Pour aller plus loin
🏠 La première maison de Bordeaux. En 2020, nous sommes partis à la rencontre des drag queens de la Maison Éclose, la première maison drag de Bordeaux. Écoutez Vicky Lips, Andrea Liqueer, La Déch’ et Tiny Beast Prince raconter sa naissance dans ce mini-doc.
🎓 Le drag pour les nuls. Dans cette vidéo du Monde, les drags Minima et Catherine font de la pédagogie, et décryptent les codes et les mots du drag.
🎙️ Des origines au succès populaire. France Inter revient sur l’histoire du drag, de ses origines à son explosion auprès du grand public avec l’émission RuPaul’s Drag Race.
Le sachiez-tu ?
C’est en millions le nombre de téléspacteur·ices qui ont regardé la première saison de Drag Race France. Cette télé-réalité a vu s’affronter dix drag queens venues des quatre coins de la France.
C’est arrivé près de chez nous
Profession : drag queen
Peut-on faire du drag son « vrai » métier ? Poser cette question revient à se demander : « Est-ce qu’artiste est un vrai métier ? ». Lucas, alias La Maryposa, en donne la preuve. Il est drag queen à plein temps à Bordeaux depuis quatre ans. « On est ultra rares en France, et encore plus à Bordeaux, à faire 100% du drag. »
La professionnalisation du drag est au cœur de ce que défend Lucas et l’association Ô Fantasme, maison transdisciplinaire queer. « Je viens du conservatoire, j’ai donc tout de suite considéré le drag comme une profession. Avec ce que cela implique d’engagement technique et de qualité. » Mais quand il se lance dans le drag il y a cinq ans, il ne trouve pas le cadre professionnel qu’il cherche.
Lucas décide alors de fonder Ô Fantasme, pour promouvoir les arts et les artistes queer « dans leur singularité ». Les spectacles sont gérés par des personnes qui ne montent pas sur scène, et les performances Ô Fantasmes sont parmi les tarifs les plus élevés de Bordeaux. « Comme les arts queer sont nouveaux, sans visibilité, c’est une façon de légitimer mon travail et d’affirmer qu’il vaut tout autant que celui d’un artiste dans un théâtre ou pendant un concert. »
À l’avenir, Ô Fantasme veut proposer à ses artistes un véritable accompagnement vers la professionnalisation, avec des conseils pour se lancer, comment travailler avec des boîtes de production… « On voudrait aussi monter des cours, pour proposer une offre pédagogique sur cette forme d’art. »
Artistique et militante
Ô Fantasme est aussi une association engagée. « C’est très important pour nous de s’engager et de participer à des événements caritatifs et bénévoles. » Ils sont par exemple les organisateurs de l’édition bordelaise du Sidragtion, un événement national où les drags font des maraudes pour collecter de l’argent pour le Sidaction. La maison a également participé au concert contre la précarité de Révolution Permanente ou travaille avec le collectif Bienvenue. « Il y a un temps où nous devons être payé·es pour que notre travail soit reconnu à sa juste valeur ; et un temps pour se rappeler que les luttes sont importantes, et qu’y participer l’est tout autant. »
Ô Fantasme est aussi proche de l’association bordelaise LGBTQIA+ Le Girofard, pour réussir à développer des moyens pour des luttes queer. « Notre ligne de conduite est presque militante, et artistiquement, nous allons bientôt la réaffirmer. » Un char entièrement noir, inspiré des pirates et des révolutionnaires devrait défiler pour la prochaine Pride, prévue en juin. « Nous voulons réaffirmer notre identité artistique, qui est aussi notre identité politique. »
– Cette newsletter a été conçue par Amandine Sanial, Clémence Postis et Margaux Pantobe.