Aujourd’hui, on se demande s’il faut interdire la chasse.
Cette newsletter a été envoyée le 28 février 2023.
C’est terminé. Ce soir, la saison de la chasse prend fin sur la plupart du territoire, et dans tous les départements de Nouvelle-Aquitaine. Mais entre les accidents qui ont touché des promeneurs ou des chasseurs eux-mêmes cet hiver, la question d’interdire la chasse un jour par semaine (voire pour de bon) continue de faire débat. Combien de personnes ces accidents touchent-ils ? Et que changerait une interdiction de la chasse
Dans cette newsletter, vous allez découvrir ce que coûte la chasse, ses conséquences sur la faune, et une autre façon de vivre avec des animaux sauvages.
Le coup de loupe
Ça coûte combien la chasse ?
D’abord, rappelons qu’il n’y a pas « une chasse » mais « des chasses », que l’on peut regrouper en quatre types : la chasse de subsistance (chasseurs-cueilleurs), la battue (les traqueurs rabattent le gibier chassé vers des tireurs postés), la chasse de loisir (activité du dimanche par plaisir) et enfin la chasse à courre (poursuivre un animal avec une meute de chiens courants).
En France, pour pouvoir chasser, il faut avoir un permis de chasse. Soit un permis départemental, qui coûte jusqu’à 250 euros, soit un permis national, valable sur tout l’hexagone, qui coûte 200 euros depuis une réforme de 2018 (contre 400 euros auparavant). Au total, 4,5 millions personnes détiennent un permis de chasse, mais seul un million pratiquent réellement en France. La Nouvelle-Aquitaine est sur le podium des régions où l’on chasse le plus, et c’est la Dordogne qui bat tous les records : en mars 2020, 4,14 % de la population était titulaire d’un permis de chasse. C’est 2,5 fois plus que la moyenne nationale.
Comme toute activité, la chasse a un coût : selon une étude réalisée par la Fédération nationale des chasseurs, en additionnant le transport, l’équipement, les cotisations à des sociétés de chasse, l’entretien du terrain et les assurances, la facture moyenne d’un chasseur s’élève à 2 800 euros par an. Les dépenses totales liées à la chasse s’élèvent elles à 2,4 milliards d’euros chaque année. Mais la chasse bénéficie également d’un soutien public, qui a explosé depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron. Entre 2017 et 2021, cette aide est passée de 27 000 euros à 11,46 millions d’euros, soit une hausse de… 42 450 %.
Les chasseurs régulent-ils vraiment la faune ?
C’est l’un des arguments phares des défenseurs de la chasse, qu’on peut lire en très grand sur le site la FNC. Pourtant, selon plusieurs associations de protection de la nature, il est faux. Et pour cause, chaque année, environ 22 millions d’animaux sont tués par les chasseurs en France. Parmi eux, un sur quatre provient d’un élevage. Le faisan en est un bon exemple : chaque année à Blaignac, en Gironde, se tient la « journée du faisan », lors de laquelle 350 faisans d’élevage sont lâchés sur une grande propriété dans le but d’être tués par des dizaines de chasseurs.
Un autre argument mis en avant par les chasseurs repose sur la régulation de sangliers dû à leur surpopulation. Mais comme l’explique Jean-Louis Chuilon, président de l’Alliance des opposants à la chasse (AOC) « l’une des raison pour lesquelles les sangliers sont toujours là, c’est parce que les chasseurs les égrainent », c’est-à-dire mettent des grains à disposition afin de les nourrir. Cette pratique est interdite, mais les départements peuvent demander des dérogations faisant exception à la règle. D’ailleurs, le nombre de sangliers tués par an ne fait qu’augmenter, passant de 30 000 sangliers dans les années 1970, à plus de 800 000 aujourd’hui.
S’il est vrai que les fédérations de chasseurs collaborent avec les autorités pour assurer la surveillance de la faune sauvage, l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas) souligne pourtant que des études déplorent la disparition d’un tiers des oiseaux dans les campagnes françaises en 15 ans. C’est le cas de la tourterelle des bois, espèce menacée et fortement chassée en Nouvelle-Aquitaine, qui a pu être interdite de chasse. Elle doit ce sursis à la bataille menée par l’association One Voice, et grâce à laquelle le Conseil d’Etat a décidé de suspendre sa chasse depuis la saison 2020/2021.
Être anti-chasse, c’est un truc de citadin ?
D’après ce graphique de l’Observatoire français de la biodiversité, 67 % des chasseurs vivent dans une ville, c’est-à-dire dans des communes de plus de 2 000 habitants. Ils ne sont donc pas si ruraux que ça. De plus, une étude menée en 2018 par la Fondation François-Sommer sur la pratique de la chasse en France d’ici 2040 prévoit un « éloignement progressif des pratiquants de la chasse d’un mode de vie “rural” ».
