Aujourd’hui, on se demande si on peut produire du gaz écolo en Nouvelle-Aquitaine.
Cette newsletter a été envoyée aux inscrit·es le 27 septembre 2022.
Cet hiver, on nous promet une hausse record du prix du gaz. Mais savez-vous que la région est elle-aussi capable de produire du gaz ? Ce procédé porte un nom : la méthanisation. Vous ne savez pas ce que c’est ? Jusqu’à la semaine dernière, nous non plus. Pourtant, elle est au coeur de la politique énergétique et environnementale de la Nouvelle-Aquitaine pour les 30 prochaines années.
Dans ce numéro, on va essayer de comprendre comment la méthanisation produit du gaz et si c’est vraiment super ; de chiffrer les ambitions de la région en matière de biogaz ; et de découvrir quelles peuvent en être les conséquences pour les agriculteurs.
Le coup de loupe
C’est quoi, la méthanisation ?
C’est la transformation de matière organique en méthane grâce à un procédé de fermentation. « On place des matières organiques, donc fermentescibles, dans un système sans oxygène », explique Marion Delorme, animatrice de MéthaN-Action. Ce dispositif régional a pour objectif d’accompagner le développement de la méthanisation en Nouvelle-Aquitaine. « La fermentation de ces matières va produire du gaz. » Un peu comme une panse de vache artificielle.
Une vache qu’on nourrit de déchets, appelés « intrants», majoritairement issus du monde agricole : fumier, lisier, matières végétales… En 2020, plus d’un million de tonnes d’intrants ont été méthanisés en Nouvelle-Aquitaine.
On peut transformer le gaz ainsi produit en électricité ou en chaleur, grâce à un petit moteur diesel, ou l’injecter directement dans le réseau de gaz, après l’avoir épuré. En Nouvelle-Aquitaine, sur les 109 unités de méthanisation déjà en service, 31 injectent le biométhane produit dans le réseau de gaz naturel. Il peut ainsi être utilisé chez vous, dans votre entreprise ou encore comme carburant.
Mais une unité de méthanisation ne produit pas que du gaz. « La majorité de la matière rentrée dans le méthaniseur en ressort sous forme de digestat, précise Nicolas Bernet, directeur de recherche à l’Inrae. Il s’agit de toute la matière qui n’a pas été transformée en gaz.» Riche d’éléments nutritifs comme l’azote et le phosphore, ce digestat va ensuite être utilisé comme fertilisant.
Et c’est écolo ?
Le biométhane, ou biogaz, issu de la méthanisation est considéré comme une énergie renouvelable. Mais tout le monde n’est pas d’accord. « Les méthaniseurs sont surdimensionnés par rapport au minerai existant. Les exploitants sont obligés d’aller chercher les intrants chez le voisin », explique Frédéric Lascaux, porte-parole de la Confédération paysanne de la Nouvelle-Aquitaine. Ce qui engendre des trajets en camion, plus ou moins long.
C’est aussi ce que dénonce l’association de riverains AEPS Mourenx, qui s’est constituée suite à l’ouverture d’une unité de méthanisation dans leur commune des Pyrénées-Atlantiques. « Les intrants sont récupérés et transportés dans un périmètre entre 40 et 60 km autour du méthaniseur, raconte Jean-Claude Bergé, président de l’AEPS Mourenx. Tous les jours, c’est le ballet des camions qui les apportent, puis qui repartent avec le digestat à épandre. »
Autour de l’épandage du digestat, la question de la pollution des sols se pose également. « Oui, il peut y avoir des risques de pollution, confirme Nicolas Bernet, directeur de recherches à l’Inrae. Mais exactement les mêmes que si vous épandez du lisier ou d’autres engrais chimiques sans tenir compte des bonnes pratiques. » Comme faire attention à la nature des sols, à la météo, avoir le bon matériel pour enfouir le digestat dans le sol…
Le Collectif national vigilance méthanisation (CNVMch) tient quant à lui le compte des pollutions à déplorer en France à cause de la méthanisation, faute de contrôles adéquats.
Alors, on n’aura plus besoin du gaz de Poutine avec la méthanisation ?
