Présentés par l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) comme la solution aux effets supposés d’un accident nucléaire, une grande méconnaissance entoure les comprimés d’iodure de potassium. À toutes les échelles, citoyens et organismes concernés sont partagés entre ignorance et informations contradictoires sur leurs effets réels et leur mode d’accès.
Si vous habitez tout près d’une centrale nucléaire, pas de soucis : depuis 1997, en prévision d’accidents probables, les autorités françaises ont pris la décision de distribuer à la population de l’iodure de potassium. L’idée est ainsi de pallier les effets de l’iode radioactif qui peut être rejeté dans l’atmosphère lors d’un accident important sur une installation nucléaire.
Cet élément, fixé sur la thyroïde, peut entraîner un risque accru de cancer. Un risque qui est anéanti si on ingère les comprimés dont le but est de saturer notre thyroïde d’iode non radioactif. Dès lors, l’iode radioactif est rejeté naturellement, amoindrissant le risque de cancer de la thyroïde. Il est cependant préconisé d’ingérer les comprimés quelques heures avant le passage du nuage radioactif, sans quoi leur efficacité est divisée de moitié, voire nulle.
À noter : il est inutile d’avaler du sel iodé, il vous faudrait en ingurgiter près de 9 kg pour obtenir la même quantité d’iode que celle présente dans ces comprimés.
Si le PPI prévoit un mode de distribution direct aux populations situées dans un rayon de 10 kilomètres autour des installations nucléaires, qui sont invitées à retirer leurs pastilles en pharmacie, seulement 48,8 % des habitants du Blayais se sont déplacés durant la campagne 2016. Un succès bien relatif pour un médicament supposé miracle.
Pour la population au-delà de ce périmètre, un stock serait prévu dans chaque commune. Sur le site d’information sur les comprimés d’iodes de l’ASN, aucune mention ne fait état d’une différence entre le stock produit pour les communes intégrées au PPI et celui prévu pour les communes en dehors. Notre enquête a pourtant révélé de grands points de déséquilibre entre ceux-ci.
Le ping-pong des responsabilités
Premières prises de contact en janvier auprès de l’Agence Régionale de Santé et de la préfecture de Gironde : cette dernière nous informe qu’elle est bien responsable des comprimés d’iodure de potassium, mais que ceux-ci sont gérés individuellement par chaque commune.
Légalement, les mairies sont jugées comme entièrement responsables, malgré une dépendance envers la préfecture pour toute action ou décision concernant ces stocks. En approchant des communes de Bordeaux Métropole, nous entrons en contact avec Laura Le Gat, collaboratrice parlementaire en circonscription.
« La campagne de 2016 ne concernait que les 500 communes en France à 10 km des centrales. En dehors le stock est probablement périmé, la préfecture ne le renouvelle plus. » La collaboratrice parlementaire est cependant surprise que la préfecture n’ait pas été en mesure de nous donner plus d’informations sur la situation actuelle ou sur la suite. « En mairie, tout le monde est persuadé que la préfecture sait quoi faire, mais les gens ne sont pas informés. »
Même situation dans une autre commune, où notre interlocuteur exprime son impuissance face à la situation « Nous on ne fait que respecter ce qu’on nous demande. Inutile de vous dire qu’on n’a pas les moyens de faire autrement. », en apportant une précision importante « Le stock est contrôlé chaque année par un pharmacien mandaté par la préfecture. Il est peut-être périmé selon ce qui est sur le boîtier, mais la préfecture valide la prolongation. »
La préfecture n’a pas su apporter plus d’informations sur ce pharmacien. Nous décidons de contacter la Pharmacie Générale des Armées, pour savoir dans quelle mesure la date de validité peut être allongée. Cette structure est la seule productrice de comprimés d’iodure de potassium en France. Elle s’occupe de besoins pharmaceutiques spécifiques pour le secteur militaire et le civil. Surprise au bout du fil.
« On n’est pas forcément au courant. Ça ne veut pas dire que le produit est mort, c’est un produit très stable, mais juridiquement et légalement nous ne sommes couverts que pour 7 ans de validité. On n’incitera certainement pas à allonger des comprimés périmés, au contraire. »
L’Agence Régionale de Santé, quant à elle, nous confirme « Les comprimés d’iode actuellement stockés dans les mairies sont périmés. Leur date de péremption n’est plus prolongée par un pharmacien comme cela fut en effet le cas par le passé. »
Nous entreprenons de contacter toutes les mairies de Bordeaux Métropole.
