Aujourd’hui, on part à la recherche des oeuvres spoliées dans les musées de la région.
Cette newsletter a été envoyée à nos inscrit·es le 29 octobre 2024.
En 2017, Emmanuel Macron promettait de réunir « d’ici cinq ans, les conditions pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain ». En Nouvelle-Aquitaine, où une part importante de ce patrimoine est préservée, les musées passent à l’action. Cet été, le musée d’Angoulême a renvoyé une quarantaine de pièces archéologiques au Cameroun.
Dans cette newsletter, vous découvrirez quels sont ces objets volés, les enjeux éthiques qui entourent leur restitution, et les initiatives concrètes qui visent à décoloniser les musées néo-aquitains.
Le Coup de Loupe
C’est quoi ces « objets volés » ?
Bijoux, instruments du quotidien, restes humains… Ces « objets volés » désignent des pièces acquises dans le contexte de la domination coloniale en Afrique. « On parle d’objets volés quand le contexte de l’obtention rend impossible le consentement », développe Clarisse Gomis, secrétaire générale de l’association girondine Mémoires et Partages qui promeut un travail de mémoire sur la colonisation.
Tous les biens culturels en Europe ne sont donc pas des « objets volés ». Ce point est au cœur du rapport Restituer le patrimoine africain rédigé en 2018 par Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, à la demande d’Emmanuel Macron. Ce document préconise la restitution des œuvres acquises lors des conquêtes militaires, des missions scientifiques, ou encore des objets entrés illicitement dans les collections après les indépendances de 1960.
Mais comment déterminer l’origine de ces objets ? C’est le casse-tête auquel se frottent de nombreuses institutions face au manque de sources. Pour faciliter cette tâche, l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) et le musée d’Angoulême ont créé en 2021 une carte en ligne des collections africaines et de leurs archives. Ainsi en Nouvelle-Aquitaine, 42 musées possèdent des pièces originaires du continent africain.
Pourquoi les musées en Nouvelle-Aquitaine ont-ils autant d’objets africains ?
La présence importante d’objets africains dans les musées de Nouvelle-Aquitaine s’explique en partie par son passé colonial. « La région comptait quatre ports stratégiques : Bordeaux, La Rochelle, Rochefort et Bayonne. Ensemble, ils ont accueilli plus de 1 400 expéditions, servant de portes d’entrée et de sortie pour le territoire français », explique Clarisse Gomis de Mémoires et Partages. « De grandes expéditions sont passées par la Nouvelle-Aquitaine, notamment celle de Pierre Savorgnan de Brazza, fondateur de la ville de Brazzaville au Congo. » Bordeaux, en particulier, s’est imposé comme le deuxième port négrier de France, devenant un carrefour clé des échanges entre l’Europe et ses colonies.
Cette dynamique a également conduit de nombreux chercheurs, ethnologues et archéologues à s’installer dans la région, contribuant à l’enrichissement des collections muséales par leurs dons. C’est le cas du musée d’Angoulême, qui détient aujourd’hui la deuxième plus grande collection d’objets africains en France. En 1934, il a reçu plus de 3 200 objets, dont 65 % sont d’origine subsaharienne, grâce au legs du docteur Jules Lhomme. « Ce sont des pistes de réflexion, nous en sommes encore au début de nos recherches pour comprendre comment des villes éloignées de l’océan, comme Angoulême, ont pu rassembler autant d’objets », précise Émilie Sallabery, directrice du musée d’Angoulême.
Est-ce que c’est la fin des collections africaines dans les musées français ?
Pas du tout ! Le débat sur la restitution des collections africaines est loin d’être clos, en grande partie en raison du principe d’inaliénabilité qui régit les collections publiques en France. En bref, la restitution des œuvres ne peut se faire qu’au cas par cas, par le biais de lois spécifiques. C’est pourquoi, à ce jour, parmi les sept demandes officielles de restitution, seules celles du Bénin et du Sénégal ont abouti.
Tous les pays africains ne cherchent pas non plus à récupérer leurs objets. De nombreux États africains n’ont pas formulé de demande officielle de restitution, souvent par manque de moyens ou d’infrastructures. De plus, la restitution ne signifie pas nécessairement que les objets retourneront en Afrique. Il s’agit également de permettre à ces pays de retrouver une propriété symbolique et de participer à la discussion autour de leur patrimoine culturel.
Ainsi, certaines œuvres restituées peuvent rester conservées dans des musées en France sous forme de prêts. « Il faut aborder chaque cas individuellement selon les pays concernés. Une approche créative est essentielle pour assurer des échanges équitables. On pourrait envisager une taxe prélevée dans les musées pour soutenir des initiatives artistiques et éducatives dans les pays concernés », suggère Clarisse Gomis.
Enfin, même si tous les objets devaient être restitués, l’impact sur les musées serait relatif. En effet, plus de la moitié des objets africains détenus par les musées français sont conservés en réserve selon la chercheuse de l’art Bénédicte Savoy.
Le sachiez-tu
C’est le pourcentage d’objets du patrimoine culturel subsahariens éparpillés hors de leur continent selon le rapport Saar-Savoy. Il s’agit principalement d’objets du quotidien, mais aussi d’œuvres d’art, de pièces archéologiques et d’objets de culte.
