Épisode 3
9 minutes de lecture
Vendredi 8 décembre 2017
par Clémence POSTIS
Clémence POSTIS
Journaliste pluri-média Clémence a pigé pour des médias comme NEON Magazine, Ulyces, Le Monde ou encore L'Avis des Bulles. Elle est également podcasteuse culture pour Radiokawa et auteure pour Third Éditions.

Que faut-il faire en cas d’accident nucléaire grave ? Découvrez comment l’État et le Blayais se préparent à la catastrophe.

Même si EDF et la centrale du Blayais font tout pour éviter l’accident grave, il est tout de même vital de le prévoir. Le risque zéro n’existe pas et des protocoles de sauvegarde et d’évacuation de la population sont prévus. Que se passe-t-il donc si un tel cas de figure se présente, avec rejet dans la nature et mise en danger des populations ?

PUI, PPI, ORSEC… La ronde des dispositifs d’urgence

Encore une fois, je dois me plonger dans des fichiers PDF interminables. Un en particulier : le Plan Particulier d’Interventions, le PPI, de son petit nom. Plus de 110 pages explicatives sur le déroulé des risques et les mesures mises en place.

Normalement, un accident grave ne survient pas en quelques minutes. Plusieurs heures s’écoulent entre le début de la crise et une possible fonte du combustible au cœur du réacteur nucléaire. En tout premier lieu, le directeur de la centrale du Blayais déclenche le Plan d’urgence interne (PUI), dès les prémices de la crise. Les employés d’astreinte (environ soixante-dix) sont alors appelés en urgence et toute la centrale est sur le pied de guerre. Si le directeur de la centrale déclenche seul le PUI, il doit immédiatement avertir les pouvoirs publics et le préfet de Gironde.

nucléaire, blayais, centrale nucléaire, CNPE, Clémence Postis, Revue Far Ouest, Blaye, Camille Mazaleyrat, Sébastien Gendron, Fiction, accident nucléaire, risque nucléaire, facteur humainEt s’il y avait un accident à la centrale du Blayais ?
Photo : Flickr

Comme évoqué dans l’épisode 2 de notre fiction 20 000 ans, cette première étape déclenche le PPI en phase dite « réflexe », durant laquelle la centrale évacue toute la population dans un périmètre de deux kilomètres. Selon l’heure et la période de l’année, entre 50 et 1800 personnes doivent être déplacées en urgence.

Si la situation dégénère, et que l’accident grave devient inévitable, le fameux plan particulier d’information (PPI) se met en place. Le PPI entre alors en phase « concertée » : il est déclenché de concert entre la centrale et le Préfet de la Gironde pour la zone des dix kilomètres autour du Blayais.

Ce dispositif n’est pas exclusif au nucléaire : il est prévu à proximité de toute usine ou industrie présentant un risque potentiel pour les populations et l’environnement.

Au printemps 2016, Ségolène Royal a promis une extension du PPI à 20 kilomètres, confirmée par la préfecture de Gironde en juin 2017. Notre PPI concernerait alors quatre-vingts communes au lieu de vingt-trois. Soit 90 000 habitants à évacuer en cas de crise.

« Les populations du PPI doivent être évacuées. Vous imaginez évacuer plus d’un million de personnes ? »

Fin novembre 2017, une réunion d’information de la Clin ramène cette promesse sur le devant de la scène. La préfecture de Gironde, contactée à ce sujet, affirme qu’aucune modification n’est prévue pour le moment dans le PPI. Aucune décision n’a encore été prise officiellement.

Il demeure que ces 20 kilomètres promis font pâle figure face aux 80 kilomètres réclamés par Greenpeace. Patrick Maupin, représentant Greenpeace à la Clin, semble dépité lorsque nous abordons le sujet de la population à évacuer en cas d’accident nucléaire majeur. Il rajuste ses lunettes avec circonspection. « Les populations du PPI doivent être évacuées. Vous imaginez évacuer plus d’un million de personnes ? » Une zone à 80 kilomètres comprendrait par exemple toute la Métropole de Bordeaux.

Le préfet entre dans la danse

Mais comment se met en place un PPI ? Que se passe-t-il concrètement si la centrale du Blayais met en danger la population ? Si elle commence ou va commencer ses premiers rejets toxiques ?
Le PPI n’est pas un plan à part, il fait partie du plan ORSEC, prévu dans toutes les situations de crise en France — celui qui vous explique quoi faire si vous entendez l’alarme d’urgence un autre jour que le premier mercredi du mois.

Dans le cadre du plan ORSEC, le préfet met en place le commandement opérationnel départemental, aussi appelé COD à la préfecture de la Gironde. Ce COD est en contact avec le Comité interministériel de crise à Paris, qui est le bureau d’urgence formé, encore dernièrement, pour les attentats de Paris. Un autre poste de commandement est installé à la sous-préfecture de Blaye.

nucléaire, blayais, centrale nucléaire, CNPE, Clémence Postis, Revue Far Ouest, Blaye, Camille Mazaleyrat, Sébastien Gendron, Fiction, accident nucléaire, risque nucléaire, facteur humainLa sous-préfecture de Blaye — Photo : Maxime Couturier

Quand il est déclenché, la première étape consiste à alerter les populations. Appel automatique, porte-à-porte, voiture de police équipée de mégaphones… Tout est mis en place pour que les habitants comprennent que la situation est grave.

