Numéro 08
5 minutes de lecture
Vendredi 24 mars 2023
par LA RÉDACTION
LA RÉDACTION
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Aujourd’hui, on vous raconte l’histoire des tirailleurs africains tombés en Nouvelle-Aquitaine.
Cette newsletter a été envoyée aux inscrit·es le 17 janvier 2023.

Le 4 janvier, le film Tirailleurs avec Omar Sy a débarqué sur les écrans. Grâce à lui, on n’a jamais autant parlé des tirailleurs sénégalais, ces soldats venus d’Afrique occidentale et équatoriale pour combattre aux côtés des Français pendant la Première Guerre mondiale. 

On connaît peu l’histoire de ces hommes, qui ont pourtant vécu l’enfer, ici, en Nouvelle-Aquitaine. Et on connaît encore moins celle des tirailleurs morts noyés au large de La Rochelle. 

Dans cette newsletter, vous allez apprendre qui étaient les tirailleurs, pourquoi ils ont combattu aux côtés des Français, et découvrir l’histoire du « Titanic français », dans lequel ont péri 178 soldats africains.

Le coup de loupe

Qui sont les tirailleurs sénégalais ?

Il s’agit d’un corps d’infanterie colonial créé en 1857 par Napoléon III. À l’époque, le Sénégal est une colonie française ; l’objectif pour la France est de recruter des combattants pour faciliter son implantation française en Afrique et étendre son empire colonial. 

Les premiers soldats commencent à être recrutés par la France au XVIIIe siècle, et seront régulièrement enrôlés par l’armée coloniale pour servir les intérêts de la France. Mais parler de « tirailleurs sénégalais » est un abus de langage : les soldats sont originaires de diverses régions d’Afrique, pas seulement du Sénégal. « Ce n’est pas l’histoire d’un seul pays, mais de plusieurs pays africains. À l’époque, il n’y avait pas de pays définis », explique Karfa Diallo, fondateur de l’association Mémoires et Partages et conseiller régional EELV.

Avant 1914, la plupart des tirailleurs sont recrutés grâce à des systèmes de primes. Mais quand la Grande Guerre commence, beaucoup de jeunes se cachent, d’autres fuient pour échapper au front. Au total, pendant la Première Guerre mondiale, ils sont 200 000 tirailleurs à se battre sous le drapeau français, dont 135 000 en Europe.

Quel rapport avec la Nouvelle-Aquitaine ?

Une fois en France, les tirailleurs sénégalais sont envoyés sur le front. Mais ces soldats sont peu habitués au froid hivernal, et nombre d’entre eux tombent malades. En 1916, les autorités militaires ouvrent alors deux « camps d’hivernage » en France, servant à acclimater les soldats venus d’Afrique et à les former aux rudiments militaires. L’un d’eux sera implanté dans le Var, l’autre, en Gironde, à La Teste-de-Buch, près de la dune du Pilat.

Illustration d'un tirailleur africain

Ce camp girondin, appelé camp du Courneau, voit transiter 70 000 tirailleurs entre avril 1916 et septembre 1917. Mais il présente un problème : installé sur une zone marécageuse, il est très humide et totalement inadapté. Les soldats sont rapidement victimes de maladies respiratoires et meurent par centaines de pneumonies fulgurantes. « La plupart meurent en arrivant », Jean-Pierre Caule. Autrefois appelé le camp « des nègres », le Courneau est rapidement surnommé « le camp de la misère ». Au total, en moins de 16 mois, près d’un millier de soldats mourront dans ce camp, souvent sans avoir combattu. 

Jusqu’en 1948, les dépouilles des soldats du camp du Courneau sont dispersées dans différents cimetières, notamment celui d’Arcachon. Elles sont ensuite déplacées dans une fosse commune à la Nécropole du Natus, qui a bien failli être emportée par les flammes cet été.

Pourquoi leur sort fait-il polémique ?

Si on parle encore aujourd’hui des tirailleurs sénégalais, et encore plus avec la sortie du film avec Omar Sy, c’est que la promesse de la France envers ces soldats n’a pas été tenue

Le premier député noir Blaise Diagne avait pourtant promis qu’en « versant le même sang », les tirailleurs obtiendraient « les mêmes droits ». Mais aujourd’hui encore, on est loin du compte. À titre d’exemple, les retraites de ces vétérans étaient inférieures à celles de leurs frères d’armes français. Et pour percevoir leur minimum vieillesse, les tirailleurs étaient obligés de vivre au moins six mois de l’année en France

Il aura fallu attendre le 4 janvier dernier pour que le gouvernement mette fin à cette mesure, autorisant ainsi les vétérans à rentrer définitivement dans leur pays d’origine sans perdre leur minimum vieillesse. Une annonce qui, étrange coïncidence, intervient le même jour que la sortie du film Tirailleurs.