Pour Muriel Arnal, présidente de l’association de protection des animaux One Voice et Corrézienne d’origine, les anti-chasse sont loin d’avoir quitté la campagne : « J’ai grandi en milieu rural et il y a une omerta autour de la chasse. Les gens n’osent pas parler, mais ils ont peur de sortir dans leur jardin et de se promener le dimanche. »
C’est d’ailleurs ce que montre ce sondage réalisé en 2018, qui indiquait que 81% des Français étaient défavorables à la pratique de la chasse. Les Français ont notamment peur du risque d’accident. À titre d’exemple, la saison 2021/2022 a recensé 90 accidents, dont 8 mortels. Le nombre de chasseurs paraît même dérisoire comparé à ceux qui y sont opposés : « La France compte un million de chasseurs environ, alors que les adhérents d’associations anti-chasse représentent le double », explique Jean-Louis Chuilon, président de l’AOC.
D’ailleurs, d’après ce même sondage, 82 % des sondés réclament l’interdiction de la chasse deux jours par semaine. La France est l’un des rares pays d’Europe à ne pas instaurer de journée sans chasse. Elle l’avait pourtant mise en place avec la loi Voynet en 2000, qui prévoyait l’obligation d’un jour sans chasse par semaine, mais la mesure a été abrogée en 2003.
Le sachiez-tu ?
C’est le nombre de tonnes de plomb déversées chaque année en France par les adeptes de la chasse et du ball-trap, notamment par les cartouches, selon un rapport de l’Agence européenne des produits chimiques publié en 2019.
C’est arrivé près de chez nous
À Douzillac, le renard est roi
S’il y a bien un animal sauvage mal aimé, c’est le renard. Mangeur de poules, porteur de la rage… Sa mauvaise réputation lui colle à la fourrure. Le renard est ainsi inscrit sur la liste des animaux classés en ESOD, pour « espèce susceptibles d’occasionner des dégâts ». Une classification qui autorise sa chasse toute l’année. Et en comptant les renards morts sur la route, les associations estiment ainsi qu’entre 600 000 et un million d’entre eux sont tués chaque année.
À Douzillac, en Dordogne, Carine Gresse a décidé de tordre le cou aux idées reçues sur le renard roux. Cette amoureuse des animaux a créé le refuge « le Clos des renardises », un lieu qui accueillera son premier renard en mars : une femelle venue de l’Hérault qui a subi un accident de voiture. « Elle a des problèmes visuels et ne peut plus vivre dans la vie sauvage », explique Carine Gresse.
Assistante vétérinaire pendant vingt ans en Belgique, elle rejoint le centre de soin de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) à Audenge dès son arrivée dans la région. Là, elle apprend que le renard est classé ESOD en France, alors qu’il ne l’est pas en Belgique. Une idée née en janvier 2020 : ouvrir son propre refuge. « Je trouvais le regard sur le renard très injuste, alors qu’il peut être très utile pour les humains » confie-t-elle. En effet, le renard se nourrit à 75% de campagnoles, des petits rongeurs qui rendent la vie infecte aux agriculteur·ices. « Il y a de plus en plus d’agriculteurs de la région qui intègrent le renard à leurs productions biologiques », explique Carine. L’animal devient alors un auxiliaire naturel : il régule les rongeurs et peut ainsi faire économiser entre 1 000 et 2 400 euros par an aux agriculteur·ices.
Une alternative à l’euthanasie
Le Clos des renardises n’est pas un centre de soin pour la faune sauvage. Les renards ne seront pas prélevés directement dans la nature, ni élevés en captivité. Le refuge travaille tout de même avec les centres de soins de toute la France : ils envoient à Carine les renards ne pouvant revenir à l’état sauvage. « Ce sont souvent ceux qui ont eu des accidents de la route et qui gardent de très lourds handicaps. » Sur les 800 000 m² du domaine, Carine a décidé d’accueillir uniquement six renards et précise que « si l’un d’entre eux montre qu’un retour à la vie sauvage est possible, on le renvoie en centre de soin pour qu’ils puissent l’examiner et le relâcher ».
Si le refuge est fermé au public, Carine tient à redorer la réputation de l’animal à travers des ateliers de sensibilisation. Elle intervient dans les écoles de la région pour « revaloriser l’image des animaux ESOD dont le renard est l’emblème ».
Pour aller plus loin
🦊 Renard, utile ou nuisible ? Dans cet épisode de notre magazine Popex, diffusé sur France 3 Nouvelle-Aquitaine, nous sommes partis à la rencontre d’Yves Verilhac, dirigeant de la LPO France et grand défenseur du renard roux.
🏡 Votre terrain comme refuge. Si vous êtes propriétaire ou locataire d’un terrain, l’Aspas vous propose d’en faire un refuge de protection des animaux plutôt qu’un terrain de chasse.
🎧 Adorés ou détestés. Embarquez avec Pierre Rigaux, naturaliste, pour 50 minutes de podcast afin d’éradiquer les idées reçues sur le renard roux.
– Cette newsletter a été conçue par Ana Hadj-Rabah, Clémence Postis, Amandine Sanial, et Margaux Pantobe.