Aujourd’hui on parle de la pollution lumineuse dans la région.
Cette newsletter a été envoyée à nos inscrit·es le 12 novembre 2024.
Chaque année, depuis 16 ans, le 12 octobre marque le « Jour de la Nuit ». Une initiative de l’association Agir pour l’environnement pour sensibiliser le public sur les conséquences de la pollution lumineuse sur la faune, la flore et notre santé.
En Nouvelle-Aquitaine, la région s’est fixé pour objectif de devenir la première région étoilée de France avant 2030. De nombreuses communes ont déjà pris des mesures pour allier confort urbain et protection du ciel étoilé.
Dans cette newsletter, vous découvrez les origines de la pollution lumineuse, son impact sur le territoire de la Nouvelle-Aquitaine, ainsi que les débats autour de la sécurité nocturne, qui poussent certaines villes à réajuster leur politique d’éclairage.
Coup de Loupe
C’est quoi, en vrai, la pollution lumineuse ?
Quand on parle de pollution lumineuse, on évoque les effets néfastes de la lumière artificielle sur notre environnement et sur notre santé. En clair, trop d’éclairage, ça diminue la visibilité du ciel étoilé, mais c’est aussi une contribution directe au réchauffement climatique : 4 % des émissions de gaz à effet de serre en France proviennent de l’éclairage public selon l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturnes (ANPCEN).
Mais ce n’est pas tout : la lumière artificielle pose également un sérieux problème pour la biodiversité. En perturbant le rythme naturel jour/nuit des espèces, elle les prive de leurs phases de repos ce qui limite leur croissance. Autre danger : certaines espèces, attirées par la lumière, sont piégées. Chaque nuit, un seul lampadaire peut causer la mort de 150 insectes. « Pour d’autres animaux, la lumière agit comme un repoussoir, les confinant dans un territoire restreint où ils deviennent des proies faciles. C’est le cas des poissons pour qui la lumière crée une barrière infranchissable», explique Michel Deromme, correspondant néo-aquitain de l’ANPCEN.
Et nous, les humains, ne sommes pas en reste ! Pour bien fonctionner, nous aurions besoin de 5 à 6 heures d’obscurité. Les dérèglements lumineux affectent donc aussi notre santé et favorisent le développement des troubles du sommeil, des maladies cardiovasculaires et neurodégénératives ou encore de certains cancers.
Mais ça concerne surtout les grandes villes, non ?
Eh bien, oui et non. En Nouvelle-Aquitaine, les principaux foyers de pollution lumineuse sont effectivement les grandes villes de la région : Bordeaux, Limoges, La Rochelle, Pau… Mais la lumière ne reste pas confinée aux zones urbaines. Elle se diffuse largement, créant un halo lumineux visible à des dizaines de kilomètres. « Ce phénomène efface les étoiles et laisse une lueur persistante à l’horizon, même dans des endroits comme les campagnes hautes-viennoises qui devraient être plongés dans l’obscurité totale », précise Michel Deromme. Aujourd’hui, 85 % du territoire hexagonal est exposé à un niveau élevé de pollution lumineuse mettant en danger l’ensemble de la faune et de la flore.
Sur la côte basque, l’impact de cette lumière artificielle est particulièrement préoccupant : selon la revue Nature, la lumière artificielle peut pénétrer jusqu’à trois quarts des fonds marins. « Depuis 2018, la loi interdit d’éclairer directement les cours d’eau pour préserver la faune », souligne le correspondant local. Mais cette loi ne concerne ni les phares, ni les entrées de ports, ni les bassins privés. En conséquence, des villes moyennes comme Capbreton affichent aujourd’hui un niveau de pollution lumineuse comparable à celui de villes cinq fois plus grandes, comme Limoges.
Cette pollution contribue à la disparition de certaines espèces locales, comme les saumons de la Nivelle, déjà menacés par d’autres facteurs : la hausse des températures, la surpêche, la pollution et l’acidification des océans.
C’est possible de dépolluer la lumière ?
Oui ! Contrairement à d’autres types de pollution, la pollution lumineuse est en partie réversible. En réduisant les sources de lumière artificielle, de nombreuses espèces peuvent rapidement retrouver leur rythme naturel, comme les papillons de nuit et autres insectes nocturnes.
Michel Deromme, expert en pollution lumineuse, nous le rappelle : « La solution contre la pollution lumineuse c’est d’éclairer ce qu’il faut, quand il faut. » Concrètement, cela signifie : réduire l’intensité des éclairages, orienter les lumières vers le sol plutôt que vers le ciel, utiliser des luminaires qui ciblent précisément les zones à éclairer, et privilégier des lumières orange, moins perturbantes que les LED blanches, qui émettent une lumière bleue. À la maison, une paire de rideaux occultant et des caches pour les voyants lumineux des appareils électroniques peuvent aussi aider à réduire cette pollution.
Il existe aussi des projets de plus grande envergure. En France, cinq territoires ont obtenu le label des Réserves internationales de Ciel étoilé (RICE) pour leurs efforts en matière de dépollution lumineuse. En Nouvelle-Aquitaine, le Parc naturel régional de Millevaches, dans le Limousin, sert d’exemple. Grâce à sa labellisation, ce parc propose désormais 11 sites où l’observation du ciel nocturne est idéale, permettant aux visiteurs de contempler la Voie lactée à l’œil nu tout en profitant de la biodiversité locale.
