Chaque automne, Octobre rose repeint nos rues et nos écrans de sa couleur d’espoir. Mais derrière cette campagne de sensibilisation, il y a des vies bouleversées, des corps fatigués et des parcours de soins inégaux. En Nouvelle-Aquitaine, la guérison ne se joue pas seulement à l’hôpital : elle se tisse aussi dans la solidarité. Rencontre avec celles qui réinventent le soin autrement.
Cette newsletter a été envoyé à nos inscrit·es le 21 octobre 2025.
Aujourd’hui, on explore la reconstruction physique et mentale après le cancer.
C’est un rituel immuable depuis près de trente ans. Chaque mois d’octobre, des rubans roses se glissent sur les publications des réseaux sociaux, s’accrochent aux vitrines des pharmacies et s’invitent sur les maillots des coureur·euses. Octobre devient rose et rappelle à toustes l’importance du dépistage et de la recherche.
Mais derrière cette campagne internationale, il y a celles et ceux qui vivent la maladie au quotidien. Submergé·es par les traitements, épuisé·es par les effets secondaires, miné·es par la fatigue et l’inquiétude. Car en France, on soigne le cancer pour le faire disparaître. Mais le soin, au sens large, dépasse la seule guérison biologique. Il touche aussi à la reconstruction physique et psychologique. Et sur ces terrains-là, les inégalités demeurent criantes.

Dans cette newsletter, on vous propose de regarder au-delà du traitement. De comprendre comment on soigne le cancer aujourd’hui, certes, mais aussi quels soutiens existent réellement en Nouvelle-Aquitaine et quelles initiatives locales réinventent la guérison autrement. Nous partons à la découverte des Hébergeuses solidaires, une association née il y a un an en Gironde, où des femmes ouvrent leurs portes à d’autres femmes touchées par le cancer, pour leur offrir un havre de paix, le temps de quelques jours.
Le coup de loupe
Ce qui compte, c’est de réussir à soigner le cancer, non ?
En France, près de 433 000 nouveaux cas de cancer ont été diagnostiqués en 2023, selon l’Institut national du cancer (INCa). Et même si les progrès médicaux ont considérablement amélioré le taux de survie des patients, le chemin de la guérison continue, quant à lui, d’être semé d’embûches. Car le traitement du cancer ne s’arrête pas à la disparition de la tumeur. Il laisse derrière lui un corps fatigué, une vie bouleversée, une santé mentale fragilisée.
J’ai été voir un magnétiseur, une naturopathe, un ostéopathe… Ça m’a coûté une blinde, mais sans ça je n’aurais pas avancé comme je l’ai fait.
« À côté des soins médicaux, il faut s’occuper de la personne : les patients ont besoin d’un accompagnement, qu’on les aide à supporter leurs traitements. Or, le constat actuel est plutôt celui d’un recul des droits et d’une hausse des inégalités au sein du système de santé », confiait Philippe Bergerot, président de La ligue contre le cancer, dans un entretien au Monde en juin 2025.
Ce constat, Alexia, 51 ans, qui vit en Dordogne, l’a vécu de plein fouet. Diagnostiquée d’un cancer du sein en 2023, elle enchaîne dix-huit mois de protocoles : chimiothérapie, chirurgie, rayons, immunothérapie. « Les soignantes étaient adorables, mais parfois, j’aurais aimé qu’il y ait un vrai accompagnement. On m’a donné une psychologue au début, puis elle ne venait plus, faute de temps. » Alexia finit par chercher seule d’autres soutiens : « J’ai été voir un magnétiseur, une naturopathe, un ostéopathe… Ça m’a coûté une blinde, mais sans ça je n’aurais pas avancé comme je l’ai fait. Ce n’est pas que la médecine traditionnelle, il y a tout le reste à côté. », assure-t-elle.

