Sylvain a 35 ans. Il est un ancien accro à la pornographie. Introverti et malheureux au travail, il a trouvé refuge dans les vidéos hardcores de gang bang et de gonzo. Elles étaient son refuge. Ce jeune toulousain soulève un vrai problème : le manque d’informations et d’éducation sur la pornographie.
Photo de couverture : Charles Deluvio
Dans cette histoire, Sylvain a 16 ans et rêve de louer une VHS porno au vidéoclub du coin. Il a 20 ans et jouit pour la première fois devant un film pornographique. Il a 25 ans et se masturbe sept à huit fois par jour. Son récit est celui de millions de personnes à travers le monde occidental. Son histoire est celle d’un cruel manque d’éducation sexuelle et de sensibilisation à la pornographie. C’est l’histoire d’un plaisir qui devient un refuge avant de se transformer en calvaire.

Mes premières masturbations étaient sans images. Je regardais des clips sexy et y repenser me suffisait pour me caresser. J’étais incapable de reconnaître mes sources d’excitation. Qu’est-ce qu’on connait de son corps à 16 ans ? À l’époque, il y avait des distributeurs de cassettes en location. L’idée d’emprunter une VHS porno traversait régulièrement mon esprit d’adolescent.
J’en avais envie, mais je m’abstenais, retenu sûrement par la crainte d’être vu par un proche. Quand tu ne vis pas chez toi et que tes parents ou ton colocataire sont à côté… La masturbation n’est pas la pratique sexuelle la plus discrète. Plus tard, l’accès aux films pornos sur Canal + ou Internet a été pour moi les prémices des plaisirs solitaires avec support.
Je me souviens de mon premier orgasme devant une vidéo… Un moment comme aucun autre. J’avais une vingtaine d’années et je culpabilisais déjà au sujet de la sexualité face à un écran. Pour moi, c’était très loin de l’évolution naturelle de l’homme.
Métro, boulot, porno
Partout en France, Internet s’était généralisé. J’étais devenu un vrai geek. L’année de mes 24 ans, j’ai quitté Toulouse pour travailler dans l’informatique à Lyon. À cet instant précis, les choses se sont dégradées… Je me retrouvais loin du cocon familial et proche de la solitude. Je n’avais ni repères ni visages familiers.
Je croyais avoir obtenu le Graal avec un job de rêves, mais très vite les conditions de travail se sont révélées déplorables. La vie que je menais perdait tout son sens et je tombais progressivement dans la déprime. J’étais ce garçon qui rougit en public, ce gars effacé au milieu de la foule. À cette époque, on pouvait me qualifier d’asocial.
Par ailleurs, spéculer au sujet des femmes pouvait rapidement déclencher en moi un état d’anxiété. Est-ce que l’ennui et la dépression m’ont poussé dans l’addiction au porno ? Plus tard, je comprendrai qu’ils avaient joué les premiers rôles dans ma dépendance.
Quand je rentrais du travail, je tournais en rond et le premier réflexe était de lancer l’ordi comme d’autres pourraient s’allumer une clope ou la télé. Ce signal répondait à mon besoin grandissant de décompresser et d’éprouver du plaisir. Dans ma tête, cela raisonnait comme : « C’est bon, tu peux souffler. La journée est finie : profite. » Et puis, noyé par la lassitude et plongé dans ma première addiction à l’écran, j’en creusais une autre : celle au porno.
Qu’est-ce que tu fous ? C’est malsain, tu le sais. Arrête.
La pornographie anesthésiait mon trop-plein d’émotions. Sur les sites classés X, j’apercevais les GIF de femmes qui s’exhibaient et en quelques secondes, mon sexe se contractait. Sans même avoir besoin de regarder la vidéo. Puis, le rythme s’est intensifié. Quand la masturbation intervient tous les trois jours, les contenus aux scénarios soft n’engendrent plus d’effets.
Lorsque les gens se touchent, leurs fantasmes ressemblent à la réalité. Dans mon cas, j’ai dévié vers des catégories moins saines, moins vraies… Les vidéos BDSM ou gonzo sont devenus les substances principales de cette drogue qu’était le porno. À cette période, j’avais une soif insatiable de clips hardcores. Pour moi, les actrices perdaient toute identité : elles n’avaient ni noms ni visages. Même quand elles se faisaient claquer et qu’elles pleuraient, je n’avais pas de remords. Ces femmes en mode survie, comme si elles pratiquaient un sport extrême, m’excitaient… elles encaissaient tout en évitant d’associer leurs pensées à la douleur. Comme des sportives en fin de marathon se répétant : « vas-y, donne tout jusqu’à la fin ! »
Ces scénarios étaient les libérateurs de ma dopamine. Devant l’écran, mon champ de vision se réduisait à un carré de 10 cm sur 10 cm et mes yeux chassaient ce qui pouvait m’exciter jusqu’à atteindre l’orgasme. Cette sensation fantastique de quelques secondes avant que le plafond ne s’effondre. Parce qu’après l’acte, l’excitation s’écroulait et la lucidité me collait à la peau. Je me répétais : « Tu ne feras jamais ça dans la vraie vie. Qu’est-ce que tu fous ? C’est malsain, tu le sais, arrête. »

