Aujourd’hui, on décrypte la précarité énergétique.
Cette newsletter a été envoyée à nos inscrit·es le 10 décembre 2024.
Peut-être que vous avez rallumé le chauffage. Ou peut-être que vous faites partie des douze millions de Français·es qui souffrent de précarité énergétique, et vous n’avez pas les moyens de l’allumer dès le 1er décembre.
La précarité énergétique, on en entend parler à toutes les sauces. Mais est-ce qu’on a vraiment compris ce que c’est et ses conséquences ? En lien direct avec la crise économique et les infrastructures énergétiques défaillantes, cette réalité n’épargne pas les foyers néo-aquitains, confrontés à des conditions de vie parfois difficiles.
Dans cette newsletter, vous comprendrez ce qu’est la précarité énergétique, ses causes et ses conséquences, ainsi que les solutions disponibles à différentes échelles pour espérer réduire ses factures.
Le coup de loupe
C’est quoi la précarité énergétique ?
La précarité énergétique, c’est quand des ménages se retrouvent en difficulté pour accéder à l’énergie nécessaire pour des besoins essentiels comme se chauffer, se nourrir, ou s’éclairer. Lise Desvallées, géographe spécialisée sur la vulnérabilité énergétique, précise : « On parle de précarité énergétique dès qu’un ménage consacre plus de 10 % de ses revenus à payer ses factures d’énergie. »
En Nouvelle-Aquitaine, un habitant sur sept est concerné, soit 440 000 logements. Mais certains départements sont bien plus touchés que d’autres : dans les zones éloignées de l’océan, où les hivers sont plus durs, comme en Creuse, le taux grimpe. Pour s’en sortir, beaucoup de foyers réduisent leurs dépenses énergétiques, quitte à sacrifier leur bien-être. En 2024, 30 % des ménages français déclarent avoir souffert du froid chez eux selon l’Observatoire national de la précarité énergétique.
Et cette réalité a des conséquences bien au-delà de l’inconfort : la précarité énergétique augmente les risques d’asthme, de troubles respiratoires et aggrave même des maladies chroniques, comme la bronchite ou l’arthrite. « Ces conditions de vie pèsent sur la santé mentale et physique », alerte dans Santé publique France le Dr Bernard Ledésert, médecin de santé publique, soulignant aussi l’impact sur l’anxiété et la dépression.
La précarité énergétique, ça ne concerne que les logements ?
Pas du tout ! « La précarité énergétique touche toutes les dépenses en énergie. Si on parle souvent des bâtiments, c’est parce que cette dimension paraît plus concrète, mais ce n’est qu’une partie du problème », contextualise Lise Desvallées.
En réalité, la précarité concerne tout autant le logement que les dépenses liées aux déplacements. « À Bordeaux, Pau ou Poitiers, les habitants utilisent moins leur voiture ou alors sur des distances plus courtes. Mais dans les zones rurales, c’est le coût de la mobilité qui pèse le plus lourdement, avec des budgets mensuels avoisinant parfois les 400 euros en essence », explique la géographe.
Dans le Médoc, par exemple, 22 % des foyers vivent une précarité énergétique liée aux déplacements selon le contrat local de santé (CLS). Et les conséquences sont directes. D’après l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), 50 % des Français en situation de précarité de mobilité ont déjà dû refuser un emploi ou une formation à cause de difficultés de transport.
La hausse des prix de l’énergie est-elle la seule explication ?
Pas uniquement ! « La guerre en Ukraine a renforcé cette précarité, il y a une vraie fracture avant et après cette crise pour de nombreux foyers », admet Lise Desvallées. En cause, la situation de nombreux ménages qui ont choisi de vivre plus loin de leur lieu de travail, sans anticiper la hausse des frais de transport. Entre 2013 et 2023, le prix de l’essence a bondi de 46 %, selon l’INSEE. « C’est difficile pour ces foyers qui n’avaient pas prévu un tel budget pour leurs trajets », ajoute la chercheuse.
À cela s’ajoutent d’autres facteurs comme un climat de plus en plus extrême en Nouvelle-Aquitaine. Avec le dérèglement climatique, les étés deviennent de plus en plus chauds et les hivers plus rudes, en particulier sur la côte océanique, où de nombreux bâtiments mal conçus et ont du mal à s’adapter. Pour rappel, en 2022, la région a enregistré plus de 70 jours au-dessus des 30 °C.
En 2023, plus d’un million de ménages ont subi des coupures ou des réductions de puissance pour impayés. En Nouvelle-Aquitaine, ce sont surtout les foyers les plus fragiles qui ont souffert, accentuant encore la précarité énergétique.