Dans plus d’un cas sur trois, les patients ne sont par orientés vers des soins de support depuis le début de leurs parcours, et ce malgré leurs séquelles. On parle ici d’un accompagnement social et psychologique, une prise en charge de la douleur ou encore des conseils nutritionnels. Les personnes les plus touchées sont souvent celles qui ont peu de diplômes et qui résident dans des territoires où l’offre de soins est limitée.
Et en Nouvelle-Aquitaine, ça se passe mieux ?
Même si les soins de support sont essentiels, leurs mises en œuvre restent inégales et dépendent fortement du territoire. Selon une étude réalisée par La ligue contre le cancer, parmi les personnes n’ayant reçu aucun soin support, 19% y ont renoncé pour des raisons financières ou géographiques.
Les soignants font ce qu’ils peuvent, mais tout le monde est épuisé, pris dans un rouleau compresseur. Il faut aider le personnel soignant aussi.
Et face à cette problématique d’inégalité territoriale, la Nouvelle-Aquitaine n’y échappe pas. La région est vaste, contrastée et ça se ressent jusque dans les parcours de soins. Si Bordeaux ou Limoges bénéficient de grands centres hospitaliers spécialisés, certains départements comme la Creuse ou la Charente affichent un déficit criant de structures de soutien et d’associations. Accéder à un psychologue, une socio-esthéticienne ou même un groupe de parole dépend finalement de l’endroit où l’on vit.
Alexia le raconte : « À Bergerac, il n’y avait rien. Quand la Ligue m’a appelée, on m’a dit que la réflexologue allait venir… dans un an ! Sinon, il fallait aller à Périgueux, à une heure de route. Déjà que je faisais les trajets jusqu’à Bordeaux, je n’allais pas me rajouter ça. » Elle poursuit : « Les soignants font ce qu’ils peuvent, mais tout le monde est épuisé, pris dans un rouleau compresseur. Il faut aider le personnel soignant aussi. »
Existe-t-il des initiatives locales pour pallier à ce manque ?
Face à ces disparités territoriales, certains ont dégainé leurs propres remèdes. En Gironde, le service DomiLigue arpente les routes pour apporter chez les patients des séances de sophrologie, de socio-esthétique ou de soutien psy, gratuites et financées par la Ligue contre le cancer.

En Haute-Garonne, un Médicobus flambant neuf sillonne le département, tel un vrai cabinet médical sur roues. Son objectif ? Améliorer l’accès aux soins dans les zones les plus vulnérables de la région. Partout, les Maisons de santé pluridisciplinaires poussent comme des relais de fortune, rassemblant soignants et bénévoles pour maintenir un accès aux soins dans les zones reculées.
Et quand les kilomètres deviennent trop lourds, les Hébergeuses solidaires ouvrent leurs portes à prix doux aux femmes venues de loin se faire soigner. Ici, la solidarité remplace les grands plans.
Le sachiez-tu ?

C’est le nombre moyen de nouveaux cas de cancer diagnostiqués chaque année dans la région Nouvelle-Aquitaine.

