Aujourd’hui, on s’interroge sur les liens entre les cancers pédiatriques et les pesticides en Charente-Maritime.
Cette newsletter a été envoyée à nos inscrit·es le 2 avril 2024.
Entre l’allègement du plan de réduction des pesticides et la nouvelle Politique agricole commune très phyto friendly, les inquiétudes autour de la pollution de l’environnement se multiplient. Sauf que, en Nouvelle-Aquitaine comme ailleurs, cet environnement dégradé bousille la santé de celles et ceux qui y habitent, à commencer par les plus fragiles : les enfants.
Dans cette newsletter, vous apprendrez comment et pourquoi certaines communes battent de tristes records de cancers pédiatriques avant de découvrir, à côté de La Rochelle, une association qui a décidé de produire les études qui manquent pour agir contre leurs causes.
Le coup de loupe
C’est courant les cancers chez l’enfant ?
Normalement, non. Les cancers chez l’enfant restent minoritaires par rapport à la population générale. Depuis 2000, un Registre des tumeurs solides de l’enfant (RNTSE) recueille les cas à travers la France. Dans une étude de Santé Publique France, parue en 2010 et qui s’intéresse à la période 2000 à 2004, 0,5 % des cancers se déclaraient chez les moins de 15 ans. Et 0,2 % des décès liés à des cancers avaient lieu dans cette population. Autrement dit, c’est un enfant sur 440 qui va développer un cancer.
Ces maladies n’étant pas contagieuses, une concentration trop importante de cas dans le temps et dans l’espace éveille la vigilance. Et si c’était l’environnement qui rendait les gens malades ?
Qu’est-ce qui se passe quand beaucoup de cancers se déclarent au même endroit ?
Malgré l’existence d’un registre national pour les enfants et d’un registre partiel pour les adultes, c’est bien souvent la société civile qui tire la sonnette d’alarme sur un « cluster » de cancer.
En 2008, une association de parents d’élèves de Draveil, en région parisienne, signale à leur mairie un nombre anormalement élevé de tumeurs chez des enfants scolarisés dans l’école du Belvédère et leurs parents. Le maire saisit la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (Ddass) qui embarque la Cellule interrégionale épidémiologique pour mener une enquête.
Parmi les causes possibles, les autorités sanitaires énumèrent tous les sites industriels susceptibles de polluer l’air ou l’eau dans les parages, les lignes à haute tension, les installations nucléaires, les sites pollués, exploitations agricoles… ainsi que le suspect numéro 1 des plaignants : un groupe d’antennes relais installées sur un château d’eau à 300 mètres du groupe scolaire.
Quand une source particulière est isolée, le taux d’exposition est étudié. Dans le cas de Draveil, c’est la quantité d’ondes rayonnant sur la cour de l’établissement que le cabinet Emitech a étudié pour la comparer à celle des autres quartiers de la ville. Conclusion : le rayonnement étant homogène, cette cause environnementale fut écartée et l’investigation arrêtée.
Est-ce qu’on arrive parfois à trouver la source de ces cancers ?
Identifier une seule et unique raison s’avère un casse-tête. En face des inventaires des sources et évaluations de l’exposition, les autorités sanitaires épluchent les études épidémiologiques. Or quand 5 ou 6 personnes déclarent un cancer dans un même pâté de maisons, isoler les cas pour étudier chaque facteur séparément se révèle une gageure.
Ce fut tout d’abord le cas dans la commune de Preignac, à quelques châteaux de Langon, en Gironde. Sur interpellation du maire de la commune en 2015, l’Agence régionale de santé a initié une investigation. Dès cette lettre, les suspects principaux sont désignés : les traitements aux pesticides et sulfates des vignes à proximité de la cour d’école.
Contredisant l’avis des locaux, l’investigation sur cet agrégat de cancers pédiatriques conclue à l’absence de lien entre l’épandage de produits phytosanitaires et les 9 cas déclarés entre une période de 22 ans.
Dix ans plus tard, une étude de l’INSERM vient bousculer le débat. Pilotée par Stéphanie Goujon, Matthieu Mancini et Jacqueline Clavel (INSERM, université Paris Cité), la publication pointe à l’échelle nationale un risque légèrement accru (5 %) de certains types de cancers pédiatriques dans un rayon de 10 kilomètres autour des zones de culture de vignobles. Les données manquent hélas pour aller plus loin.
Le sachiez-tu ?
C’est le nombre de pesticides différents identifiés dans l’air par le capteur de Montroy, dans l’agglo de La Rochelle, lors de l’étude ATMO menée en 2023 contre 41 en 2021.
C’est arrivé près de chez nous
Saint-Rogatien, enfants malades
Quand un enfant déclare un cancer dans l’agglomération de La Rochelle, deux choix s’offrent à lui : prendre la voiture ou prendre le train. La préfecture ne disposant pas d’unité spécialisée, le soin en oncologie de la jeune patientèle ne peut être réalisé que dans le CHU d’une des grandes villes qui l’entourent : Bordeaux, Nantes ou Poitiers. C’est de ce dernier pôle qu’est partie l’alerte en 2018 : dans deux communes à l’Est de La Rochelle, 7 cas de cancers pédiatriques avaient été diagnostiqués en 12 ans. 4 à 7 fois plus qu’ailleurs en France.