Mais pas de quoi crier hourra pour autant : cette mesure ne concernerait que 37 survivants, l’immense majorité des tirailleurs sénégalais étant décédés. De plus, cette « tolérance », comme le définit le gouvernement, ne concerne que les 950 euros perçus dans le cadre du minimum vieillesse, et pas les aides de la CAF ni les pensions d’invalidité.

Le sachiez-tu ?

le nombre 15%

C’est la part de tirailleurs africains morts au combat ou de maladie durant la Première Guerre mondiale, soit 30 000 soldats.

C’est arrivé près de chez nous

Le paquebot « Afrique » à Bordeaux vers 1910, carte postale, phototypie Marcel Delboy, Bordeaux

Le 12 janvier 1920, le paquebot « Afrique » coulait au large de La Rochelle, causant la mort de 568 personnes. Parmi elles, 178 étaient des tirailleurs africains, issus d’un bataillon qui rentrait au pays après avoir servi la France pendant la Grande Guerre. 

Tout commence le 9 janvier, quand le navire appareille sur les quais de Bordeaux avec à son bord 602 personnes, à destination de Dakar et des ports des colonies ouest-africaines. Entre les voyageurs qui rêvent de découvrir le continent africain et les marchandises en transit, 192 tirailleurs sénégalais attendent de retrouver leur famille. Le lendemain, alors que le paquebot s’éloigne vers le large, de l’eau s’infiltre dans la cale. 

Au fil des heures, l’eau monte, jusqu’à inonder les moteurs. Le 11 janvier, l’Afrique, à la dérive, finit par heurter un bateau-phare, utilisé pour faciliter la navigation en indiquant un danger à l’approche des côtes. À minuit, le commandant décide de mettre les embarcations de sauvetage à la mer. La plupart des passagers, apeurés, refusent de monter à bord des canots. Seuls quelques tirailleurs prennent place à bord des radeaux, avant que l’Afrique ne sombre. Sur les 602 personnes à bord, 34 survivront. Cent ans après, l’épave de l’« Afrique » gît toujours à 40 mètres de fond, près du plateau de Rochebonne, à moins de 50 km des Sables-d’Olonne. 

Une tragédie oubliée

Il s’agit de la plus grande tragédie maritime française en temps de paix. Cette catastrophe a pourtant été peu médiatisée à l’époque, principalement à cause de l’élection présidentielle ayant eu lieu le même mois en 1920. Sans oublier qu’elle survient quelques mois après la fin de la guerre, alors que l’opinion publique est concentrée sur la reconstruction du pays. Si ce drame n’est pas resté dans les mémoires, pour Karfa Diallo, c’est aussi en raison du passé colonial de la France. « Le malaise est encore très persistant. Il n’y a pas eu suffisamment de créations artistiques et culturelles sur le naufrage. Tout le monde connaît l’histoire du Titanic américain, grâce aux films, aux livres, aux arts. » 

Pourtant, ils étaient encore quelques-uns à honorer la mémoire de l’« Afrique ». Comme chaque année depuis 2018, Karfa Diallo et les membres Mémoires et Partages se sont retrouvés le 12 janvier dernier sur les quais des Chartrons pour fêter ce triste anniversaire, mais surtout pour réhabiliter la mémoire de ces soldats. Aujourd’hui, l’association milite pour que ces 178 tirailleurs sénégalais bénéficient de la distinction « Morts pour la France » : pour l’instant, on leur refuse, car ce titre est réservé aux soldats morts les armes à la main.

Pour aller plus loin

🎙️ Les oubliés du paquebot Afrique. Dans un documentaire sonore en deux épisodes, France Culture retrace l’histoire du paquebot Afrique et de ses 568 victimes.

🎥 Le naufrage de « l’Afrique » en 7 minutes. Dans une vidéo illustrée, AJ+ revient sur le déroulé du drame qui s’est joué entre le 9 et le 12 janvier 1920.

🌊 Pèlerinage en mer. France 3 a suivi les descendants des victimes revenus, comme en pèlerinage, à l’endroit où le paquebot a sombré, au large des Sables-d’Olonne.

– Cette newsletter a été conçue par Amandine Sanial, Clémence Postis et Margaux Pantobe.

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