C’est arrivé près de chez nous
Tout débute en 2023. Maïté Belair, aujourd’hui âgée de 47 ans, est alors en plein traitement de cancer du sein. Isolée dans la campagne girondine, loin de toute association locale, elle ressent « le besoin de passer un moment avec d’autres femmes qui vivent la même chose ». Elle décide alors de publier un message sur le compte Instagram de ses gîtes, où elle propose à des femmes atteintes de cancer de venir se réunir le temps d’un week-end. Une inconnue, Lucile, lui répond spontanément de venir se reposer gratuitement dans un de ses gîtes. C’est ce geste simple qui déclenche tout.
Une idée née d’une expérience personnelle
Un an plus tard, en octobre 2024, alors que Maïté commence à sortir la tête de l’eau après un parcours compliqué, elle se dit que cette action doit se développer. « Je souhaitais permettre aux femmes de décompresser le temps de quelques jours. Je voulais les aider, parce que financièrement, ce n’est pas toujours facile quand on est malade », explique-t-elle. Alors pour la seconde fois, accompagnée de Lucile, elle lance l’idée sur Instagram et en à peine deux semaines, 80 hébergeuses se manifestent. L’aventure des Hébergeuses solidaires commence.
Elles sont aujourd’hui 138 hébergeuses à proposer leurs gîtes, chambres d’hôtes ou chambres dans des petits hôtels familiaux. Réparti sur 56 départements, de la métropole à la Guadeloupe, le choix est vaste pour celles qui souhaitent trouver un refuge. L’objectif de l’association ? Continuer de se développer, afin d’être présente sur le plus de départements possible car « lorsque les femmes sont malades, elles n’ont pas toujours la force ou l’envie de faire une longue distance pour se reposer. On peut parfaitement déconnecter en étant à 30 minutes de chez soi ».
La seule option que l’on m’a proposée au cours de mon traitement c’était une cure à la Roche-Posay prise en charge par la Sécu… Mais il fallait payer le logement et les repas pendant trois semaines.
Jusqu’à présent, 31 séjours ont été validés. Ils étaient soit gratuits soit accompagnés de gestes commerciaux comme « une nuit réservée, la seconde offerte ». L’association a décidé de fonctionner sur la confiance. Généralement, les femmes sont aiguillées par des partenaires relais, associations ou établissements de santé, qui connaissent leur situation et peuvent proposer ces séjours. Aucun document médical n’est exigé, car c’est « c’est personnel et que ce n’est pas à nous de le demander », précise Maïté.
Des moments de répit précieux
Les hébergements sont choisis pour leur dimension humaine et leur capacité d’accueil. Des fleurs, un cadeau, parfois une séance de sophrologie : tout est pensé pour offrir un vrai temps de pause. À travers cette initiative, l’association souhaite pallier à un vrai manque : celui de proposer du repos aux personnes atteintes de cancer. « La seule option que l’on m’a proposée au cours de mon traitement c’était une cure à la Roche-Posay prise en charge par la Sécu… Mais il fallait payer le logement et les repas pendant trois semaines. » Ici, les Hébergeuses Solidaires, proposent non seulement une déconnexion du cadre médical, mais aussi un moment à partager avec des proches.

Les témoignages des premières bénéficiaires sont touchants. « Grâce à vous, j’ai fait 48h de break. J’avais l’impression d’être en vacances », confie l’une d’elles. Ces instants permettent aux participantes de respirer, d’échanger et de se reconnecter à elles-mêmes.
Une solidarité féminine et inclusive
Si aujourd’hui, une grande majorité des hébergeuses sont des femmes et que les personnes aidées le sont aussi, Maïté est claire sur le fait que « jamais elles ne refuseront un séjour à un homme ou un enfant malade ». Toutefois, cela lui tient à cœur que toutes les publications se déclinent au féminin et que les femmes soient au cœur de cette initiative car « une femme sur huit est touchée par le cancer ». L’idée est que le répit soit concret, immédiat et accessible, sans barrières financières ni contraintes administratives.
Ces bulles de pauses rappellent que la solidarité peut être simple. Et parfois, une nuit loin de la maladie, près d’autres personnes qui comprennent ce qu’elles vivent, peut changer un quotidien.

Pour aller plus loin
⚕️Frustration Magazine interroge la communication autour d’Octobre rose. Si la mammographie sauve des vies, elle n’est pas sans risques : surdiagnostic, traitements lourds, culpabilisation… Le média appelle à une information complète et transparente, loin des slogans simplifiés et des campagnes de “pinkwashing”.
💬 Ce podcast retrace le parcours de Clémentine Lecalot-Vergnaud, journaliste décédée à 31 ans, après un an et demi de lutte contre un cancer. Dans ce podcast bouleversant, elle racontait son quotidien, ses espoirs et ses doutes.
📱Franceinfo présente CancerBuddy, une application gratuite qui met en relation malades, survivant·es et proches. Inspirée des plateformes de rencontre, elle brise l’isolement et crée des liens entre celles et ceux qui partagent la même épreuve.