Épisode 5
7 minutes de lecture
Jeudi 23 août 2018
par Aurore HEUGAS et Lara BRU
Aurore HEUGAS
Jeune journaliste passionnée par les affaires étrangères, Aurore a travaillé pour la World Federation of United Nations Associations, l’ambassade des Etats Unis à Paris ou encore Canal France International.

Vincent*, est un père de famille girondin de 40 ans. Il a tenu à rester anonyme parce qu’il craint de voir « débarquer toute une ville devant chez lui si une catastrophe se présente ». Il nous explique que cette prévoyance est sa responsabilité. Loin de vivre dans la terreur, le fondateur du RSF 33 ( Réseau Survivaliste Francophone de Gironde ) jongle entre projets de robotique et éducation.

Quelle serait votre définition du survivalisme ?

C’est un mot qui veut un peu tout dire, qui peut englober plein de choses et c’est problématique. Les survivalistes sont souvent perçus comme des hurluberlus, des gens adeptes de la fin du monde. Le mot qui conviendrait mieux est « vivaliste ». Ce sont des personnes qui vont anticiper les événements à venir sans pour autant vivre dans la terreur. Les vivalistes viennent de tous les horizons : ils sont banquiers, médecins, ouvriers, professions libérales, tous venant pour des raisons différentes. Nous vivons dans une société d’assistés et certaines personnes, les Preppers n’attendent pas que tout soit fait pour eux.

Pourquoi être devenu survivaliste ?

Le déclic ? La crise des Subprimes en 2008. J’étais trader sur fond propre donc sur mon argent personnel. J’ai vu des marchés qui ne répondaient plus à aucune stratégie, comme un avion sans autopilote. J’ai donc commencé à bûcher sur les dérives de la finance, ce qui m’a amené à voir des choses inquiétantes. C’est pourquoi j’ai décidé de prendre des mesures. Je suis papa, je n’ai pas mis des enfants au monde pour qu’ils vivent dans la galère. Mon travail de père est de mettre des choses en place pour qu’ils soient en sécurité. Si je n’avais pas d’enfants, je ne sais pas si j’agirais de la même façon.

Quelles mesures avez-vous donc prises ?

À chaque fois que j’ai pris des décisions, je les ai basées sur des faits passés empiriques comme la crise de Weimar en Allemagne dans les années 1920 — lorsqu’un kilo de tomates coûtait 600 marks. La première chose que j’ai faite, c’est stocker de la nourriture. Après, j’ai respecté certains piliers pour éviter d’être assisté par la société. S’il y a une panne de courant, j’ai ce qu’il faut. S’il n’y a plus d’eau, j’ai ce qu’il faut. Coupure de gaz ? Pareil. Demain, il y a pénurie de carburant, je n’ai pas besoin d’aller à la pompe. J’ai tout ce qu’il faut chez moi pour pallier à une certaine quantité. Tout est une question de confort en fait.

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Photo : Joshua Earle via Unsplash

Vous avez déjà une idée de stratégie si la centrale nucléaire du Blayais explose ?

Oui, on a tous une stratégie. Il faut savoir qu’on a des petites pastilles d’iode sécables qui sont d’ailleurs très difficiles à avoir en France. J’ai été obligé de les commander à l’étranger, aux États-Unis. Seulement les gens qui habitent à 10 km d’une centrale ont droit aux pastilles d’iode. Si tout se passe bien, et si on est prévenus en temps et en heure (ce qui m’étonnerait un petit peu), il faut s’éloigner du point d’explosion parce que vous avez des nuages qui sont plus ou moins forts. Ensuite, il faut suivre le vent grâce à la météo. Il y a aussi des combinaisons militaires « NBC » qui peuvent être utiles.

Mais dans l’idéal, je dirais, il faudrait rester confiné chez soi avec du scotch sur tous les points d’aération et sur les fenêtres. Il faut prévoir de la nourriture, de l’eau et de quoi se réchauffer, pour laisser passer le gros. Rester enfermer un mois… deux mois. Sinon, il y a la stratégie de « je m’en vais à l’autre bout de la terre avec un sac à dos », pour s’éloigner le plus possible du nuage. Chacun a sa propre stratégie. Certains ont même creusé un trou et déposé des conteneurs pour se mettre dedans. Mais là, on arrive dans l’extrême, c’est de la survie. Ma stratégie avec les enfants c’est de me calfeutrer dans la maison pour se protéger un maximum de l’air extérieur. Après si ça fait comme Fukushima, j’ai le temps de prendre mes enfants, et partir le plus loin possible. C’est ce qu’on appelle l’évacuation.

Vos enfants partagent-ils votre vision du survivalisme ?

Cela fait presque dix ans que j’essaie d’inculquer quelques règles à mon aînée. Les petits sont encore trop jeunes, donc je m’évertue à leur apprendre comment on fait du feu en camping, et je les laisse beaucoup se débrouiller par eux-mêmes. En revanche, je ne veux pas que ça devienne anxiogène. Si ça doit arriver, ça arrivera, point barre. Je ne suis pas Dieu. Je veux juste qu’on arrête avec cette société d’assistés qui ne sait rien faire et qui ne réagit pas à un événement. Elle subit l’événement sans avoir ses réflexes primitifs de protection. Ils sont comme une proie qui attend de se faire bouffer. Alors qu’un vivaliste aura de quoi subvenir à sa famille, il aura des pastilles d’iode, de l’eau filtrée. Mais ce ne sont que des pansements.

Personne ne réagit, et personne ne cherche à devenir autonome ni à se prendre en main.

Selon vous, pourquoi sommes-nous tous assistés ?

