Aujourd’hui, on se demande comment trouver un médecin en Nouvelle-Aquitaine.
Le nouveau premier ministre Sébastien Lecornu a promis une offre de soin à trente minutes de chez soi d’ici 2027. L’accès à la santé est de plus en plus inégal dans les campagnes, mais aussi dans les villes moyennes et les périphéries urbaines.
En Nouvelle-Aquitaine, 37 % des habitant·es déclarent avoir déjà renoncé à des soins, faute de rendez-vous ou de soignants disponibles.
Dans cette newsletter, vous découvrirez les causes de cette désorganisation, ses effets concrets dans la région. Et avec Médecins Solidaires, une initiative née en Nouvelle-Aquitaine, qui envoie chaque semaine des médecins généralistes volontaires dans des centres de santé situés en zone sous-dotée.

Le coup de loupe
Les déserts médicaux c’est juste à la campagne ?
Pas seulement. En Nouvelle-Aquitaine, 404 000 habitant·es, soit 6,5 % de la population, vivent dans des zones classées sous-dotées par l’Agence régionale de santé (ARS). La Creuse en reste l’image forte : le département compte moins de 100 généralistes et moins de 80 spécialistes toutes spécialités confondues, la plupart proche de la retraite ! Dans ce département de plus de 115 000 habitants, il n’y a tout simplement aucun dermatologue… et un seul pédiatre.
Mais cette pénurie s’installe aussi ailleurs. L’ARS a identifié 46 quartiers prioritaires en manque de médecins, autour de Bordeaux, Libourne ou Blaye. Ici, ce n’est pas la distance qui pose problème, mais le délai pour obtenir un rendez-vous. Et dans les quartiers populaires, le problème dépasse la seule offre médicale. « On pourrait dire qu’il suffit de se déplacer. Mais les dépassements d’honoraires, le coût des transports et le sentiment de ne pas être à leur place dans ces quartiers limitent l’accès », explique le géographe Emmanuel Vigneron pour l’Observatoire des inégalités.

Surtout, la situation se tend aussi dans les grandes villes comme Bordeaux. Contrairement aux idées reçues, l’offre médicale y recule également : les jeunes praticien·nes hésitent à s’y installer. Entre les loyers exorbitants et les locaux de plus en plus rares, beaucoup jugent l’installation en ville trop compliquée et pas assez attractive. Résultat, même au cœur des métropoles, décrocher un rendez-vous devient de plus en plus difficile !
Mais comment on s’est retrouvé là ?
C’est le résultat d’un enchaînement de choix politiques et de transformations sociales restés sans réponse. Vous connaissez la chanson du Numerus Clausus. Pendant plus de 30 ans, l’État a limité le nombre de médecins formés. L’objectif était de contenir les dépenses de santé. Cette décision a durablement réduit les effectifs de médecins alors que les départs à la retraite s’accélèrent. La Creuse a vu le nombre de généralistes chuter de 34 % entre 2010 et 2025, dont 13 % sur les trois dernières années.
Cette pénurie se combine à une évolution du métier. Les jeunes praticien·nes ne veulent plus reprendre le modèle du « médecin de famille » seul dans son cabinet, avec des semaines sans fin. La tendance est mesurable : selon une note de la DREES, plus d’un médecin sur deux (56 %) choisit son lieu d’installation en fonction de l’offre de soins déjà présente, autant que pour les écoles ou les transports. Et le fossé générationnel est marqué : 73 % des moins de 40 ans privilégient l’exercice collectif, contre seulement 27 % chez les plus de 60 ans.

Le problème se joue aussi dans la formation. Le Limousin par exemple ne dispose pas de faculté dentaire. Pour compenser, la Haute-Vienne mise sur les périodes de stages des étudiant·es : cette année, six externes en médecine dentaire seront formé·es au CHU de Limoges dans l’espoir de les retenir dans la région. Mais ces efforts restent fragiles tant que les moyens manquent : former un praticien·ne suppose aussi du matériel et des infrastructures, ce dont le territoire est encore insuffisamment doté.
Avec les téléconsultations maintenant on a moins de problèmes, non ?
Pas vraiment. Leur essor pendant le Covid a pu donner l’illusion d’une révolution. En quelques années, on a vu apparaître des cabines de téléconsultation dans certaines pharmacies ou mairies, présentées comme la réponse aux déserts médicaux.
Ces initiatives ont permis de maintenir un minimum de suivi dans des zones délaissées, de renouveler une ordonnance ou d’éviter un déplacement inutile. Mais elles restent un pis-aller : les recherches de la géographe Sarah Le Hir insistent sur ce point, la téléconsultation ne devient réellement efficace qu’à condition d’être intégrée à une offre territoriale plus large, articulée autour de maisons de santé ou de structures collectives capables de recréer une proximité.

