Aujourd’hui, on se demande si on doit toujours aller plus vite avec la LGV Bordeaux-Toulouse.
Cette newsletter a été envoyée à nos inscrit·es le 3 janvier 2023.
L’année 2023 sera, on vous le souhaite, ponctuée de grandes joies et de petits bonheurs. Mais elle sera aussi marquée par des projets de taille qui devraient voir le jour en Nouvelle-Aquitaine. Parmi eux : la LGV entre Bordeaux et Toulouse.
Dans cette newsletter, on vous explique les tenants et aboutissants de ce projet, pourquoi il a tant traîné à être mis sur les rails, et quels problèmes cela pose pour l’environnement.
Le coup de loupe
Il consiste en quoi ce projet de LGV ?
La future ligne à grande vitesse prévoit de relier Bordeaux à Toulouse en une heure de train, au lieu de deux actuellement. Il permettra ainsi aux habitants de la ville rose de rejoindre Paris en trois heures. Ce projet comporte également un deuxième volet : la construction d’une nouvelle ligne à grande vitesse entre Bordeaux et Dax. Au total, les travaux impliquent la construction de plus de 300 km de rails et trois nouvelles gares : Mont-de-Marsan, Agen et Montauban.
Ce projet, on en parle depuis au moins 2005 – année du début des concertations publiques. Depuis, le « feuilleton LGV » a connu pas mal de rebondissements et d’oppositions, et on aurait pu croire qu’il ne verrait jamais le jour. Première cause de réticence : son prix. Le coût prévisionnel du Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO) s’élève à 14 milliards d’euros, dont 10,3 milliards d’euros sont consacrés à la branche Bordeaux-Toulouse. Ce coût est réparti entre l’État (40 %), les 25 collectivités d’Occitanie et de Nouvelle-Aquitaine qui participent au projet (40 %) et l’Europe (20 %).
Mais les communes ne sont pas toutes d’accord avec cette levée de fonds. En avril 2022, 80 élus girondins, tous opposés au projet, ont constitué un collectif pour dénoncer « l’impôt LGV », voté dans le cadre du projet de loi de finances 2022. Une taxe qui concerne toutes les personnes qui vivent à une heure ou moins d’une gare LGV. Donc la quasi-totalité des Girondins, et pas mal de monde dans les Landes, le Lot-et-Garonne, la Dordogne, la Charente et les Pyrénées-Atlantiques. Si vous vivez dans un de ces départements, vous risquez donc de voir vos impôts locaux augmenter.
Malgré la réticence des élus, le projet s’est accéléré en 2022 : les premières conventions financières à présenter à l’État ont été approuvées ; un conseil de surveillance et un directeur pour le GPSO ont été nommés ; le gouvernement a confirmé son financement… Tout laisse à penser qu’en 2023, les travaux de la LGV commenceront, 18 ans après les premières réunions publiques. Objectif ? Une mise en service de la ligne en 2032.
Pourquoi a-t-on besoin d’une LGV ?
Pour aller plus vite… Mais pas que. Que ce soit pour Frédéric Gineste (vice-président du département du Lot) ou encore Alain Rousset (président de la région Nouvelle-Aquitaine), un train plus rapide permettra de désenclaver les départements du Lot et du Lot-et-Garonne, et toutes les collectivités où vont passer les nouvelles lignes. Il s’agit de rapprocher les villes moyennes et petites des grandes métropoles comme Bordeaux et Toulouse. Selon la préfecture d’Occitanie, le GPSO permettra « d’amplifier le développement économique et social et l’emploi dans tous les territoires concernés, sans compter les milliers d’emplois qui seront créés par le projet ».
D’autres, en revanche, dénoncent un projet dépassé et à côté de la plaque. L’association Très Grande Vigilance en Albret, dans le Lot-et-Garonne, a demandé à Robert Claraco, expert auprès des tribunaux, spécialisé dans le transport ferroviaire, d’analyser les études de la GPSO. Pour lui, la rénovation des lignes existantes coûterait trois fois moins cher et permettrait déjà aux trains d’aller beaucoup plus vite.
Pour Robert Claraco (comme pour Pierre Hurmic, le maire de Bordeaux), le projet a vu le jour dans les années 2000 et n’a été que très peu modifié depuis. Il n’est plus en phase avec les besoins et les enjeux actuels.
Déjà, en 2015, une commission d’enquête publique avait rendu un avis défavorable au projet. « Impacts sur l’environnement insuffisamment pris en compte », « rentabilité socio-économique insuffisante », « financement public incertain », « alternatives à la grande vitesse insuffisamment explorées »…
De quoi freiner les ardeurs. Pourtant, le Conseil d’État a ignoré cette enquête et a déclaré le GPSO « d’intérêt public » en 2016. Dans les années qui ont suivi, sept recours visant à annuler cette décision ont été défendus devant le Conseil d’État. Sans succès.
Mais, c’est écolo ou pas ?
