À Bressuire, dans les Deux-Sèvres, Ishe, Charlie et Sasha mènent une vie presque normale. Mais dans une ville où tout le monde se connaît, iels ne passent pas inaperçu·es. Ni tout à fait fille, ni tout à fait garçon, les trois jeunes sont non-binaires : iels ne se reconnaissent pas dans le genre qui leur a été assigné à la naissance.
Sur le bord de la route, les vaches ne remarquent même plus les voitures qui défilent entre leurs prairies verdoyantes. Les bocages laissent peu à peu place à de petits bourgs, qui, une fois passés, mènent à Bressuire, l’une des deux sous-préfectures des Deux-Sèvres. Bressuire compte 20 000 habitants, trois à quatre trains par jour, un unique cinéma, et des rues où tout le monde se croise.
À quelques minutes du centre-ville, je retrouve Ishe dans un quartier pavillonnaire où les maisons à plusieurs niveaux sont plus grandes les unes que les autres. La sienne ne fait pas exception. Dans le grand salon lumineux, la cheminée éteinte, décorée avec des figurines de la saga Harry Potter, est imposante. Ishe a 23 ans, des mèches de cheveux violets et blonds, porte le bouc, une chemise bleue à fleurs et des chaussures à plateforme multicolores. Iel est transgenre et non-binaire. « Je ne suis ni un homme ni une femme. Je suis moi. J’utilise les accords et le pronom neutres iel. Cela correspond plus à qui je suis », confie Ishe, assis·e dans son salon sur un tabouret en bois.
Je ne suis ni un homme ni une femme. Je suis moi.
À sa naissance en Nouvelle-Calédonie, Ishe a été assigné·e garçon. Iel a deux ans quand ses parents s’installent à Troyes. Quelques semaines plus tard, sa mère se sépare de son père — qu’iel n’a plus jamais revu. Ishe et sa mère vivront ensuite à Saintes, avant de rejoindre les Deux-Sèvres. Iel y passe une enfance banale, dans un village où vit sa grand-mère. Petit·e, Ishe n’avait pas de questionnement sur son identité de genre. « Mon enfance était normée, mais je n’ai jamais accepté les codes du genre, comme dire que Barbie est un jouet pour filles et Action Man un jouet pour garçons.» Ishe a quinze ans quand iel suit sa mère à Bressuire. « Elle y a acheté cette maison, car elle voulait m’offrir un pied-à-terre et une stabilité. »
Internet pour « fuir la réalité »
Début 2017, à peine trois ans après avoir acheté sa maison, la mère d’Ishe meurt. À 18 ans, pourtant propriétaire, iel décide de quitter Bressuire pour étudier les mathématiques à La Rochelle. « Les études ne me plaisaient pas, puis je me suis fait·e larguer. J’ai remis toute ma vie en perspective et j’ai décidé de revenir à Bressuire, où j’avais déjà mes repères. »

Photo : Charlie Schiffer & Ishe Le Corre
Ishe, sans emploi, vit alors seul·e dans sa maison. Contre la solitude, iel joue aux jeux vidéo et traîne sur Internet. « Le monde virtuel est un super outil pour ne pas se sentir seul·e. C’est important dans la vie des personnes queer en campagne, car c’est un moyen de fuir la réalité. Je n’en avais pas conscience, car je n’ai su que j’étais non-binaire qu’en 2018. C’est en me reconnaissant dans des témoignages que j’ai compris que je n’étais pas cisgenre. » Lorsque l’on vit en campagne et que le premier centre LGBTQI est à 1 h 30 de route, Internet devient une véritable mine d’or facilement accessible pour se renseigner sur les questions de genre.
En février de la même année, Ishe commence à discuter avec Charlie sur une application de rencontre. À l’époque, Charlie vit à deux heures de Bressuire, dans la campagne de Poitiers. Le courant passe tout de suite. Ni une, ni deux, Charlie saute dans un car direction les Deux-Sèvres. Quelques mois plus tard, iels se mettent en couple. […]
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Retrouvez cet article dans Revue Far Ouest : Tout reprendre. Nous avons voulu rencontrer celles et ceux qui veulent, ou doivent parfois repartir de zéro ; celles et ceux qui, aussi, parviennent à se réapproprier l’existant pour écrire un nouveau récit.