Aujourd’hui, on se demande si les élections européennes nous concernent vraiment.
Cette newsletter a été envoyée ) nos inscrit·es le 28 mai 2024.
Le 9 juin, les Français·es sont appelés aux urnes pour les élections européennes. Des élections qui se démarquent par un fort taux d’abstention, mais qui ont toute leur importance pour nous et pour notre région.
Pour mieux comprendre le désintérêt des citoyen·nes face à ce scrutin, nous avons interviewé Vincent Tiberj, professeur des universités à Sciences Po Bordeaux, spécialiste de la sociologie électorale.
Dans cette newsletter, vous comprendrez pourquoi les élections européennes peinent tant à mobiliser les Français·es mais aussi l’impact que celles-ci peuvent avoir sur notre vie quotidienne.
Les Européennes chez nous
Concrètement, quel impact a l’Europe sur la Nouvelle-Aquitaine ? Depuis dix ans, ce sont les régions qui s’occupent des fonds européens. Ceux-ci représentent des centaines de millions d’euros qui permettent à notre territoire de se développer. Pour la période de 2021 à 2027, la région a prévu de répartir 1,3 milliard d’euros de ce budget, à des projets qui favorisent l’emploi, la création d’activités, le développement durable et l’inclusion sociale dans la région.
Entre 2014 et 2020, l’Europe a soutenu 2 646 projets dans notre région. Gwenaël Lemarque, directeur de la Maison de l’Europe Bordeaux-Aquitaine (Mega), expliquait à Sud-Ouest que à Bordeaux, « chaque métropolitain vit à moins d’un kilomètre d’un projet co-financé par l’Union européenne ». Ainsi, la Cité du vin à Bordeaux a bénéficié de 12 millions d’euros sur un total de 81 millions d’euros.
Les fonds européens ont également profité à l’Université de Bordeaux Montaigne pendant la crise Covid pour développer l’enseignement en ligne. Mais ces fonds ne sont pas réservés à la métropole bordelaise, ils ont également servi à la Creuse, où 760 000 euros ont été utilisés pour la Cité de la tapisserie d’Aubusson.
Bien que peu visible, l’Union européenne a également un impact sur notre vie quotidienne et les politiques locales.
Entretien avec Vincent Tiberj
Pourquoi les élections européennes n’intéressent pas beaucoup les Français·es?
L’Europe peut intéresser dès lors que l’on met en avant de vrais enjeux. Typiquement, on a quand même ce référendum de 2005 [sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe], qui avait mobilisé 69 % de la population. Donc l’Europe en tant que telle, si vous mettez les gens devant de vrais choix, devant de vraies alternatives, elle peut intéresser.
Ensuite se pose la question des élections en elle-même. La culture du vote a changé. Aujourd’hui, le rapport au vote est de moins en moins un rapport de vote de devoir, mais de plus en plus un vote distant ou intermittent. On va voter si on considère qu’il y a de l’enjeu, des choix intéressants et importants à faire.
On va voter si on considère qu’il y a de l’enjeu, des choix intéressants et importants à faire.
Certains électeurs s’abstiennent non pas parce qu’ils ne s’intéressent pas à la société, mais parce qu’ils refusent le vote comme acte de délégation, de remise de soi à des élus. C’est la logique de la démocratie dite représentative qui est interrogée par ces citoyens qui ne veulent plus se laisser dicter des choix.
Enfin, il y a le fait qu’une campagne électorale européenne, c’est une campagne qui intéresse peu. Le bruit médiatique est largement inférieur à celui qui agite lors d’une campagne présidentielle. Les partis se mobilisent moins et ne mettent pas en avant leur tête de gondole. Souvenons-nous du temps qu’il a fallu pour que la liste Renaissance sorte… Et on attend encore le programme détaillé de chacune des listes.
Pourquoi les citoyen·nes français·es se sentent-ils si éloigné·es de ces élections ?
Le souci est que le suivi des affaires européennes n’est pas simple. Si vous êtes un citoyen qui souhaite s’informer sur la vie et l’actualité du parlement, c’est compliqué. Quand on parle de politique en France, on parle essentiellement de politique nationale et parfois régionale.
