Aujourd’hui, on vous parle des Centres d’accueil pour demandeurs d’asile en Nouvelle-Aquitaine.
Cette newsletter a été envoyée à nos inscrit·es le 03 juin 2025.
En 2025, les Centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) devront faire plus avec moins. Le gouvernement prévoit de supprimer plus de 7 500 places d’hébergement d’urgence, pour économiser 45 millions d’euros. Une décision qui risque d’aggraver la saturation d’un système déjà sous tension : aujourd’hui, seuls 43 % des demandeurs d’asile sont hébergés pendant leur procédure.
Pendant ce temps, les demandes continuent de grimper. L’année 2024 a marqué un nouveau record : plus de 157 000 personnes ont sollicité l’asile en France. En Nouvelle-Aquitaine, la situation est particulièrement tendue. La région a connu l’une des plus fortes croissances de création de places en CADA au cours des dix dernières années. Mais cette expansion ne suffit plus : les capacités d’accueil restent insuffisantes face à l’augmentation continue des demandes.
Dans cette newsletter, on vous explique à quoi sert un CADA, son objectif politique et on vous raconte le parcours de William, un jeune demandeur d’asile guinéen accueilli dans un centre du Limousin.

Le coup de loupe
C’est quoi un CADA ?
Un CADA, ou centre d’accueil pour demandeurs d’asile, héberge les personnes qui ont engagé une demande de protection en France le temps que leur dossier soit examiné. Les résident·es y trouvent un logement gratuit, un accompagnement social et juridique, ainsi qu’un accès aux soins. Mais les places sont rares. En Nouvelle-Aquitaine, un peu moins de 5000 places sont réparties dans une trentaine de centres. À Bordeaux, seuls 471 demandeur·euses peuvent être hébergé·es, pour une population estimée à 3 000.
En moyenne, les résident·es restent près de deux ans en CADA, le temps que l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), statue sur leur demande. À l’issue de cette procédure, le séjour doit s’arrêter.
Comme les places sont limitées, certaines personnes sont prioritaires : les familles avec enfants, les femmes enceintes, les personnes malades, âgées ou particulièrement vulnérables.
Les personnes déboutées, celles et ceux dont la demande a été rejetée, disposent d’un mois pour quitter le centre. Les personnes reconnues réfugiées, elles, ont droit à trois mois, parfois renouvelables. Ce délai est censé leur permettre de trouver un logement, d’accéder au RSA, à la CAF, à Pôle emploi. En pratique, ces démarches prennent du temps, et beaucoup sortent du CADA sans solution durable.
Comment on fait pour avoir une place dans un CADA ?
L’accès à un CADA dépend d’une orientation décidée par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Une fois la demande d’asile enregistrée auprès d’une structure de premier accueil des demandeurs d’asile (SPADA), puis en préfecture au guichet unique, l’OFII évalue la situation de la personne pour déterminer si un hébergement peut être proposé.

Comme les places sont limitées, certaines personnes sont prioritaires : les familles avec enfants, les femmes enceintes, les personnes malades, âgées ou particulièrement vulnérables. En revanche, celles dont la demande est jugée relever d’un autre pays européen (selon la procédure dite « Dublin ») ou celles dont la demande est en procédure accélérée — un mode d’examen rapide appliqué lorsque la demande semble peu crédible et qui mène le plus souvent à un refus — sont exclues d’emblée du dispositif.
Quand aucune place n’est disponible en CADA, l’OFII peut orienter vers d’autres structures : un Hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile (HUDA), souvent en chambre d’hôtel, ou un Centre d’accueil et d’évaluation des situations (CAES), conçu pour offrir une mise à l’abri immédiate à l’arrivée sur le territoire. Mais ces dispositifs, peu implantés dans le Sud-Ouest, sont eux aussi débordés. Ils ne suffisent pas à couvrir les besoins et beaucoup de personnes restent sans solution autres que l’hébergement informel, les squats, ou la rue…
Ce sont les communes qui décident de l’installation des CADA ?
Non. La décision revient à l’État, via les préfectures et l’OFII. Les communes ne sont pas consultées : elles apprennent souvent l’existence du projet une fois validé. Depuis 2016, cette gouvernance s’appuie sur un schéma national de répartition, qui fixe des quotas régionaux. L’objectif affiché est d’éviter la concentration des demandeur·euses d’asile en Île-de-France ou à Calais, en organisant leur accueil sur l’ensemble du territoire.
Ce projet a redessiné l’offre des CADA en Nouvelle-Aquitaine, avec l’ouverture de centres dans des zones rurales peu peuplées comme le Limousin, le nord de la Corrèze ou la Haute-Vienne. Officiellement, on parle de « solidarité territoriale ». Mais cette stratégie repose aussi sur une logique de gestion des flux, inspirée du burden sharing européen : répartir les exilés comme une charge.