Certains week-ends, je me masturbais jusqu’à 15 fois et mon corps me criait d’arrêter. Je n’arrivais plus à éjaculer, des troubles de l’érection et des périodes de grandes fatigues sont apparus. J’avais le pénis complètement irrité, je contractais tous les muscles de mon périnée au point de m’en faire mal. J’étais un avion en pilotage automatique : tu fonces, tu ne contrôles rien. Un jour dans un moment de lucidité, j’ai compris que c’était trop. J’étais sous emprise et je voulais me sauver de cette drogue. J’ai installé un filtrage sur le PC pour freiner la cadence, mais c’est comme avec le sucre : la privation place ton corps dans un état terrible de manque. Et tu replonges à fond dans la consommation.
Mon sexe ne répondait plus, parce que mon organisme avait besoin d’une régulation naturelle. Je m’arrêtais juste le temps de récupérer. Je ne bougeais que pour me nettoyer, avant que l’odeur et l’envie ne reviennent… Je n’avais aucun répit. Malgré quelques minutes de pleine conscience, il n’y avait aucune trêve. Le porno me figeait jusqu’à quatre heures consécutives sur ma chaise. Je fermais les volets. Une fois la pièce plongée dans le noir, je m’asseyais dans une position confortable face à l’écran. J’avais tout un rituel pour consommer cette drogue dans les meilleures conditions possibles.
Loin des valeurs morales
Un jour, j’ai appris les conditions de tournage de mes films pornos. Les femmes y sont maltraitées, droguées et alcoolisées. Je me suis interrogé sur mon plaisir. Une fois renseigné sur l’industrie de la pornographie, c’est encore plus écœurant. Comment pouvais-je me soulager devant un gang bang de huit hommes sur une fille ? Ou sur des femmes soumises attachées à des chaises ?
Dans certains studios, cela se passe mieux, mais tout reste loin du regard que je porte sur la bienveillance et l’image de la femme. Mais calfeutré dans ma bulle, la moralité, la réflexion et les valeurs humaines s’effaçaient. Les gamers peuvent oublier de s’alimenter, de boire ou de vivre pour un jeu vidéo. Moi, je connaissais ça avec la pornographie.
À 27 ans, j’ai essayé de refouler mes pulsions grâce au sport. Peut-être un coup du sort ou le fruit du hasard, mais j’ai rencontré une fille pendant une séance. Une porte de sortie pour étouffer mes désirs vicieux. Très vite, les sentiments se sont installés, on se ressemblait et on passait tout notre temps libre ensemble. Elle avait tout pour me plaire : belle, gentille, à l’écoute.
Quand je pénétrais ma copine, je ne sentais rien.
Nous vivions la passion des débuts lorsque tout est encore nouveau, naïf et beau… Jusqu’à ce qu’une gêne s’immisce entre nous pendant nos ébats. Je ne sentais rien pendant la pénétration parce que mon pénis était habitué à être comprimé par ma main. Elle jouissait, parfois jusqu’à deux orgasmes ; et de mon côté, je ne ressentais aucun plaisir charnel.
À la fin de nos rapports, ses confidences sur l’oreiller étaient atroces : elle se dévalorisait. Elle était convaincue d’être responsable de mon excitation défectueuse. En s’infligeant cette culpabilité, elle perdait toute confiance en elle. Je mentais en clamant que l’amour suffisait à mon plaisir pour la garder près de moi. Mais un nuage noir avait lentement assombri l’idylle parfaite. En vérité, un rapport de 40 minutes n’était pas normal. Je ne trouvais que des arguments peu convaincants, et cette relation ne m’éloignait pas des vidéos malsaines.
Le porno hard me donnait même des idées. J’avais envie de reproduire certaines choses… À une période, nous avons voulu copier, en moins violent, ces scènes pornographiques pour me satisfaire. Mais nous n’étions en rien des acteurs, une barrière psychologique nous bloquait. J’ai quitté cette fille en lui avouant qu’elle perdait du temps précieux et qu’elle ne méritait pas ça. Elle est partie. Sans l’addiction, l’histoire aurait certainement marché, parce qu’il y avait le « feeling ».

Mon expérience soulève un vrai problème : ces milliers d’images sont exposés aux jeunes sans aucune explication. L’exposition au porno est inévitable et nous ne devons pas le censurer et déclarer l’omerta. Se priver ne sert à rien… On peut essayer, jusqu’au jour où on se retourne sur une fille qui nous fait fantasmer et on rechute.
Il est temps d’offrir des moyens pour arriver à gérer cette consommation. Aujourd’hui, il faut créer soi-même son parcours d’éducation en comprenant sa maladie. Parce que c’est une maladie. D’ailleurs, le patient devient plus expert que son docteur sur une partie du problème… Quand je parlais à mon psy, j’avais l’impression de lui apprendre beaucoup de choses : je cherchais sans cesse comment améliorer mon état de santé.
Maintenant, j’ai une consommation modérée et je suis pour une pornographie éducative, diffusée quelques minutes aux jeunes avec des commentaires censés. Nous pouvons trouver une utilité à la pornographie.