Vous ne trouverez pas ces villes en carte postale sur le Vieux-Port. La première, Saint-Rogatien, marque la fin de l’urbanisation dense et le début des grandes plaines céréalières de l’Aunis. Quant à Périgny, elle est connue comme site industriel et industrieux, siège de la marque emblématique Léa Nature, traversée par une départementale tassée de poids lourds.
Dans sa recherche de causes environnementales, l’Agence régionale de santé croule sous les facteurs de risque : une usine d’enrobés qui embaume les alentours aux hydrocarbures, des lignes à haute tension qui câblent le cœur de l’agglo et, tout autour, une zone d’agriculture intensive qui collectionne les records dans l’épandage de glyphosate et autres produits volatils. Localement, les parents des victimes décident de faire de leurs exigences une bannière et créent en 2018 l’association Santé environnement 17 qui se présente bientôt aux élu·es de l’agglo.
Les « fautes à pas de chance »
S’en suit une série d’études, demandées voire financées en partie par la Communauté d’Agglomération de La Rochelle. Une première écarte les émanations de l’usine d’enrobés. Une autre se penchant sur les pesticides arrive à des conclusions plus ambiguës. Il flotte par là-bas un mélange inhabituel de polluants aériens : à Montroy où se trouve le capteur, 33 pesticides apparaissent en 2019, donc certains interdits depuis 1998. Les responsables agricoles assurent que, si un lien est établi, des mesures seront prises.
En 2021, les parents commencent à douter de la sincérité de ces promesses : les relevés déroulent alors 41 substances issues des épandages et des taux en augmentation. « C’est là où on s’est dit que les représentants agricoles nous avaient baladés », se remémore un membre de l’association.
En parallèle, les autorités de santé se penchent sur les autres facteurs : « Quand l’ARS est intervenue auprès des familles des enfants malades, elle a distribué des questionnaires sur l’environnement intérieur, se souvient Franck Rinchet-Girollet, parent et président de l’association ASE17. Ça nous a laissés perplexes. Aucun facteur commun n’a été trouvé, ça s’est arrêté là. »
Désemparés, les parents réalisent que leur cas souffre aux yeux des épidémiologistes de deux grosses faiblesses : une population trop faible pour l’étudier et un mélange de risque empêchant d’isoler un facteur commun. En 2019, l’INSERM a beau publier un rapport sur l’effet cocktail, qui pointe précisément le risque de voir le risque augmenter quand les pollutions se mélangent, le cas des enfants de la plaine rochelaise rejoint l’armoire des « fautes à pas de chance ». Faute à pas de données, surtout.
La science citoyenne pour sauver les enfants
« Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas », clame la tribune signée par 80 organisations en 2022 pour exiger la fin des pesticides de synthèse. Le territoire de La Rochelle y est décrit comme un cas d’école, un symbole, une terre de lutte : l’étude épidémiologique pointe l’excès de risque, les études pointent les causes possibles mais rien n’est fait.
Avec la visibilité apportée par la tribune, des fonds abondent pour soutenir la démarche des parents d’ASE17. Désormais dotés de moyens, ils et elles décident de les convertir en ce qui leur manque le plus : des données épidémiologiques.
En février dernier, l’association lance le projet « Nos enfants exposés aux toxiques » ou « NEXXT ». Cette étude citoyenne vise à étudier la présence de traces de toxique chez les jeunes habitant·es de La Rochelle de 3 à 17 ans dans six communes. « Nous attendions 70 enfants, nous avons eu 110 volontaires », se réjouit le président de l’association. La cohorte qui manquait attend désormais les premiers prélèvements.
Si les traces de pesticides occupent le haut de la liste des cibles, ASE17 insiste sur l’objectif de la démarche : « nous voulons accompagner la transition agricole et industrielle, bosser avec les agriculteurs, martèle Franck Rinchet-Girollet. Il s’agit juste d’appliquer le principe de précaution : si un produit rend les gens malades, pourquoi ne le retire-t-on pas de notre environnement ? »
Pour aller plus loin
🍇 « C’est un signal épidémiologique » Coautrice de l’étude de l’INSERM qui a pointé l’augmentation du risque de cancer pédiatrique à proximité des vignes, Stéphanie Goujon revenait en novembre pour Sud-Ouest sur le plus gros problème du débat : un manque criant de données de recherche.
🧪 La contribution des pesticides « ne peut être exclue » — Village de Gironde comme tant d’autres, Preignac constitue le point de départ d’un questionnement sur l’agriculture à partir de la vigne. Dès 2015, nos collègues de Bastamag racontaient l’émergence d’un terrain de réflexion et de lutte.
– Cette newsletter a été conçue par Sylvain Lapoix et Clémence Postis.