Dans la pratique, son efficacité reste très limitée. Les téléconsultations à domicile ne concernent qu’une partie de la population : encore faut-il être bien équipé·e et à l’aise avec le numérique. Quant aux cabines installées dans les pharmacies ou les mairies, elles reposent sur des financements précaires. Dans la région, plusieurs ont déjà fermé, faute de modèle économique viable. La téléconsultation reste marginale. En 2023, elle n’a représenté que 2 % de l’ensemble des actes médicaux.
Le sachiez-tu ?

C’est le nombre d’habitant·es qui n’ont pas de médecin traitant dans les Pyrénées-Atlantiques. Il s’agit du record national — seuls 11 % des Français·es sont dans cette situation.
Du côté de chez nous
Face aux déserts médicaux, Médecins Solidaires fait renaître la santé en Nouvelle-Aquitaine
Et si, pour soigner les déserts médicaux, on arrêtait d’attendre qu’un médecin s’y installe ? C’est le pari de Médecins Solidaires qui, depuis 2022, fait venir chaque semaine des généralistes volontaires dans des centres de santé.
Derrière cette initiative se trouve le Dr Martial Jardel. Originaire de Haute‑Vienne, il a enchaîné dix remplacements dans dix départements juste après sa thèse en 2021. Un tour de France qui lui a fait découvrir la réalité des déserts médicaux. « Quand on est médecin et qu’on traverse un village avec des banderoles “cherche médecin”, ça nous bouleverse un peu. Mais si la seule proposition c’est de ne rien faire ou de s’installer trente ans, ça ne suffit pas », raconte‑t‑il.

De ce choc est née l’idée d’une autre voie. Avec le soutien de Bouge ton coQ !, il ouvre en octobre 2022 le premier centre à Ajain, dans la Creuse. Depuis, il résume la méthode en une formule devenue mantra : « Au lieu de demander beaucoup à peu de médecins, on demande peu à beaucoup. »
Le centre comme médecin traitant
L’association s’appuie aujourd’hui sur cinq centres de santé en Nouvelle‑Aquitaine : Ajain et Bellegarde‑en‑Marche dans la Creuse, Saint‑Sulpice‑les‑Feuilles en Haute‑Vienne, Secondigny dans les Deux‑Sèvres et Le Mas‑d’Agenais dans le Lot‑et‑Garonne. Depuis 2022, ces structures ont assuré plus de 56 000 consultations et près de 10 000 patients y ont trouvé un suivi régulier.
Ici, le médecin traitant n’est pas une personne, mais le centre lui‑même. Cela veut dire que le suivi médical reste au même endroit, même si les praticien·nes changent. Chaque semaine, un·e généraliste volontaire prend la relève en s’appuyant sur un dossier médical partagé et sur une coordinatrice salariée à temps plein. « C’est le visage fixe du centre, un repère pour tous », souligne le Dr Jardel. Pour les patient·es, l’adresse est une référence stable ; pour les médecins, la semaine est immédiatement opérationnelle.

Jardel insiste aussi sur la qualité : « on ne vient pas une semaine faire n’importe quoi, on s’inscrit dans un processus collectif qui implique une exigence. » Les patient·es découvrent même qu’avoir plusieurs regards médicaux peut être rassurant : « Quand quatre médecins vous disent que votre ordonnance est bonne, c’est plus rassurant qu’inquiétant », note‑t‑il.
De l’expérimentation à la stabilité
Aujourd’hui, environ 800 médecins ont déjà rejoint le collectif, et chaque semaine cinq à dix nouveaux praticien·nes s’y inscrivent. L’ambition ? Atteindre 2 000 médecins pour ouvrir 21 centres et garantir la pérennité du dispositif. Ce seuil permettrait de couvrir les frais fixes, de sécuriser les postes de coordinatrices et d’assurer une continuité sans dépendre de financements ponctuels.

Pour l’heure, l’association fonctionne grâce à un mélange de financements publics (ARS, collectivités locales) et de recettes liées aux consultations. Des ressources utiles, mais encore fragiles et inégales. L’enjeu est de franchir un cap : passer d’une expérimentation précaire à un modèle durable, capable de s’autofinancer, de stabiliser ses équipes et de se déployer ailleurs.
Cette quête de pérennité se double d’un impact concret. À Ajain, après deux ans et demi de fonctionnement, la présence médicale fait désormais partie du quotidien. « Toutes les maisons sont vendues, le café a été repris, la pharmacie a été solvabilisée, l’épicerie a augmenté son chiffre d’affaires », constate le Dr Jardel. « Quand l’accès aux soins est rétabli, le village peut repartir dans une perspective positive. » Plusieurs travaux confirment ce lien.
Les sociologues de la santé parlent de l’offre médicale comme d’un « capital territorial » : sa présence conditionne l’installation des familles, l’arrivée de nouveaux habitants et la survie des commerces de proximité. De quoi donner du poids à ce qui se voit à Ajain : quand les soins reviennent, c’est tout un territoire qui reprend vie.
Pour aller plus loin
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