Aujourd’hui, on vous parle de la place du cinéma en Nouvelle-Aquitaine.
Cette newsletter a été envoyée aux inscrit·es le 20 mai 2025.
À l’occasion du festival de Cannes, nous nous sommes demandé si la Nouvelle-Aquitaine était « une terre de cinéma ». Est-ce qu’elle pourrait être un petit Hollywood à la française ? Eh bien, pas loin !
Elle est la deuxième région de France à investir le plus dans le cinéma. Chaque année, elle soutient et accueille plusieurs centaines de tournages. Mais est-ce vraiment toute la Nouvelle-Aquitaine qui profite du rayonnement culturel du cinéma, ou juste la Gironde ?
Dans cette newsletter, vous découvrirez comment la Nouvelle-Aquitaine s’impose comme un acteur majeur du cinéma français, les tensions autour de son modèle de soutien régional et comment FOCALES, un festival de cinéma itinérant, fait circuler des récits LGBTQI+ en milieu rural.

Le coup de loupe
C’est si important que ça le cinéma en Nouvelle-Aquitaine ?
C’est vrai que le lien ne saute pas aux yeux. Mais il est réel et historique. En février 1896, Bordeaux est l’une des premières villes à accueillir des projections publiques de cinéma. Nous sommes deux mois seulement après celles de Paris et le succès est immédiat. À tel point qu’au mois de juin, Alexandre Promio, un opérateur Lumière, filme les rues de Bordeaux pour les intégrer aux séances. C’est l’une des premières productions cinématographiques produites hors Paris !
Quarante ans plus tard, un Bordelais, Émile Couzinet, reprend le flambeau. D’abord exploitant de salles, il décide de produire ses propres films, crée des studios à Royan, puis les déplace à Bordeaux. Visionnaire, il est le premier à écrire, tourner, distribuer et projeter lui-même ses œuvres dans les cinémas qu’il possède. À une époque où tout passe par Paris, il construit un écosystème de cinéma entièrement régional. On parlera alors, non sans ironie, de Hollywood-sur-Gironde.
Pour les professionnel·les éloigné·es de Bordeaux, trouver leur place dans ce nouvel écosystème n’est pas toujours simple.
En bref, ce cinéma made in Nouvelle-Aquitaine, artisanal mais structuré, a laissé des traces et il éclaire encore aujourd’hui la place singulière que la région occupe dans le paysage du cinéma français.
Ah, donc la Région soutient à fond le cinéma ?
Sur le papier oui, la Nouvelle-Aquitaine est la deuxième région française en volume d’aides au cinéma et à l’audiovisuel, juste derrière l’Île-de-France. En 2020, elle a soutenu 229 projets, pour un total de 11 millions d’euros !
Le soutien s’étend à toutes les étapes de production (écriture, tournage, post-prod) avec une règle claire : pour toucher une aide, il faut dépenser localement, parfois jusqu’à 160 % du montant reçu. Objectif : que le cinéma fasse aussi tourner l’économie régionale, en mobilisant des techniciens, en louant du matériel, en remplissant hôtels et restaurants.

Selon les chiffres de la Région, chaque euro investi générerait entre 7 et 12 euros de retombées économiques. C’est cet effet levier qui justifie le soutien public : pour des raisons culturelles, bien sûr, mais aussi économiques et territoriales. C’est comme ça que la région parvient à rester attractive, cette année 11 films soutenus par la Nouvelle-Aquitaine sont sélectionnés au Festival de Cannes.
Dit comme ça, oui, le soutien est réel. Mais il n’est pas à l’abri des coupes. En 2025, le fonds régional a baissé de 7 %. Comme ailleurs, la culture a dû faire avec des moyens plus serrés.
Et ce soutien, il profite à toute la région ou surtout à Bordeaux ?
Bordeaux en concentre beaucoup. C’est là que se trouve l’agence ALCA, qui gère les aides régionales. C’est là aussi qu’on trouve la majorité des formations, des structures de diffusion, et des décisions stratégiques.
Ce n’est pas un hasard. Depuis la réforme territoriale de 2016, les anciennes régions (Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes) ont été réunies sous une seule entité. Si chacune avait auparavant sa politique culturelle, ses priorités, ses outils, aujourd’hui, c’est la Nouvelle-Aquitaine qui pilote l’ensemble, avec une logique centralisée. Pour les professionnel·les éloigné·es de Bordeaux, trouver leur place dans ce nouvel écosystème n’est pas toujours simple.
Et pourtant, le reste du territoire est loin d’être passif. À Angoulême, la filière animation emploie près de 1 000 personnes dans 21 studios. Le Lot-et-Garonne a dépassé les 1 000 jours de tournage cumulés. Des productions s’installent régulièrement en Dordogne, en Charente ou en Creuse, attirées par les décors et les technicien·nes locaux.