Tout doux, bijou. La Nouvelle-Aquitaine a certes de l’ambition pour la méthanisation : « En 2050, la Région veut être exportatrice de gaz vert, rapporte Marion Delorme, animatrice auprès de MéthaN-Action. C’est-à-dire être une région qui produit plus de gaz vert qu’elle n’en consomme. » La Nouvelle-Aquitaine se voit ainsi fournir 15% des besoins nationaux en gaz en 2050. « On estime qu’à cette date, la production viendra de 30 à 40 % de la méthanisation. »
Est-ce réaliste ? En 2020, en Nouvelle-Aquitaine, 90 unités de méthanisation étaient en fonctionnement. Parmi elles, 15 installations valorisaient du biométhane sur le réseau de gaz. Toujours en 2020, la consommation régionale de gaz était de 12,5 milliards de kilowatt-heure, alors que la méthanisation en produisait 447 millions, soit… 3,5 %. On est donc encore loin du compte.
Pour être honnête, rappelons qu’en 2022, 31 installations de méthaniseurs injectent du biométhane sur le réseau, soit deux fois plus qu’en 2020. Alors, pourquoi utiliser des données de 2020 dans cet article ? Parce que pour le moment, ce sont les seules données dont nous disposons.
Le sachiez-tu ?
C’est le nombre d’unités de méthanisation que la Nouvelle-Aquitaine prévoit sur le territoire en 2050, soit 621 méthaniseurs construits en 28 ans.
C’est arrivé près de chez nous
La méthanisation, une aubaine pour les agriculteurs ?
La Nouvelle-Aquitaine est la première région agricole de France et d’Europe. Autrement dit, elle présente un potentiel énorme pour le développement de la méthanisation. Et une aubaine pour les agriculteurs qui, grâce à une valorisation de leur déchets, peuvent dégager un revenu complémentaire. Sur son site, MéthaN-Action insiste là-dessus : « Grâce aux tarifs de rachat de l’électricité et du biométhane garantis respectivement sur 20 et 15 ans, la méthanisation apporte un revenu complémentaire stable et sécurisé. » Des tarifs qui, encore récemment, pouvaient atteindre trois fois le prix du marché.
On n’a jamais été contre la méthanisation. Juste contre une méthanisation qui dépasse nos limites, à nous, agriculteurs.
Frédéric Lascaux, éleveur-polyculteur dans le Limousin et porte-parole de la Confédération paysanne Nouvelle-Aquitaine, tempère : « Théoriquement, oui, c’est super pour les agriculteurs. Mais avec les modèles de méthaniseur actuels, nos déchets ne sont pas suffisants. »
Pour produire de l’énergie, les unités de méthanisation ont besoin de tourner toute l’année et d’être constamment nourries d’intrants. La Confédération paysanne de la Nouvelle-Aquitaine alerte sur la mise en concurrence qui commence à exister dans la région entre l’agriculture et les méthaniseurs. Frédéric Lascaux pointe un exemple très concret : la paille. « Pour pailler les bêtes, la paille est à 20 centimes le kilo. Certains exploitants l’achètent jusqu’à 40 centimes le kilo pour les méthaniseurs. Nous, éleveurs, on ne peut pas suivre. »
Outre la concurrence qui fait monter les prix des matières premières, Frédéric Lascaux pose la question d’une concurrence entre le méthaniseur et les bêtes. Quel est le plus rentable ? « On n’a jamais été contre la méthanisation. Juste contre une méthanisation qui dépasse nos limites, à nous, agriculteurs. » Il alerte sur les unités de méthanisation conçues ces dernières années, « une méthanisation quasi-industrielle, qui devient un poste de l’exploitation presque plus important que l’exploitation elle-même. »
Pour aller plus loin
📌 Qu’en dit la Région ? Selon le rapport de l’Arec, seuls 3,8% du gisement organique net disponible en Nouvelle-Aquitaine (c’est-à-dire les déchets agricoles pouvant être valorisés) est méthanisé. Un chiffre éloigné de la réalité, pour Frédéric Lascaux.
✊ Qu’en disent les citoyen·nes ? Le CNVMch regroupe les associations et collectifs (11 en Nouvelle-Aquitaine) de citoyen·nes qui s’inquiètent et dénoncent les projets de méthanisation.
🔎 Passionné·es par le sujet ? Même si ça se passe en Bretagne, l’enquête de Splann, en quatre volets, approfondit les problématiques de la méthanisation.
– Cette newsletter a été conçue par Clémence Postis, Amandine Sanial, Ana Hadj-Rabah et Margaux Pantobe.