Aujourd’hui, on se demande s’il faut légaliser le cannabis.
Cette newsletter a été envoyée à nos inscrit·es le 14 février.
À vous qui en avez marre des newsletters de Saint-Valentin et de leurs bouquets de roses venues du Kenya, ceci est pour vous. Chez Far Ouest, on a pensé à vous, et on a décidé de vous parler d’une autre fleur : le cannabis.
Le mois dernier, le débat pour sa légalisation a refait surface. Le Conseil économique, social et environnemental s’est prononcé pour une légalisation encadrée, et le maire de Bègles n’a pas traîné pour proposer sa ville comme test.
Dans cette newsletter, vous allez découvrir ce qu’est vraiment le cannabis, la raison pour laquelle il a été interdit, et ce que changerait sa légalisation.
Le coup de loupe
C’est quoi la différence entre un joint et ma chemise en chanvre ?
Le cannabis est en réalité le nom latin du chanvre. Mais déjà il faut en distinguer deux types : le chanvre agricole utilisé pour votre chemise préférée ou l’isolation de votre maison, et le chanvre indien, aussi appelé beuh, weed, marijuana ou ganja. C’est lui que l’on consomme le plus souvent sous forme de cigarette notamment pour ses propriétés médicinales (apaiser des douleurs, augmenter l’appétit ou diminuer les effets secondaires de certains médicaments), et pour ses effets psychotropes.
Ces effets sont générés par une molécule : le tétrahydrocannabinol, ou THC. C’est lui qui modifie notre perception de la réalité en agissant directement dans notre système nerveux central. « Le THC agit comme une clé qui débloque des récepteurs de notre cerveau », explique Giovanni Marsicano, chercheur au NeuroCampus de Bordeaux et à l’Inserm.
Mais le THC peut aussi induire une forte dépendance. Ses puissants effets psychoactifs peuvent également entraîner chez l’individu des problèmes de concentration, de sommeil et de stress. Des mécanismes qui arrivent aussi avec la consommation de café, d’alcool ou de tabac. Et chez les adolescents, les effets peuvent s’avérer plus graves : « Lorsque le cerveau est encore en développement, la consommation de cannabis agit comme des courts-circuits dans son développement », détaille le chercheur. Pourtant, rien qu’en Nouvelle-Aquitaine, 45% des moins 17 ans ont déjà fumé de l’herbe, selon un rapport de l’Observatoire français des drogues et des tendances (OFDT) publié en 2021.
Pourquoi c’est interdit ?
Pour comprendre, il faut remonter aux années 1970. L’époque sexe, drogue et rock’n’roll a une star : la marijuana. Afin de lutter contre les drogues en général et le cannabis en particulier, le Parlement vote une loi qui en interdit la consommation et la vente dès 1971.
La raison invoquée ? Sa dangerosité psychique, notamment les pertes de mémoires, les troubles anxieux et les pertes d’anticipation. Mais selon le chercheur Giovanni Marsicano, « l’alcool provoque les mêmes effets, si ce n’est pire. » Selon une étude anglaise, le risque de mortalité lié à la consommation de cannabis est même 200 fois moins important que celui lié au tabac ou à l’alcool.
Là où le cannabis s’avère être le plus dangereux, c’est pour les personnes qui pourraient développer une schizophrénie. « Dans ces cas-là, la consommation de cannabis va les précipiter dans cette maladie mentale », explique le chercheur.
Pourquoi la légalisation fait (à nouveau) débat ?
Tout est parti du dernier rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Composé de représentants du patronat, de syndicats, d’associations, il préconise pour la première fois une « légalisation encadrée du cannabis ». Selon eux, le constat est clair : la politique répressive de la France depuis 50 ans est un échec.
Mais qu’apporterait, concrètement, cette légalisation ? Déjà, un contrôle sanitaire strict des produits. Il faut savoir que dans l’herbe qu’on se procure dans la rue, il y a souvent des produits dangereux : du détergent, du sable, du verre ou encore de la colle. Mais c’est aussi la concentration de THC qui inquiète : dans les années 2000, son taux moyen était de 6%. En 2019, il atteint les 28%. C’est un peu comme si vous décidiez de faire un apéro à la bière et qu’on y mettait du gin à l’intérieur, sans vous prévenir.
Ensuite, la légalisation du cannabis permettrait de créer une toute nouvelle filière économique dans le pays. Depuis mai 2018, l’Insee intègre les revenus liés au trafic de drogue dans le PIB : on sait donc que ce marché pèse 2,8 milliards d’euros par an.