À la recherche du stock périmé
Passées les nombreuses redirections entre les services et les incompréhensions « Les comprimés d’iodes ? Il faut contacter la piscine municipale pour ça ! », « Je crois qu’on n’en a pas dans l’armoire à pharmacie, il faudrait demander à la médecine du travail. », nous arrivons à confirmer que sur 28 communes comprises dans Bordeaux Métropole, 21 ont un stock périmé. Certains depuis 2016, d’autres depuis 2007.
Pour les sept mairies restantes, pas de favoritisme communal, seulement une incapacité à nous confirmer l’information. À l’autre bout du fil, il est ardu de trouver la bonne personne, mais surtout le bon supérieur. Dans une mairie, un employé nous affirme qu’il est « pratiquement sûr que le stock est périmé, mais [qu’] il faut confirmer avec son supérieur qui gère le stock présent en mairie ». Après un mois de relances, quelqu’un nous informe :
« Nous n’avons pas les éléments techniques pour vous répondre. — On nous a pourtant confirmé qu’un stock était présent…
— Écoutez, nous n’avons pas les éléments techniques. Merci monsieur. Bonne journée, au revoir. »
Pour une dizaine de communes, notre interlocuteur constatant en même temps que nous l’inutilité de son stock, la question nous est posée « Alors, qu’est-ce qu’on doit faire maintenant ? ».
La consigne officielle préconise de conserver ces stocks périmés, en attendant le nouveau plan de distribution qui devait voir le jour en septembre 2017. Certains responsables sont au courant, d’autres l’apprennent à l’instant. Plusieurs mois après ces contacts, nous recontactons la préfecture. Celle-ci nous informe que pour le moment, l’heure est encore aux discussions.
Force est de constater qu’il n’y a aucune mauvaise volonté, pas de coupable désigné et encore moins de « grand complot ». Seulement une méconnaissance généralisée et de nombreuses incompréhensions. Pour la distribution, elle s’effectue en théorie dans les bureaux de vote de la commune, mais cela soulève de nombreuses questions.
Comment s’organiser à temps ? Devons-nous prendre le risque de briser le confinement ? Pour les mairies qui disposent d’un stock géré dans une autre commune, qui fera le déplacement ?
Toutes ces questions ont été réfléchies par la préfecture et chaque commune dispose bien d’un plan d’organisation, mais encore une fois, nombreuses sont les mairies non informées ou sceptiques.
« S’il y a une alerte nucléaire, pour distribuer des comprimés d’iodes à 45 000 personnes, inutile de vous dire qu’on va rigoler… »
Une efficacité (très) relative
Durant notre appel avec Laura Le Gat, une réflexion nous a interpellé « Peut-être qu’on ne s’en occupe pas parce qu’on sait que de toute façon ça ne nous sauvera pas. » Le Saint Graal serait-il en fait une coupe de pinard ? Techniquement pour que l’efficacité des comprimés d’iodure de potassium soit effective, il est préconisé d’ingérer les comprimés quelques heures avant le passage du nuage radioactif, sans quoi leur efficacité est divisée de moitié, voire nulle.
L’ASN nous informe sur son site « Ce qui est incroyable avec l’iodure de potassium, c’est qu’on sait prévenir la seule conséquence sanitaire de l’accident de Tchernobyl qui soit actuellement décelable. »
L’expert de l’Autorité de Sûreté nucléaire, le Pr Martin Schlumberger, poursuit : « Plus d’irradiation de la thyroïde, donc plus de cancer de la thyroïde et ainsi on empêche que la contamination atmosphérique ait des effets délétères sur l’organisme ».
Prévenir facilement la seule conséquence sur l’organisme, vraiment ? Le Dr Abraham Behar se veut plus nuancé : « Dans les faits, cela ne marche jamais, car il faut saturer la thyroïde avant l’accident. On doit avertir la population avant la sortie du panache radioactif. Ce qui est compliqué à mettre en place et n’arrive jamais. »
De plus, toute la population n’est pas concernée. « On donne l’impression que cela protège, alors que non. Une partie de la population n’est pas du tout concernée par l’irradiation de la thyroïde, comme les personnes d’un certain âge. »
Mais comme nous explique le médecin, on parle aujourd’hui du danger d’autres éléments chimiques comme le césium, ou le strontium, présents dans le panache radioactif, et tout aussi, voire plus dangereux que l’iode. Ces éléments auraient des conséquences sur l’environnement, notre alimentation, le développement de l’enfant, ainsi que des pathologies cardiaques et oculaires.
Pourquoi se concentrer sur l’iode alors ? « Dans un panache radioactif, c’est plus d’une centaine d’éléments qui sont rejetés. On a pris l’iode parce que c’était populaire et facile à mesurer et on a fait l’impasse sur tout ce qu’il y a derrière. Les pastilles d’iodes, ça ne va rien empêcher. »