C’est arrivé près de chez nous
La restitution des oeuvres volées : un devoir moral pour Angoulême ?
Fin juin, 40 pièces archéologiques ont pris la route de Yaoundé, au Cameroun, en provenance du musée d’Angoulême. Ce transfert historique symbolise le résultat d’un combat acharné, mené depuis 2011 par Émilie Salaberry, alors responsable des collections extraeuropéennes du musée.
Tout commence en 2008 avec la disparition de Jean-Gabriel Gauthier, ethnologue et archéologue angoumoisin proche du peuple Fali, une population montagnarde au nord du Cameroun. Au fil de ses voyages d’études, le chercheur a rassemblé une précieuse collection de plus de 400 pièces dans son laboratoire du CNRS à Bordeaux. Un ensemble riche qui éclaire plusieurs siècles d’histoire et témoigne notamment du mode de vie et des pratiques funéraires du peuple de Sao, une des civilisations les plus anciennes d’Afrique de l’Ouest.
À son décès, la famille de Jean-Gabriel Gauthier se tourne vers le musée d’Angoulême pour faire don de ces pièces. Mais la responsable, Émilie Salaberry, décide de ne pas intégrer les pièces archéologiques dans les collections du musée. Elle explique : « Ces pièces proviennent de fouilles réalisées dans le cadre des collaborations entre la France et le Cameroun. Elles ont été exportées avec des autorisations officielles et étaient destinées à retourner au Cameroun après leur étude. Par conséquent, elles appartenaient à l’État camerounais et non à leur découvreur. » Et plutôt que d’intégrer ces pièces à son inventaire, elle décide de les inscrire comme un « dépôt » camerounais affirmant ainsi la légitimité de leur retour vers leur pays d’origine.
Avant 2017, un non-sujet ?
La chasse aux informations peut alors commencer. Émilie Salaberry se met en quête de réponses, écrivant au ministère de la Culture camerounais, à l’ambassade de France et au consulat pour se renseigner sur les procédures à suivre. Cependant ses efforts se heurtent à un mur de silence : aucune réponse ne lui parvient, malgré ses relances répétées. « Il n’y avait en réalité rien pour m’accompagner dans mes démarches », souligne-t-elle. Pendant six ans, elle poursuit ses sollicitations : elle interroge ses collègues africanistes, essaie de créer des partenariats au Cameroun et se rend même sur place pour faire valoir sa demande. Rien n’y fait.
Le discours prononcé par Emmanuel Macron à Ouagadougou en 2017 marque un tournant décisif. Le président de la République promet de réunir, d’ici cinq ans, les conditions nécessaires pour permettre des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain. Ce moment symbolique ouvre un dialogue fructueux au sein des musées sur une question cruciale : que faire des œuvres africaines acquises dans des conditions contestables ?
« J’ai eu la chance, dans ce projet, de bénéficier d’un contexte politique favorable et de croiser beaucoup de personnes déterminées », confie Émilie Salaberry. En 2021, elle rencontre Yann Lorvo, conseiller culturel à l’ambassade de France au Cameroun, lors du sommet Afrique-France de Montpellier. Cet échange donne lieu à une collaboration étroite entre les deux pays.
Naît alors une double ambition au sein du musée national du Cameroun : la création d’une salle d’archéologie et l’organisation d’une exposition temporaire de 2000 m² sur le Septentrion, au nord du Cameroun. « Nous avons profité du projet d’exposition temporaire avec des pièces du musée d’Angoulême pour établir une convention de dépôt avec le Cameroun », explique-t-elle. Ainsi, même si seulement 40 pièces ont fait le voyage, l’essentiel de la collection est considéré comme propriété du musée camerounais.
Décoloniser les musées néo-aquitains
Pour s’inspirer de l’approche du musée d’Angoulême, l’association décoloniale Mémoires et Partages souhaite s’entretenir avec les responsables des collections extraeuropéennes de la région. « L’objectif est d’infuser une pratique décoloniale au sein de tous les musées de la région », souligne Clarisse Gomis, secrétaire générale de l’association. Dans cette même optique, de nombreux musées se sont unis dans le cadre du projet de recherche Anada— Afriques — Nouvelle-Aquitaine, décolonisation des arts. « Restituer, c’est essentiel. Mais en amont il y a tout un travail de réécriture de l’histoire », conclut Émilie Salaberry. « Nous sommes à l’aube d’une période riche en recherches sur l’histoire des collections. »
Pour aller plus loin
🖼️ Le musée (dé)colonial. Est-il possible de repenser le musée ? Le podcast La Couleur de l’Art aborde cette question cruciale à travers une série de quatre épisodes, explorant les processus de décolonisation des institutions culturelles de Paris à Dakar en passant par Montréal.
🕵🏽♀️ Restituer ? L’Afrique en quête de ses chefs-d’œuvre. Dans ce documentaire, Arte est allée à la rencontre des musées africains qui se préparent à recevoir leurs œuvres.
👁️🗨️ Bordeaux, plaque tournante du commerce triangulaire, fait son devoir de mémoire au musée d’Aquitaine. Depuis 2009, l’établissement a ouvert quatre salles dédiées à la mémoire de l’esclavage. France-Culture nous explique l’ambition du musée d’être un « musée de société ».
– Cette newsletter a été conçue par Kinda Luwawa et Clémence Postis.