La démocratie reste très centrée sur cette figure d’élus qui sauraient ce qu’il faut faire, face à des citoyens animés par leurs passions et qui ne comprennent rien.
Et pourtant, il y a des enjeux essentiels en Europe… Ce n’est pas simplement l’histoire du chargeur universel. Il y a le Green Deal, ce pacte européen pour concilier croissance et enjeux écologiques, la question d’une armée européenne, la question de l’intégration de l’Ukraine… Ce sont des gros enjeux qui peuvent peser sur notre vie quotidienne, mais des enjeux très peu et mal couverts par les médias.
Donc pour que les citoyen·nes se sentent concerné·es par ces élections, faut-il les investir davantage?
Oui, et ce n’est pas simple. En mon sens, on est aujourd’hui dans un moment compliqué pour l’avenir de la démocratie. La démocratie au sens d’« action citoyenne » progresse énormément. On est plus sur des citoyens qui se limitent à mettre un bulletin dans les urnes une fois tous les 5 ans. Les citoyens sont mobilisés par les associations, les pétitions, les réseaux sociaux…
En gros on est face à des citoyens qui se remuent, qui participent, mais on est en même temps dans une situation où la démocratie reste représentative. C’est-à-dire qu’elle passe par les élus et pas par les électeurs. Elle reste très centrée sur cette figure d’élus qui sauraient ce qu’il faut faire, face à des citoyens animés par leurs passions et qui ne comprennent rien. Ce qui se passe face à l’Europe c’est ce qui passe avec la politique nationale et locale. Il faut mieux associer les citoyens, et ça, l’Europe à beaucoup de mal.
Comment peut-on faire pour mobiliser les Français et notamment les jeunes, dans ces élections?
Déjà, il faut avoir en tête que même s’ils ne votent plus, ils participent énormément. C’est-à-dire que pour eux, la citoyenneté ce n’est pas simplement une question de vote. Ils participent dans les associations de quartier, dans les actions caritatives, dans les différents dons possibles…
L’Europe est présente dans notre quotidien, mais elle n’est pas forcément visible.
Il faudrait également faire en sorte que voter ne soit pas simplement élire. Et ça, c’est quelque chose de très particulier à la politique française. On est dans une culture de la délégation. Si on redonne aux gens la possibilité de faire des choix, notamment à travers des référendums locaux et nationaux, cela pourrait être beaucoup plus intéressant.
D’un point de vue plus local, peut-on voir des effets sur les décisions prises au parlement européen?
Oui bien sûr, ça a des impacts en termes de soutien des initiatives locales, mais aussi d’un point de vue d’agriculture. On a bien vu les débats autour du Green Deal et de son implication en France sur l’incitation à mettre des nouvelles formes d’agriculture ou non…
L’Europe finance aussi à travers les fonds de développement une bonne partie des grandes infrastructures et il y a un vrai travail au sein de l’Europe sur les inégalités territoriales ainsi qu’une politique de soutien très fort de l’internationalisation des universités et grandes écoles… Bref, l’Europe est présente dans notre quotidien, mais elle n’est pas forcément visible.
Ce qui permet à l’Europe de peser, c’est comment les fonds sont distribués et sous quels critères. Les députés élus prennent part à tout cela : comment on répartit le budget des fonds, les normes, les objectifs…
Pour aller plus loin
🪫 Qui a vraiment le pouvoir en Europe? Dans cette vidéo, Blast propose d’essayer de mieux comprendre l’Union européenne, sa nature, son fonctionnement et ses limites à travers le prisme de la Commission européenne dirigée par Ursula von der Leyen.
🗳️ «Je ne préfère pas voter, ce n’est pas un sujet qui m’intéresse». Franceinfo est allée à la rencontre des étudiants de l’IUT de Rives-de-Seine à Paris, pour comprendre pourquoi le scrutin des Européennes ne mobilise pas les jeunes.
🎯 «L’écologie positive» du RN, une menace pour le climat et la justice sociale. Le parti de Marine Le Pen a fait de l’écologie l’un de ses axes de campagne pour les élections européennes. Favori des sondages avec sa vision « positive », le Rassemblement national a pourtant un triste bilan au Parlement européen où il a toujours défendu des positions anti-climat et antisociales.