Dans ce cadre, ce sont des associations agréées qui identifient des bâtiments disponibles (hôtels, auberges, structures vacantes) et soumettent un projet à la préfecture. Si celui-ci est validé, elles acquièrent ou louent les lieux, puis assurent la gestion avec un financement public. Certaines communes ont bien sûr tenté de contourner cette politique. À Beyssenac en Corrèze (360 habitant·es), la mairie a voulu bloquer l’installation d’un centre en lançant une procédure pour racheter le terrain. En vain, le projet a échoué et le CADA a ouvert 40 places en 2023.
Le sachiez-tu ?

C’est le nombre de places en CADA qui devaient être créé en Nouvelle-Aquitaine en 2023, sur les 2 500 jugées nécessaires à l’échelle nationale. Au final, seules 80 ont vu le jour.
C’est arrivé près de chez nous

William, demandeur d’asile gay, dans un CADA isolé du Limousin
William* n’avait jamais entendu parler du Limousin avant. Encore moins imaginé y vivre. Mais lorsqu’on lui propose une place dans un CADA de la région, il accepte sans poser de questions. Il découvre un petit village, sans commerces ni transports. « Je n’avais jamais connu un silence pareil. Les premiers jours, c’était angoissant et puis j’ai même fini par trouver ça agréable », explique le jeune réfugié.
Parler français ne suffit pas à briser l’isolement. Même en comprenant tout, je me sentais seul.
Originaire de Conakry en Guinée, William a fui en 2021 des violences familiales après avoir été découvert avec un autre homme. Dans ce pays, l’homosexualité est non seulement illégale, mais aussi lourdement stigmatisée : le Code pénal criminalise les relations entre personnes du même sexe, avec des peines de prison à la clé. Et l’homophobie est profondément enracinée : selon un sondage Afrobaromètre, 96 % des Guinéens ne souhaiteraient pas même avoir un·e voisin·e homosexuel·le.
Un départ sans retour
Après des mois d’errance à travers le Mali, l’Algérie, puis le Maroc, William arrive enfin en France. À Paris, il trouve refuge dans un squat, où il subit encore des violences. Alors, quand on lui propose une place en CADA, il est soulagé. « On m’a dit qu’il n’y avait plus de place ailleurs, que c’était une chance. Je l’ai compris tout de suite : je me suis dit, enfin un peu de stabilité. »
Mais le silence a ses revers. Isolé dans un village « minuscule », William découvre une solitude à laquelle il ne s’attendait pas. « Parler français ne suffit pas à briser l’isolement. Même en comprenant tout, je me sentais seul. » Il apprend aussi à vivre avec l’attente. En tant que demandeur d’asile, il ne peut pas travailler pendant les six premiers mois, comme le prévoit la loi. « Même si j’en avais l’énergie, c’était interdit. Et ça, ça te casse. »