« Ceci est une alerte — Ceci est une alerte.

Bonjour, le Préfet de La Gironde vous informe d’un accident sur le Centre Nucléaire de Production d’Électricité du Blayais, et vous demande de vous mettre à l’abri et à l’écoute des radios et télévisions dans le logement le plus proche.

Ceci est une alerte — Ceci est une alerte. »

Tel est le message reçu par la population concernée par le PPI. L’évacuation repose sur une règle simple : ne faites que ce le Préfet vous ordonne. S’il vous dit de rester chez vous, confinez les ouvertures, bloquez l’aération, et ne bougez plus. N’allez même pas chercher vos enfants à l’école, ils seront évacués par leur personnel éducatif.

Le Plan Particulier de mise en sûreté face aux risques majeurs (PPMS) est mis en place pour les établissements scolaires. La règle en cas de plan ORSEC est de laisser ses enfants dans leur école à la charge du personnel. Ces élèves, en cas de situation vraiment critique, peuvent être évacués en bus vers un endroit plus éloigné et sécurisé.

La centrale n’autorise pas les pompiers à me parler

Ne cherchez pas à les joindre : vous risquez de saturer les lignes. Vous avez vos comprimés d’iode, obligatoires pour les habitants de la zone PPI ? Ne les prenez que sur ordre du Préfet. Restez branchés sur France Télévision ou France Bleu Gironde et attendez les instructions d’évacuation.

Difficile d’imaginer près de 25 000 personnes respecter ces consignes et ne pas céder à la panique…
Dans le cadre du plan ORSEC, tous les organes étatiques se mettent en branle, de la gendarmerie en passant par l’armée, avec l’appui des pompiers. D’où l’intérêt de savoir si l’ensemble des corps d’intervention savent se coordonner. Si on doit compter sur eux, leur entraînement et leur organisation, autant être sûr qu’ils sont bien préparés.

L’évacuation des populations est-elle vraiment possible ?

Le PPI détaille avec précision les missions de la gendarmerie. Ils sont notamment en charge de l’ordre public et de la circulation : bouclage des routes, déviations, ce sont eux qui prévoient les itinéraires d’évacuation.

Reste la question des pompiers. Je sais grâce au CHSCT qu’ils n’ont pas d’équipe d’astreinte devant la centrale nucléaire du Blayais. Mais quid des habitants ? S’il y a des blessés, des malaises dans les communes, interviennent-ils, même en phase de confinement ?

Pour en savoir plus, j’ai téléphoné aux pompiers les plus proches de la centrale. Ont-ils une formation spéciale pour ce genre de situation extraordinaire ? Pour avoir une réponse, je dois attendre l’autorisation du capitaine des pompiers. Une étape classique : aucun pompier ne peut s’exprimer au nom de tous sans une autorisation. Jusque-là, rien d’anormal.

nucléaire, blayais, centrale nucléaire, CNPE, Clémence Postis, Revue Far Ouest, Blaye, Camille Mazaleyrat, Sébastien Gendron, Fiction, accident nucléaire, risque nucléaire, facteur humainEn cas d’accident nucléaire, fini le vin du Médoc — Photo : Maxime Couturier

Au bout d’une semaine sans réponse, je rappelle. Que je ne m’inquiète pas, l’information est bien remontée. Encore une semaine sans réponse s’écoule, et je réitère mon appel. Je découvre alors que ma demande a été enregistrée à peine quelques jours avant – et non deux semaines —, et que ce n’est pas de l’accord du capitaine des pompiers dont j’ai besoin, mais celui de la centrale du Blayais. C’est donc une centrale nucléaire qui décide qui peut connaître ou non la formation des pompiers. Lorsque j’ai enfin une réponse, elle est négative : la centrale n’autorise pas les pompiers à me parler. Lorsque je fais mention de ce blocage à mon contact si récalcitrant au Blayais, c’est encore et toujours la même réponse que depuis le début de l’enquête : mon sujet « n’est ni assez précis, ni assez bien anglé pour que les pompiers puissent vous répondre ». En tant que citoyenne, je ne peux pas connaître la réalité de la formation de mes pompiers, car la centrale du Blayais leur interdit de me la communiquer. Mes seules réponses de la part des pompiers sont « Oui, nous sommes formés », « non, nous ne pouvons vous communiquer les détails. Cela concerne la centrale, et elle ne souhaite pas que nous vous les communiquions. »

Ces nombreuses dispositions sont impressionnantes. Impossible cependant de savoir quel est le degré de coordination de tous ces organismes et s’ils sont à même de tous se succéder et coopérer sur une telle situation de crise. Ou même si les populations auraient les bonnes réactions. Peut-on vraiment attendre de la part de parents inquiets de laisser leurs enfants à l’école alors que la centrale du Blayais émet des rejets toxiques ?