On est devenus des fainéants sur tout. On est une société individualiste, et on attend toujours des autres. On a des solutions, mais on se laisse porter par ce système, ou dès qu’il y a un problème, on appelle les pompiers. On a du gaz qui arrive, on ne sait même pas comment. On a de l’électricité, on ne sait pas comment. Personne ne réagit, et personne ne cherche à devenir autonome ni à se prendre en main.

Un vivaliste prône la solidarité en temps de crise ou c’est chacun pour soi ?

Nous sommes des êtres humains, on s’aide. S’il y a une famille dans la galère, je ne les laisserai pas sans nourriture. Si j’ai suffisamment de pastilles d’iode, je les accueillerai. Mais ceux que je vais privilégier, ce sont les miens. Je ne vais pas enlever les chaussures de mon fils, pour les filer à un autre enfant. Donc tant que je peux donner, je donne, mais je serais toujours très calculateur. Je n’aurais pas le choix.

J’ai essayé de transmettre les informations un maximum aux gens pour qu’ils prennent juste conscience que ce n’est pas être débile ou être fou d’avoir de la bouffe chez soi, ou un peu d’essence. Ce sont juste des bases.

Enfin, on est dans une société individualiste donc il faut imaginer les gens qui ne sont pas du tout préparés. Ceux-là vont essayer de se procurer ce qu’ils n’ont pas par tous les moyens. Je me mets à la place d’un père de famille non préparé », je deviens un prédateur. Je ne baisserai pas les bras. L’explosion nucléaire engendrerait beaucoup de problèmes, c’est une certitude.

Êtes-vous jugé en tant que survivaliste ?

Alors… il y a plusieurs phases. J’aime transmettre mes connaissances, mais les gens ne sont pas forcément réceptifs. Mais maintenant, ils me connaissent. Je suis quelqu’un de très sociable. Quand certains rentrent dans mon garage, ils sont stupéfaits. Mais ça ne m’empêche pas de vivre. Je serais quelqu’un de replié sur moi-même, qui vivrait en autarcie, les gens se poseraient pas mal de questions. Je vis très bien, je crois en l’avenir. Je suis un vivaliste, je crois à l’après. C’est ce qui m’intéresse : la communauté, l’entraide… L’après sera positif. Enfin, s’il y a une explosion nucléaire, l’entraide va être très compliquée.

Je vis très bien, je crois en l’avenir. Je suis un vivaliste, je crois à l’après.

En cas de catastrophe nucléaire, l’État prend-il en charge certaines choses ?

Les hôpitaux seraient vite débordés. Ils n’ont plus d’argent, ils n’ont plus de produits. Ils ne sont pas formés pour des problèmes comme une catastrophe nucléaire. Vous imaginez bien, ils ne font que des entraînements localisés. Vous imaginez les hôpitaux, qu’est-ce qu’ils pourraient faire ? Distribuer de l’eau, des pastilles d’iodes, mais le temps que tout cela se mette en place, vu qu’ils ont des stocks infimes, cela ne servira à rien. Le plus important ce sont les 48 h après l’explosion d’une centrale, c’est là qu’il faut être hyper réactif.

Mais il ne faut pas leur en vouloir, eux non plus ne sont pas des héros. Il ne faut pas se dire « on appuie sur un bouton et tout à coup il y a des hélicos qui arrivent », cela ne marche pas comme ça. Il y a toute une logistique à mettre en place et ils ne sont pas préparés. C’est pour ça qu’ils donnent ces consignes sur le site du gouvernement. Ils disent de préparer un sac d’évacuation par exemple. Ils vous donnent toutes ces consignes parce qu’ils savent très bien qu’ils ne pourront pas subvenir aux besoins dans ces moments-là. Ce n’est pas pour jouer sur la peur, c’est une réalité.

Êtes-vous en accord avec le kit d’urgence proposé par le Gouvernement ?

Oui, mais c’est juste une micro base. Les enfants ne doivent pas être perturbés par l’explosion. Dans leurs sacs, je leur mettrai beaucoup de confort : des bonbons, une peluche, un jouet, des cartes Pokemon… Histoire qu’ils aient toujours ce repère à la normalité. Il y a tous ces côtés psychologiques à prendre en compte.

Les gens préparés doivent être leaders pour anticiper. Ils peuvent accueillir, en fonction de ce qu’ils possèdent et être là pour rassurer et expliquer ce qu’il se passe. Quand les gens perdent leurs repères, l’intellect ne fonctionne plus. C’est toujours très rassurant d’avoir quelqu’un qui sait où il va.

Avez-vous une vision optimiste de notre société future ?

Non, pas du tout. Malheureusement. Encore les gens seraient relativement intelligents et comprendraient qu’on est tous des petites fourmis et qu’il faut travailler dans le même sens ce serait plus simple. Mais toutes les décisions qui sont prises sont faites pour accentuer la séparation entre les gens. On oppose les gens en permanence : les hommes aux femmes, les hétérosexuels aux homos, les chrétiens aux musulmans, les gros aux maigres. On a perdu tous nos repères, toutes nos bases et on part vers l’inconnu.

C’est l’ère de la robotisation : d’ici 2050, 80 % des métiers vont disparaître. Le comptable va disparaître. Les robots ne coûteront plus rien et ils travailleront toute la journée, sans faire de fautes, tout sera carré. Donc non, je ne crois pas à la société de demain, on est beaucoup trop égoïstes. On se bat pour des sujets qui n’en valent pas la peine. Nous avons besoin d’être unis pour réussir à comprendre que la société va être compliquée.

Photo de couverture : Jordan Whitfield via Unsplash

Entretien réalisé en partenariat avec les étudiants en journalisme de l’EFJ.

Aurore HEUGAS
Jeune journaliste passionnée par les affaires étrangères, Aurore a travaillé pour la World Federation of United Nations Associations, l’ambassade des Etats Unis à Paris ou encore Canal France International.
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