Selon les porteurs du projet, le GPSO permettra d’économiser 340 000 tonnes de C02 par an, notamment en changeant les habitudes des usagers : la LGV pourrait ainsi faire baisser de 20 % les transports aériens, et éviter 7,7 millions de trajets en voiture. Sans oublier le transport de marchandises : actuellement, 10 000 camions circulent chaque jour sur l’axe Bordeaux-Espagne. Souvenez-vous, dans le projet est également inclus une LGV Bordeaux-Dax. Dans une deuxième phase de travaux, cette ligne devrait rejoindre l’Espagne. Grâce à la LGV, le fret ferroviaire augmenterait (de 3 % actuellement à 18 %) et diminuerait ainsi le transport routier.
Mais tout le monde n’est pas d’accord avec ce calcul. C’est le cas de Philippe Barbedienne, président de l’association Sepanso Gironde. « Gommer des collines et détruire les vallées va émettre 4,5 millions de tonnes de CO2. Des émissions qu’il est impossible de récupérer. » Selon la contre-enquête du collectif Nina (LGV Ni ici, ni ailleurs), l’extraction d’autant de gaz à effet de serre représente l’équivalent de 28 millions de personnes faisant l’aller-retour Toulouse-Paris en avion.
Le bilan carbone de ce projet serait ainsi négatif jusqu’en 2050. Et là où ça coince, c’est pour la mobilité des habitants autour du projet. Le chantier demandera de telles infrastructures que plusieurs routes et gares de campagnes seront fermées. Ils seront obligés de faire une multitude de détours en voiture pour se rendre à une gare où passe la LGV.
Le sachiez-tu ?
C’est, en millions d’euros, le coût moyen d’un kilomètre de la ligne LGV Bordeaux-Toulouse. Elle serait la plus coûteuse de toutes les lignes à grande vitesse françaises déjà construites.
C’est arrivé près de chez nous
La vallée du Ciron : victime colossale de la LGV
La vallée du Ciron est située au sud de Langon, entre les Landes et le Lot-et-Garonne. Elle est reconnue par les scientifiques pour sa biodiversité exceptionnelle. Sa rivière longue de 97 kilomètres et sa forêt de hêtres vieille de 40 000 ans lui ont permis d’obtenir le label européen Natura 2000. Autrement dit, la vallée fait désormais partie des sites naturels dont les espaces et les habitats menacés sont protégés. Il est par exemple interdit d’utiliser des produits phytosanitaires et de faire construire une maison sur ce territoire. Pourtant, la future LGV passerait en plein dans la vallée.
Pour Virginie, membre du collectif Ni ici, ni ailleurs, cette décision est incompréhensible. « C’est le plus grand chantier des dix prochaines années, c’est un boulet écologique dans une zone naturelle précieuse. » Le tracé prévu de la LGV forme un triangle ferroviaire autour du Ciron, entre les communes de Bernos-Beaulac, Captieux et Lerm-et-Musset afin de relier les branches Bordeaux-Dax et Bordeaux-Toulouse de la ligne. Mais pour ce faire, trois viaducs devraient enjamber le Ciron. Pierre Barbedienne, président de la Sepanso de Gironde, alarme : « Les écoulements d’eau ne se feront plus. Les affluents du Ciron seront coupés ce qui créera un barrage, puis une dépression qui réchauffera inévitablement les eaux. »
Des coulées de béton en pleine nature
Une décision qui, à terme, modifierait drastiquement le microclimat de la vallée et ferait disparaître les espèces menacées comme la loutre d’Europe ou les chauve-souris. Le vin de Sauternes n’existerait probablement plus lui non plus, sans ce microclimat particulier qui développe le champignon de la « pourriture noble » qui lui donne son goût sucré.
En plus d’un impact sur la qualité de l’eau, c’est aussi l’artificialisation des sols qui pose problème : la LGV prévoit de détruire 4 500 hectares de zones naturelles et 1 500 hectares de zones agricoles, un effondrement pour la biodiversité en Nouvelle-Aquitaine. « La faune et la flore seront remplacées par des coulées de béton, des pelleteuses et une artificialisation des sols pour faire place aux rails », se désole Philippe Barbedienne. D’autant que l’eau de la rivière sera automatiquement polluée par le désherbage chimique pour l’entretien des voies. Face à ce chantier colossal, plusieurs collectifs comme Nina ou Stop LGV Bordeaux métropole s’allient pour faire de la pédagogie aux citoyens.
Mais vont-ils réussir à faire dérailler le projet de LGV ?
Pour aller plus loin
✊Le Ciron, prochain Notre-Dame-des-Landes ? Des citoyens s’organisent pour créer une Zone à Défendre sur le territoire.
🎙️ Drame en trois actes. Le podcast C’est bientôt demain revient en 3 épisodes sur l’histoire du Ciron et la lutte contre la LGV.
🪧Le sujet des oppositions à la LGV vous intéresse ? Le site Alternative LGV réunit des élus, acteurs associatifs et citoyens qui militent pour une rénovation des lignes existantes.
– Cette newsletter a été conçue par Clémence Postis, Amandine Sanial, Ana Hadj-Rabah et Margaux Pantobe.