Elles sont là, discrètes. Parfois au coin de notre rue. Nous les effleurons innocemment du regard quand nous arpentons le quartier de la base sous-marine à Bordeaux, ou quand nos pérégrinations nous mènent dans le dédale de rues qui sépare le cours de l’Yser du cours de la Somme. Elles sont aussi ailleurs, parfois insoupçonnables. Elles, ce sont les plaies encore ouvertes d’une guerre civile espagnole qui fit rage entre 1936 et 1939, et qui jeta des centaines de milliers d’hommes et de femmes sur les routes de l’exil, dont des milliers à Bordeaux. C’est ici, sur les bords de la Garonne, que trois femmes ont accepté de rouvrir le livre de leur histoire pour la Revue Far Ouest.
Manuela Mendez de Garcia a fêté ses 90 ans. L’œil vif et pétillant, elle semble se souvenir de chaque fragment de son histoire. Née en 1927 dans la province de Badajoz (sud-ouest de l’Espagne), elle décrit son enfance comme assez classique. Du moins jusqu’à ce que n’éclate la guerre civile en 1936. Manuela a alors 9 ans. Elle ne le sait pas encore, mais plus rien ne sera désormais comme avant.
L’Espagne, qui souffre de problèmes sociaux, économiques et politiques de premier ordre au début des années 1930 va voir son destin basculer. Le soulèvement des mineurs asturiens, réprimé dans le sang en 1934 (plus d’un millier de victimes), va marquer le début d’un déchirement irréversible entre la gauche et la droite espagnole. Le 17 juillet 1936, le général Francisco Franco mène une insurrection militaire et tente de confisquer le pouvoir aux républicains. Chaque drame a son point de départ. Celui de l’Espagne débute alors.
« Petite, j’adorais l’école. Mais, en 1936, j’ai dû arrêter à cause du début de la guerre. Cela a vraiment été très dur pour moi. Je n’y suis plus retournée », se souvient Manuela. Avec sa famille, elle vit dans le petit village de Santa Amalia, à quelques kilomètres d’une tragique ligne de front matérialisée par le fleuve La Guadiana. De l’autre côté, la ville de Medellín abrite alors la résistance républicaine. « C’était un peu comme si ce fleuve séparait les fascistes des gens de gauche. Nous nous étions réfugiés dans les champs, tandis que mon père, José Mendez Garcia, lui, était parti pour combattre. »

Santa Amalia est alors occupée par les forces loyales au général Franco. Manuela, malgré son jeune âge, comprend déjà qu’il faut cacher son appartenance au clan des républicains : « Je me souviens de l’arrivée de troupes fascistes, en file indienne, arrivant tout droit de Badajoz. Nous avions dû partir. Nos maisons avaient été pillées, et beaucoup de femmes qui étaient restées furent violées. » Ces troupes militaires, appuyées sur le terrain par de nombreux habitants du village, sont rangées du côté de Franco. Le père de Manuela, lui, fait front avec ses camarades. Son engagement en faveur des défavorisés marque la jeune fille, qui garde l’image d’un père parcourant les granges afin de voler des moutons dans le but de nourrir les plus nécessiteux.
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