Aujourd’hui, on parle de l’accès à l’avortement dans les zones rurales.
Cette newsletter a été envoyée à nos inscrit·es le 1er octobre 2024.
Depuis mars, l’avortement est reconnu comme une « liberté fondamentale » dans la Constitution. Pourtant, en Nouvelle-Aquitaine, comme dans d’autres régions, le manque de centres et de praticiens en zone rurale continue de limiter son accès.
Dans cette newsletter, vous comprendrez les inégalités territoriales qui entourent l’avortement, les causes de ces disparités, et les initiatives déployées par les acteurs locaux pour y remédier.
Le coup de loupe
Quelles sont les étapes à suivre pour procéder à une interruption volontaire de grossesse (IVG) ?
Pour commencer, il faut prendre rendez-vous avec un·e médecin ou un·e sage-femme agréé·e. Selon la loi, un rendez-vous doit être proposé dans les 5 jours suivant cet appel. Lors de cette première rencontre, un bilan complet est réalisé : prise de sang, examen gynécologique et échographie. Ces étapes permettent de déterminer le stade de la grossesse et d’informer la personne qui souhaite avorter sur les différentes méthodes disponibles.
À la deuxième consultation, la demande d’IVG doit être confirmée par écrit et la·e patient·e choisit la méthode d’IVG qui lui convient le mieux, qu’elle soit médicamenteuse ou chirurgicale. À la fin de ce rendez-vous, un document est remis, ouvrant l’accès à l’intervention.
Enfin, une consultation de suivi est programmée entre le 14e et le 21e jour après l’IVG. Ce contrôle est essentiel pour vérifier l’absence de complications et discuter des options de contraception pour l’avenir.
Comment l’accès à l’avortement varie entre les zones urbaines et les zones rurales ?
Considérablement ! C’est ce qu’épingle le rapport parlementaire sur l’IVG, rédigé par Marie-Noëlle Battistel (PS) et Cécile Muschotti (LREM) en 2020 en vue de renforcer le droit à l’avortement en France. Leur travail met en avant que « les femmes vivant en zones rurales sont particulièrement affectées par le manque de professionnels de santé. »
Cette observation est soutenue par une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DRESS), qui révèle que le pourcentage d’IVG réalisées en dehors du département de résidence est très élevé dans les zones rurales. Autrement dit, les patient·es vivant à la campagne sont plus enclins à changer de département pour avorter. Dans la Creuse, ce taux atteint 29,5 %, contre seulement 5 % en Gironde.
Pour illustrer ces disparités, le Planning familial de Nouvelle-Aquitaine a développé une carte interactive sur son site « Ton Plan à Toi ». Colline Bost, coordinatrice régionale, précise : « Cette carte met en évidence les zones avec une offre abondante, comme Bordeaux et Poitiers, et celles où les services sont plus rares, comme le Limousin et le sud des Pyrénées-Atlantiques. »
Pourquoi est-ce qu’il n’y a pas assez de médecins généralistes et de sages-femmes qui pratiquent des IVG ?
Pour réaliser une IVG, les sages-femmes et médecins généralistes doivent être conventionnés. Ce processus administratif rigoureux garantit que les professionnels respectent les normes de santé établies et assurent une prise en charge adéquate des patientes. D’après la DRESS en 2018, seuls 2,9 % des généralistes et gynécologues contre 3,5 % des sages-femmes pratiquent des IVG en France.
Autre élément en cause : la double clause de conscience, décriée par les associations féministes comme le Planning Familial. Cette clause, spécifique à l’IVG, permet à tout médecin, sage-femme ou infirmier·e de refuser de pratiquer une IVG pour des raisons morales ou religieuses sans avoir à se justifier.
Le sachiez-tu
C’est le nombre de jours qu’il faut attendre en moyenne en Nouvelle-Aquitaine entre la prise de rendez-vous et la réalisation effective d’une IVG. Il s’agit du délai le plus élevé de France, la moyenne nationale oscille autour des 7 jours.
