Aujourd’hui, on célèbre les 3 ans des collages contre les féminicides.
Cette newsletter a été envoyée aux inscrit·es le 25 octobre 2022.
Vous les apercevez parfois au détour d’une rue : de grandes lettres noires sur papier blanc qui ressortent sur les murs. « Elle le quitte, il la tue » ; « Nous sommes la voix de celles qui n’en ont plus »… Apparus à la fin de l’été 2019, les collages féministes se sont invités dans toute la France, y compris en Nouvelle-Aquitaine.
Dans ce numéro, on va revenir sur les origines de cette mobilisation ; découvrir les différentes significations de «féminicides » ; et partir à la rencontre du collectif Collages Féministes Bordeaux.
Le coup de loupe
Ça vient d’où, ces collages ?
En 2016, le collectif féministe Insomnia affiche dans Paris les noms des victimes de féminicides. Il veut rendre hommage aux victimes et porte deux revendications : « La reconnaissance du féminicide en France et son inscription dans le Code pénal. »
Trois ans plus tard, en 2019, Marguerite Stern réalise le premier collage à Marseille, sur lequel on peut lire : « Depuis que j’ai 13 ans, les hommes commentent mon apparence dans la rue. » Là où Insomnia peignait ses slogans sur une seule grande affiche, Marguerite Stern peint chaque lettre sur une feuille de papier A4 et les colle à même le mur. Le slogan prend de la place, il est visuellement impactant : personne ne peut passer à côté. « On oblige les gens à voir ce qu’ils ne veulent pas voir », explique Mariette de Collages Féministes Bordeaux.
À la fin de l’été 2019, Marguerite Stern va réunir autour d’elle quelques femmes et réaliser d’autres collages dans Paris. Grâce à un appel sur les réseaux sociaux, de nombreuses personnes répondent à son appel. Des collages contre les féminicides apparaissent dans toute la France, y compris dans le Sud-Ouest, à Bordeaux et à Toulouse.
Au bout d’un mois, Marguerite Stern se retire du projet : « Je n’avais pas envie qu’il y ait de leadeuse », expliquait-elle à Libération. Mais très vite, le mouvement des collages prend définitivement son indépendance de Marguerite Stern : en janvier 2020, après une série de tweets transphobes, elle est définitivement écartée.

Depuis quand dit-on « féminicides » ?
Contrairement à une idée reçue, le mot féminicide ne date pas d’hier. « C’est un mot avec une longue histoire, et il n’a pas toujours eu le sens qu’on lui donne aujourd’hui », explique Frédéric Chauvaud, historien et professeur d’histoire à l’Université de Poitiers. Au XIX° siècle, « féminicide » désigne les contraintes que peuvent faire peser les femmes sur les hommes. Rien à voir. Plus tard, au XX° siècle, sa définition change encore : « À cette époque, il désigne les lois qui vont à l’encontre des droits des femmes. »
Dans les années 1970, la sociologue sud-africaine Diana Russel utilise le mot « féminicide » (« femicide » en anglais), avec sa définition moderne : le meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme. Le mot va alors rester l’apanage des ouvrages scientifiques jusqu’aux années 2010.
« L’OMS et l’ONU commencent à l’utiliser pour désigner des actions de violences spécifiques contre les femmes », détaille Frédéric Chauvaud. Il faudra encore attendre 2015 pour que le mot féminicide entre dans le dictionnaire. Pour l’historien, c’est en 2019 que le terme passe vraiment dans le langage courant : « Il y a une sorte de vague, le mot n’est plus utilisé uniquement par les spécialistes. »
En effet, beaucoup de choses se passent en 2019. Les premiers collages de Marguerite Stern tout d’abord. Puis, dans le Gers, une magistrate emploie pour la première fois le terme. Enfin, la presse n’y est pas pour rien. Après avoir constaté que le traitement médiatique des violences faites aux femmes n’était pas à la hauteur des enjeux, l’AJP (Association des journalistes professionnels) publie une série de recommandations à destination des journalistes : « Il est essentiel de nommer les violences faites aux femmes pour ce qu’elles sont : des violences sexistes ou encore des violences de genre. Les violences contre les femmes ne sont pas une « affaire privée ». Les auteurs de violences n’ont pas à être « excusés » par leurs « sentiments ». »