Mais l’accès aux aides reste inégal. Il faut exister dans un réseau de plus de 1 400 technicien·nes, souvent structuré autour de Bordeaux. En 2022, 46 technicien·nes du Limousin ont écrit à la Région pour dénoncer la baisse des tournages, des embauches et des conditions de travail depuis la fusion. Aux dernières nouvelles, leur courrier était resté sans réponse.
Le sachiez-tu ?

C’est le nombre de jours de tournages pour des projets cinématographiques et audiovisuels en Nouvelle-Aquitaine en 2024. Derrière ce chiffre se cache une forte disparité entre les départements : 409 jours en Gironde contre 9 jours en Corrèze.
C’est arrivé près de chez nous
FOCALES, un festival de cinéma LBTQI+ dans les petites villes du Sud-Ouest
Dans les Landes, le Béarn ou le Pays basque, on ne trouve pas toujours un bar queer, mais on y trouve FOCALES. Un festival de cinéma LGBTQI+ qui s’installe chaque printemps dans les petites villes du sud-ouest. À Labouheyre (2 700 hab.), Mugron (1 400), ou Vieux-Boucau (1 600), les projections attirent des dizaines, voire des centaines de personnes.
L’événement s’inscrit dans le cadre des actions de sensibilisation menées par l’association Nos Couleurs — LGBT+ Landes. Et s’il passe par le cinéma, ce n’est pas un hasard : « Parce que c’est un média populaire, accessible, et collectif. C’est l’une des manières les plus simples que l’on a trouvée pour rassembler tout le monde autour de ces questions », explique Jérémy Lamothe, co-programmateur du festival.

À FOCALES, le film sert de point d’entrée pour aborder des sujets encore peu visibles localement. « Le public est souvent déjà un peu sensibilisé mais il vient pour découvrir de nouvelles histoires, d’autres manières de voir », souligne Jérémy. Chaque projection est suivie d’un échange, toujours ancré dans ce que le film a suscité.
Un outil de sensibilisation
L’idée n’est pas d’« expliquer », mais de créer un espace où la parole peut circuler sans jugement. À Mugron, Dax ou Labouheyre, les retours sont souvent les mêmes : bienveillance, attention, parfois surprise. La majorité des spectateurs ne se définit pas comme concernée par les thématiques LGBTQI+, mais vient par curiosité ou par fidélité au cinéma local. « Ce ne sont pas des militants, mais des gens ouverts, intéressés, parfois touchés plus qu’ils ne s’y attendaient », raconte Jérémy.
On veut que les films puissent dialoguer avec les territoires. Qu’ils ne paraissent pas hors-sol.
D’où l’importance de la sélection. Chaque année, l’équipe regarde des dizaines de films, en lien avec les cinémas partenaires. Cette année : La Brèche sur la transidentité, Adversaire sur la foi et l’homosexualité, ou encore Apolonia, Apolonia, portrait d’artiste au féminin. Des films parfois passés à Cannes ou Berlin, mais rarement montrés hors des grandes villes.
Du local pour parler aux locaux
Certains récits résonnent d’autant plus qu’ils sont ancrés dans la région. Out, un documentaire tourné à Bordeaux suit le parcours d’une drag queen locale. 20 000 espèces d’abeilles, en partie filmé à Hendaye, aborde l’enfance et la transidentité avec justesse. D’autres diffusés les années précédentes, comme Arrête avec tes mensonges (tourné en Charente) ou Levante (finalisé en Gironde), font écho à des lieux familiers. Pour Jérémy, cet ancrage compte : « On veut que les films puissent dialoguer avec les territoires. Qu’ils ne paraissent pas hors-sol. »
Cette attention au territoire se retrouve aussi dans l’organisation du festival. FOCALES est itinérant, ce qui implique de composer avec les contraintes locales : disponibilité des cinémas, calendrier associatif, présence sur le terrain. La programmation s’adapte au cas par cas, en lien avec les salles et les partenaires associatifs. Pas de formule clé en main : chaque étape se construit en fonction du lieu et de son public.

Le choix du mois de mai n’est pas anodin : FOCALES s’articule autour du 17 mai, Journée internationale contre les LGBTphobies. Chaque année, l’équipe propose aux communes partenaires de hisser le drapeau LGBTQI+ sur le fronton de la mairie. Certaines acceptent, parfois pour la première fois. D’autres le font désormais d’elles-mêmes. Preuve que : « Montrer un film, c’est parfois ce qui ouvre le plus de portes sur les questions LGBTQI+. Ça passe, ça reste, ça travaille. »
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