Certains élus sont d’ailleurs convaincus des bienfaits d’une légalisation : en janvier, le maire écologiste de Bègles (Gironde), Clément Rossignol Puech, a proposé de faire de sa ville un territoire expérimental de culture de vente et de consommation de cannabis. Si tout reste encore à inventer, le maire rêve d’une réglementation à la française, avec de « potentielles futures structures qui seraient encadrées et suivies par des médecins auxquelles seuls les majeurs pourraient avoir accès, voire les plus de 21 ans. »
Le sachiez-tu ?
des 18-64 ans vivant en Nouvelle-Aquitaine ont déclaré avoir fumé du cannabis en 2021, selon l’OFDT.
C’est arrivé près de chez nous
En Creuse, les rois du chanvre
Si le cannabis est lui toujours prohibé, en décembre, le Conseil d’État a finalement autorisé la vente de fleurs et de feuilles de chanvre cannabidiol, ou CBD. Mais dans le Sud-Ouest, les agriculteurs n’ont pas attendu cette décision pour se lancer dans le CBD et assurer leur avenir.
Jouany Chatoux est éleveur depuis 1999. Dans sa ferme de Gentioux, sur le plateau de Millevaches, il cultivait du sarrasin et du seigle et était à la tête d’un élevage d’une centaine de têtes. Sans jamais arriver à en vivre décemment. « En 20 ans, on a tout essayé : les circuits courts, les colis postaux, le restaurant à la ferme… Mais en face, les revenus n’étaient jamais à la hauteur. »
En 2018, il a eu une idée : troquer ses céréales pour du CBD, du chanvre bien-être dépourvu de THC, la substance psychotrope et prohibée du cannabis. Le CBD, légal lui, est utilisé pour les douleurs, l’anxiété ou les nausées, et n’a pas d’effet stupéfiant. En quelques mois, Jouany Chatoux convertit son labo de 400 m2 dédié à la viande bovine pour se consacrer uniquement à sa nouvelle activité : la transformation du cannabis en résine, huiles, infusions et tisanes. Un choix qui paye : « En 2020, nous avons sorti 500 000 euros de CBD dédié au marché du bien-être. L’équivalent de mon élevage », calcule l’agriculteur.
Et il n’est pas le seul à avoir franchi le pas. Un tiers de la production française de CBD vient de Nouvelle-Aquitaine, selon l’association française des producteurs de cannabinoïdes (AFPC). Au total, cela représente 150 hectares, répartis sur une centaine de producteurs. Une potentielle mine d’or, qui se heurte à un problème : les décisions fluctuantes de l’État en matière de législation, qui placent les producteurs dans un flou juridique.
Des pieds de cannabis sur un ancien site militaire
Pour faire reconnaître le chanvre comme culture artisanale, Jouany Chatoux est devenu porte-parole de l’association française des producteurs de cannabinoïdes (AFPC). Mais son objectif va au-delà des tisanes : comme le reste de la filière, il mise sur le cannabis thérapeutique. « Il y aura très peu d’acteurs en France. D’où la nécessité de se placer. »
Selon lui, le marché pourrait représenter jusqu’à 2 millions de patients, pour le traitement de pathologies telles que l’épilepsie, la sclérose en plaques, ou encore la maladie de Parkinson. Et pour ne pas laisser le marché aux mains de producteurs étrangers, la Creuse a déjà son projet : un « pôle d’excellence du cannabis », du nom de Cannapole 23, devrait voir le jour en 2024 sur ancien site militaire, avec un bunker de 850 m2 pour cultiver le cannabis… À condition que la justice autorise pour de bon le cannabis à usage thérapeutique.
Pour en savoir plus, retrouvez l’article de notre journaliste Fabien Paillot sur le sujet dans notre revue papier « Tout reprendre ».
Pour aller plus loin
🎙️ On risque quoi avec le CBD ? Vous voulez être incollable sur le CBD ? France Inter lui consacre une émission complète.
👨🏻🌾 Des paysans comme les autres. Reporterre est parti à Roanne, dans la Loire, à la rencontre d’agriculteurs qui s’étaient lancés dans la culture de CBD avant la décision du Conseil d’État. « Enfin on n’est plus des trafiquants potentiels, mais des paysans comme les autres ! »
🇩🇪 En Allemagne, bientôt un usage récréatif ? Alors qu’elle emploie le CBD comme thérapie pour de nombreuses maladies, l’Allemagne s’apprête à autoriser le cannabis à usage récréatif. En attendant, les entreprises du secteur se préparent, comme cette start-up qui fait pousser du cannabis dans un ancien abattoir près de Dresde.
– Cette newsletter a été conçue par Amandine Sanial, Clémence Postis, Ana Hadj-Rabah et Margaux Pantobe.