Le sachiez-tu ?
C’est le taux de foyers en situation de précarité énergétique dans le sud de la Creuse.
C’est arrivé près de chez nous
Peut-on (vraiment) réduire ses factures en énergie ?
Alors que les coûts du chauffage s’envolent, de nombreux ménages cherchent des solutions pour éviter des factures trop salées. En Nouvelle-Aquitaine, le problème est omniprésent : les « passoires thermiques », ces logements mal isolés, classés F et G, et gros consommateurs d’énergie, prolifèrent autant dans les zones rurales, comme le Limousin et les Pyrénées, que dans les grandes villes. Bordeaux, par exemple, compte 11,9 % de passoires thermiques, faisant d’elle la troisième métropole de France la plus touchée.
Surtout, il n’y a pas de « logement type » en matière de précarité énergétique. « Beaucoup de bâtiments construits entre l’après-guerre et les années 1970 sont mal isolés, mais des logements plus récents sont également problématiques, surtout en été, quand les températures intérieures deviennent invivables, » explique Jérôme Le Dréau, chercheur en génie civil à l’université de La Rochelle.
Alors quelles solutions s’offrent aux propriétaires et locataires soucieux de réduire leurs factures ? Beaucoup vantent les mérites des petits gestes du quotidien. « Installer des joints d’étanchéité, limiter les courants d’air sous les portes… Ces petites actions, cumulées, peuvent vraiment réduire vos factures durant l’hiver », souligne Jérôme Le Dréau.
Pas de solutions miracles
Quelques solutions plus techniques peuvent elles aussi faire la différence, comme la flexibilité énergétique qui consiste à décaler certaines activités énergivores vers les heures creuses. Faire tourner la machine à laver la nuit par exemple, permet non seulement de réduire de 25 % ces coûts, mais aussi de diminuer son empreinte carbone.
Mais, cette solution n’est pas à la portée de tous·tes. Les foyers les plus précaires, qui n’ont pas les équipements nécessaires — comme un thermostat connecté —, ne peuvent pas toujours bénéficier de cette stratégie. Et qui a envie de cuisiner à 2 heures du matin pour réduire son empreinte énergétique ? La flexibilité énergétique n’est donc pas une solution miracle.
Quand la flexibilité n’est pas une option, la sobriété apparaît comme une meilleure alternative. Baisser son chauffage d’un ou deux degrés permet d’économiser jusqu’à plusieurs dizaines d’euros pendant l’hiver. « Ce sont des économies possibles dans un contexte où chaque euro compte. Mais dans les faits, les économies restent limitées pour les foyers précaires qui sont déjà très sobres dans leur consommation », souligne Lise Desvallées.
Une urgence sanitaire
« En réalité, il s’agit surtout de penser l’énergie avec intelligence », résume Jérôme Le Dréau. Pour sortir réellement de la précarité énergétique, la rénovation énergétique des logements est l’une des solutions les plus efficaces à long terme. Toutefois, le principal obstacle reste le financement. Si les bailleurs sociaux sont en partie soutenus pour ces travaux, le secteur privé se montre souvent réticent. « Les propriétaires privés privilégient la rentabilité et sont moins sensibles aux arguments sociaux et sanitaires », déplore Lise Desvallées. Pourtant, une étude du ministère de la Transition écologique souligne qu’en réhabilitant les 1,7 million de passoires thermiques du parc locatif privé d’ici 2028, on pourrait prévenir jusqu’à 10 000 décès.
Des dispositifs comme le chèque énergie ou MaPrimeRénov’ existent pour aider les ménages les plus vulnérables à faire face aux factures ou financer des travaux de rénovation. En 2021, près de 5,8 millions de foyers ont bénéficié du chèque énergie. Si ces aides sont cruciales, elles ne sont pas toujours suffisantes. « Les politiques publiques ne tiennent pas suffisamment compte des types d’énergies utilisées ni de l’effort demandé en fonction des revenus des ménages », précise Lise Desvallées.
Pour remédier à ces inégalités, des initiatives locales ont été mises en place, comme à Pau, où un dispositif, via les services sociaux, aide les foyers en difficulté. Cependant, un défi majeur demeure : l’identification des ménages précaires. « Il est parfois difficile pour ces familles de se reconnaître comme précaires, en particulier dans les quartiers centraux, éloignés des zones habituellement ciblées », explique Lise Desvallées.
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– Cette newsletter a été conçue par Kinda Luwawa et Clémence Postis.