Une légende urbaine, démentie pas les deux concernés, mais affirmée par Stéphane Lhomme, le président de Tchernoblaye, raconte que la nuit de la tempête de 1999, le préfet de police a réveillé en pleine nuit Alain Juppé pour le prévenir de la possibilité d’une évacuation en urgence de Bordeaux. Les principaux intéressés ont beau nier cette anecdote, lorsque l’on s’arrête sur les étapes à suivre en cas d’urgence au Blayais, cela semble tout à fait logique. Le Plan d’Urgence Interne a été déclenché cette nuit-là. Ce qui implique de prévenir le préfet de Gironde. Si ce dernier doit installer le fameux COD à la préfecture de Bordeaux en cas de problème grave, il est peu probable qu’il puisse le mettre en place en vingt minutes. Il est donc relativement rassurant de savoir que même si le pire a été évité, les responsables se tenaient prêts.

nucléaire, blayais, centrale nucléaire, CNPE, Clémence Postis, Revue Far Ouest, Blaye, Camille Mazaleyrat, Sébastien Gendron, Fiction, accident nucléaire, risque nucléaire, facteur humainLe nucléaire civil :
un milieu opaque — Photo : Flickr

Reste qu’évacuer Bordeaux serait une tâche ardue, voire impossible — même sans tempête du siècle. Comment évacuer une population qui n’a aucune connaissance du plan ORSEC ? Si cette fameuse alarme retentissait en pleine nuit, sauriez-vous quoi faire ?

Des exercices ou des jeux ?

Pour se préparer à cette éventualité, le Blayais organise des exercices. Une belle arnaque selon Patrick Maupin de Greenpeace : « En 2012, leur exercice a consisté à jouer à l’accident par téléphone à la préfecture ». Mais en quoi cela consiste-t-il exactement ?

Celui du 23 et 24 novembre 2016 s’est déroulé en deux temps. La première journée, la centrale a simulé un accident grave selon un scénario écrit et a donc « joué » au téléphone avec la préfecture et les mairies. Point d’exercice grandeur nature ou de test de la coopération des différents corps mobilisés pendant le plan ORSEC. Mais pour la première fois, ce scénario s’est joué en « météo réelle ». Auparavant, la météo était elle aussi scénarisée. Qu’importe qu’il pleuve ou qu’il vente le jour de la simulation : si le scénario indiquait un grand soleil, la centrale mesurait ses rejets radioactifs en cas de beau temps. Cette année, ils ont dû estimer la rapidité de la dispersion des produits réactifs selon la météo du jour J.

Le deuxième jour, les écoles primaires de Braud-et-Saint-Louis (la commune où se trouve la centrale) et de Saint-Lambert de Pauillac se sont entraînées à appliquer les mesures d’urgences et d’évacuation.
Patrick Maupin ne cache pas son mécontentement, et ainsi celui de Greenpeace, quant à cet exercice grandeur nature. Il le qualifie à plusieurs reprises de jeu, et considère cet entraînement comme insuffisant. « Il faudrait au moins s’entraîner à évacuer toute une commune ! »

Même les exercices de PUI (Plan d’urgence interne) sont remis en question par le CHSCT du Blayais dans ses rapports. Il regrette que ces exercices ne soient jamais inopinés et ne concernent toujours qu’une seule et unique tranche. Autrement dit un seul réacteur, plutôt que de s’entraîner à la catastrophe maximale et à la dégradation de plusieurs réacteurs en même temps. La tempête de 1999 ou l’accident de Fukushima en mars 2011 prouvent une chose : un problème n’arrive jamais seul.

S’il est impossible d’être certains que la centrale en elle-même est sûre et peut éviter les accidents graves, il semble qu’elle n’y soit pas réellement préparée, à mi-chemin entre la sous-estimation des risques et des entraînements peu indicatifs. Il est en revanche probable que nous ne saurons jamais faire face à un accident au niveau humain. Si nous entendons l’alarme d’ORSEC, saurons-nous vraiment quoi faire ? Serons-nous capables de respecter les consignes sans céder à la panique ? Sans oublier le désastre social et écologique qui suivrait, un périmètre contaminé qui, si on s’en fie aux zones infectées de Tchernobyl et Fukushima, s’étendrait sur plusieurs centaines de kilomètres. Fini les huîtres et le vin rouge côte de Blaye à Noël.

Alors que je suis sur le point de clôturer ce travail, de refermer mes PDF et de ranger les montagnes de documents imprimés, je me souviens de ma première interview. Celle de Serge Czajkowski, le physicien nucléaire gentil, mais un peu bourru. « Tout ce qu’on peut faire c’est tenter d’éviter les problèmes. S’il y a un accident, on ne sait pas et on ne peut rien faire. »

Clémence POSTIS
Journaliste pluri-média Clémence a pigé pour des médias comme NEON Magazine, Ulyces, Le Monde ou encore L'Avis des Bulles. Elle est également podcasteuse culture pour Radiokawa et auteure pour Third Éditions.
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