Les collages, ce n’est que pour les féminicides ?
À l’origine, le mouvement des collages a pour but de coller à la vue de tous·tes les violences sexistes et sexuelles. Très vite, les collectifs de toute la France vont élargir leur slogan à d’autres sujets. À Bordeaux par exemple, les colleur·euses sont des acteur·ices incontournables de toutes les manifestations et luttes sociales. Elles ont par exemple collé « T’en as pas marre de faire pleurer des enfants, Buccio ? » (la préfète de Bordeaux) suite à l’expulsion de 300 personnes, dont des mineurs, d’un squat de Cenon.
Dans l’ouvrage Notre colère sur vos murs, le collectif parisien explique ainsi cette évolution logique : « Il s’agit de nous battre contre un système (entre autres patriarcal, colonial, capitaliste et écocidaire) qui domine, exploite et détruit depuis des millénaires. »
Dans le collectif bordelais, cela s’est aussi fait naturellement, comme nous l’explique Mariette, au nom du collectif : « Chacun·e propose les sujets de collages. On propose des actions, et ça se fait assez naturellement. »
Le sachiez-tu ?

C’est le nombre de cas de féminicides que distingue l’OMS : le féminicide « intime », commis par le conjoint, actuel ou ancien ; le féminicide non intime, où l’agresseur n’a pas de lien particulier avec la victime ; les crimes « d’honneur », où une femme est accusée d’avoir transgressé des lois morales ou des traditions ; le féminicide lié à la dot, où une femme est tuée par sa belle-famille pour des conflits liés aux biens qu’une femme apporte en se mariant.
C’est arrivé près de chez nous
Les colleur·euses de Bordeaux
Pendant leurs actions, les réactions sont très variables. « On reçoit beaucoup plus de menaces que d’encouragements. » On les menace d’appeler la police, de décoller leurs affiches – quand on ne les décolle pas directement devant elleux –, on les prend à partie. Comme cet homme, excédé de voir devant chez lui le slogan « On te croit ».
Ce soir-là, elles sont six colleuses. L’homme s’emporte et leur dit qu’elles exagèrent, qu’elles n’ont pas pu être toutes agressées. Elles se regardent, avec un petit sourire en coin, et confirment que si. Toutes les six. L’homme leur répond en hurlant : « Et bah c’était pas moi ! C’est pas de ma faute, je ne veux pas le savoir ! » Un exemple qui montre l’importance des collages pour Mariette : « Les gens ne veulent pas savoir. Ils ne veulent pas savoir qu’il y a un viol toutes les 7 minutes en France. » Heureusement, toutes les réactions ne sont pas négatives. Les colleur·euses reçoivent aussi des encouragements et parfois des témoignages.
On sait qu’on est lu et reçu. C’est ça, le plus important.
Un soir où Mariette participe à un collage où est affiché le 3919 – le numéro pour les violences conjugales – une femme s’arrête avec son enfant. Elle leur explique que ce numéro lui a sauvé la vie. « Elle a ajouté que ça lui faisait beaucoup de bien quand elle croisait nos collages, que ça lui faisait chaud au coeur. » Une autre femme, elle aussi avec son petit garçon, s’arrête pour encourager et remercier les colleur·euses. Son petit garçon lui demande quel est ce numéro. « C’est le numéro que maman a appelé quand il y a eu des problèmes avec papa. »
Un moment émouvant pour Mariette : « On a l’impression de servir à quelque chose. » Grâce à ces personnes, qui ne sont jamais des hommes d’après l’expérience de Mariette, les colleur·euses tiennent le coup. « On sait qu’on est lu et reçu. C’est ça, le plus important. »
Pour aller plus loin
🌌 Les colleur·euses n’agissent pas que la nuit. Iels participent aussi aux manifestations bordelaises.
⚖️ Et la loi, dans tout ça ? En 2019, Charlotte Beluet est la première magistrate à employer le mot « féminicide », même si elle est contre son entrée dans le Code pénal.
💌 Vous voulez contacter les colleur·euses de Bordeaux ? Vous pouvez leur envoyer un message soit sur Facebook, soit sur Instagram.
– Cette newsletter a été conçue par Clémence Postis, Amandine Sanial, Ana Hadj-Rabah et Margaux Pantobe.