Après ce délai, il cherche, sans succès. Le village n’offre aucune opportunité. « Certains profitent de ce temps pour mettre un peu d’argent de côté. Moi, je n’ai rien trouvé. Ça aurait juste suffi à me faire un peu plaisir. » Il reçoit 6,80 € d’allocation par jour, soit environ 204 € par mois, il survit plus qu’il ne vit.
Dans le village, William capte parfois des regards méfiants voire hostiles. « On ne m’a jamais rien dit de méchant, mais je sentais que j’étais observé, que ma présence dérangeait certains. » Néanmoins, il refuse de se laisser affecter. « Après avoir survécu à la violence en Guinée, on apprend à résister. » Il parvient tout de même à tisser des liens dans le centre. « J’ai découvert ce que c’était d’avoir une famille. » Un autre Guinéen l’aide à préparer son récit pour l’OFPRA, l’organisme chargé de statuer sur sa demande d’asile. « Il m’a dit : “Tu dois raconter ton histoire toujours de la même façon, sinon ils vont penser que tu mens.” Alors on répétait tous les jours. »
Ce centre, ce village, ces gens, c’était un entre-deux. Sans eux, je ne sais pas si j’aurais tenu.
À cela s’ajoutent des ateliers d’accompagnement juridique, des animations ludiques et un accompagnement pour les personnes LGBT, qui l’aident à comprendre ses traumatismes. Toutefois, aucune aide psychologique et psychiatrique n’est accordée aux demandeurs d’asile. Pour se soigner, William bouquine des livres de psychologie, tente de s’analyser lui-même, et de guérir. Il souligne aussi le rôle central du personnel du CADA. « Les travailleuses et travailleurs sociaux étaient vraiment présents. Et les bénévoles aussi, des personnes attentives, qui prenaient le temps. Ils m’ont offert des repères. »
Enfin une réponse et une nouvelle angoisse
Un an après son arrivée, William reçoit la réponse tant attendue : il obtient le statut de réfugié. Le statut transforme sa situation. Il obtient une carte de résident de dix ans, et voit ses droits désormais garantis : travailler, louer un logement, faire des études. « Avant, tout était fragile. Là, on me dit : tu peux rester, tu es protégé. C’est énorme. »
Il pleure, d’abord de soulagement, puis d’inquiétude. « Comment vais-je faire ? » Il doit quitter le CADA dans un délai de 3 mois. Sans ressources, sans réseau, il se retrouve de nouveau sans solution immédiate. Impossible de rester dans le coin sans voiture, et il n’en a pas les moyens. Sur les conseils d’un ancien résident, il se rend à Limoges. Là, avec l’aide d’une association, il trouve une colocation et décroche un emploi dans la restauration.
Aujourd’hui, William mène une vie plus tranquille, s’engage dans des associations locales qui soutiennent les exilés et les minorités sexuelles et de genre, et prévoit de commencer des études de psychologie l’année prochaine. Quand il repense au CADA, son regard est nuancé. Ce n’était pas facile. Mais c’était vital. « Ce centre, ce village, ces gens, c’était un entre-deux. Un moment suspendu entre ce que j’ai fui et ce que je suis en train de construire maintenant. Sans eux, je ne sais pas si j’aurais tenu. »
*le prénom a été modifié
Pour aller plus loin
⛔ Immigration : le centre d’accueil de demandeurs d’asile de Bélâbre ne verra jamais le jour. Pendant plusieurs mois, LCP a suivi les coulisses d’un projet d’hébergement de demandeurs d’asile dans un village de l’Indre, confronté à des résistances locales.
🫂 Demandeurs d’asile : le parcours de deux sans-papiers en France. Ibrahim, originaire de Guinée, et Abkulut, réfugiée turque, racontent leur quotidien en France, entre démarches administratives, recherche d’hébergement et apprentissage de la langue.
📝 Droit d’asile : dans les coulisses de la CNDA, dernière chance pour les demandeurs d’asile en France. Méconnue mais décisive, la CNDA traite près de 70 000 recours par an : ce documentaire lève le voile sur les coulisses de la plus grande juridiction administrative du pays.