Le sachiez-tu
C’est le nombre d’étoiles que l’on peut observer à l’œil nu depuis l’agglomération bordelaise les nuits dégagées. À titre de comparaison, dans la réserve internationale de ciel étoilé (RICE) de Millevaches, ce chiffre monte jusqu’à 2000.
C’est arrivé près de chez vous
Allumez les étoiles
Depuis plus de dix ans, de nombreuses communes néo-aquitaines ont pris la décision d’éteindre leur éclairage public durant la nuit. 200 communes en Charente, 150 en Haute-Vienne et 150 en Corrèze ont adopté cette initiative, alliant écologie et économies d’énergie.
Michel Deromme, représentant local de l’ANPCEN (Association Nationale pour la Protection du Ciel et de l’Environnement Nocturnes), est un fervent défenseur de l’extinction nocturne : « Un éclairage qui fonctionne 24 h/24, c’est plus de 400 100 heures de lumière par an. C’est absurde. Éteindre les lumières la nuit, c’est la solution la plus simple et la plus efficace pour limiter la pollution lumineuse. » Et cette méthode semble porter ses fruits : selon le cabinet Dark Sky Lab, entre 2022 et 2023, les émissions lumineuses en France auraient baissé de 25 %.
La sécurité, une question sensible
Mais éteindre l’éclairage, est-ce la solution idéale ? À Bordeaux, l’extinction partielle de l’éclairage public entre 1 h et 5 heures du matin, mise en place depuis 2023 dans le cadre du programme « Bordeaux Nuit étoilée », suscite de vifs débats. La sécurité, en particulier celle des femmes, est au cœur des préoccupations. Plus de 700 femmes ont signé une pétition pour dénoncer les dangers de l’extinction nocturne dans la ville : « Faut-il encore attendre qu’un drame se produise pour que l’on agisse ? Comment est-il possible qu’une grande métropole française choisisse de plonger ses habitants dans le noir complet pour économiser de l’énergie ? », interpellent-elles.
91 % des Français jugent essentiel l’éclairage public nocturne pour leur sécurité, selon un sondage IPSOS. Bien qu’aucune étude ne montre un lien direct entre extinction et insécurité, plusieurs villes ont réajusté leur politique. À Bayonne, après six mois d’expérimentation, les 8 000 points lumineux ont été rallumés, à la demande des habitants. À Bordeaux, certaines rues ont également été rééclairées, suite à des demandes de la police et des témoignages de riverains. Une Bordelaise, citée par Rue89 Bordeaux, explique : « J’ai été suivie deux fois la nuit. Pour m’orienter, je dois utiliser la lampe de mon téléphone, ce qui me rend repérable. »
L’argument économique avant tout
Alors pourquoi ce choix d’éteindre les lumières ? Avant tout pour des raisons économiques. Depuis la crise énergétique de 2022, les communes font face à une flambée des prix de l’électricité. L’ANPCEN en est bien consciente et récompense les efforts en matière de sobriété avec son label « Villes et villages Étoilés ». L’objectif est de créer un effet domino : « Souvent, les maires des communes voisines s’intéressent au label lorsqu’ils réalisent les économies possibles. »
À Bordeaux, l’argument économique joue aussi un rôle central. En un an, la ville a réduit sa consommation d’énergie de 13 %, soit 400 000 euros d’économies sur sa facture d’électricité. Dans cette logique, la ville a investi 200 000 euros pour remplacer ses ampoules traditionnelles par des LED, une mesure qui, selon Michel Deromme, se révèle être une erreur écologique : « Les LED sont certes plus économes, mais elles sont aussi parmi les plus nocives pour l’écosystème nocturne. »
Pour concilier sécurité et économies d’énergie, certaines villes ont opté pour des solutions innovantes. Depuis le 19 octobre, Eysines, en Gironde, permet à ses habitants de contrôler l’éclairage public nocturne via leur smartphone grâce à la plateforme jallume.fr. Ce projet, qui a coûté 75 000 euros, couvre 125 armoires électriques et 3 900 candélabres. Mais comme le souligne Michel Deromme, « Si ces solutions sont populaires auprès des habitants, elles restent coûteuses à déployer et difficiles à généraliser à grande échelle. »
En attendant, il existe des actions simples et efficaces que toutes les communes peuvent adopter. Réduire l’éclairage des monuments, ajuster la luminosité des lampadaires en fonction des besoins réels, ou encore privilégier des ampoules écologiques, sont des mesures qui permettent de limiter la pollution lumineuse tout en garantissant la sécurité des habitants. Comme le souligne le géographe palois Bruno Charlier sur X (Ex-Twitter) : « Éteindre ou ne pas éteindre, est-ce vraiment la question ? On peut commencer par “éclairer juste”. »
Pour aller plus loin :
🌪️ La pollution lumineuse. Debadoc en Nouvelle-Aquitaine donne la parole aux acteurs de la région pour explorer les pistes et solutions possibles face à la pollution lumineuse.
🌟 Comment protéger le ciel étoilé ? France Culture retrace l’histoire de l’aménagement lumineux en France et étudie l’impact anthropologique et astronomique de l’impossibilité de voir les étoiles.
💡 Pollution lumineuse : noir c’est noir, il y a encore de l’espoir. Quels sont les mécanismes de la pollution lumineuse qui impacte la biodiversité ? Dans cet épisode de Podcast, Sani’Terre étudie l’interdépendance entre santé humaine, animale et environnementale.
– Cette newsletter a été conçue par Kinda Luwawa et Clémence Postis.