C’est arrivé près de chez nous
Limousin : l’accès à l’avortement en danger ?
Dans le Limousin, accéder à une IVG reste un véritable parcours du combattant pour celles et ceux qui en ont besoin. En Creuse, par exemple, le Centre hospitalier de Guéret est le seul lieu où des avortements, qu’ils soient médicamenteux ou chirurgicaux, sont pratiqués. Pour pallier ce manque, les centres hospitaliers et plannings familiaux de la Haute-Vienne, de la Creuse et de la Corrèze collaborent étroitement. Leur objectif : assurer une prise en charge de personnes souhaitant avorter, le plus près possible de chez elles et dans le respect des délais légaux.
Car à Guéret, l’équipe médicale, composée de trois praticiens et d’une sage-femme, fait face à une charge de travail importante. Chaque année, c’est près de 180 IVG qui y sont réalisées. À lui seul, l’hôpital assure autant d’IVG que les départements dans la moyenne nationale. Pas de solution miracle : le personnel ne compte pas ses heures. « Je ne devais pas travailler aujourd’hui, mais avec le nombre d’IVG programmées, j’ai dû réajuster mon emploi du temps », confie Valérie Picot, la sage-femme conventionnée de l’établissement.
70 km pour avorter
Mais face à cette offre dispersée, un défi majeur persiste : celui de la mobilité des patient·e·s. En effet, si une personne de Tarnac en Corrèze souhaite avorter chirurgicalement, elle doit parcourir pas moins de 70 kilomètres jusqu’au centre le plus proche, à Limoges en Haute-Vienne. Une contrainte en termes de temps et d’argent, car si l’IVG est gratuite en France, les frais de déplacement eux ne sont pas pris en charge. C’est un obstacle supplémentaire pour les personnes en situation de précarité.
Alors pour alléger ces difficultés, des initiatives locales ont vu le jour. En Creuse comme en Corrèze, les salariés du Planning familial peuvent accompagner les patient·e·s vers leurs lieux d’avortement. De leur côté, les centres hospitaliers s’efforcent également de limiter les trajets inutiles. « Pour les patientes qui habitent loin, on essaie au maximum de regrouper leurs rendez-vous sur un même jour », assure Valérie Picot.
Aucun médecin généraliste conventionné
Malgré ces efforts, plusieurs obstacles demeurent. Le manque de personnel qualifié, notamment de sages-femmes formées à l’IVG, met les services hospitaliers sous pression. Et la médecine de ville, qui pourrait offrir des IVG médicamenteuses, est encore peu développée dans la région. En Creuse et en Haute-Vienne, aucun médecin généraliste n’est conventionné pour pratiquer des IVG, laissant de nombreuses personnes sans options accessibles.
Difficile également de s’adapter aux nouvelles mesures avec peu de ressources. L’allongement du délai légal de l’IVG à 14 semaines voté en 2022 n’est pas encore applicable partout en raison de la technicité de l’opération. Et pour la méthode d’anesthésie, là aussi le choix est moindre. Pour l’essentiel, elle sera générale, car l’anesthésie locale au niveau du col de l’utérus nécessite elle aussi une formation supplémentaire. « Normalement c’est les patients qui choisissent le choix de l’anesthésie. En l’état, notre rôle c’est surtout de rassurer les réfractaires », pointe Valérie Picot.
« Ce que cela traduit, c’est un manque de moyens pour les organisations qui luttent pour les droits et la santé des femmes », explique Isabelle Doyon du Planning familial de Peyrelevade en Corrèze. Pour répondre à cette problématique, les animatrices du Planning familial ont créé des permanences itinérantes à bord d’un camion aménagé. « Une de nos missions c’est aussi de sensibiliser à la contraception et à l’avortement en amont, afin que les personnes concernées sachent quoi faire en cas de besoin. »
Pour aller plus loin
🌻 Avorter au mois d’août en France : un parcours de combattante. Pendant la période estivale de nombreux établissements réduisent leurs effectifs. Par conséquent, l’accès aux services devient encore plus difficile pour celles et ceux qui souhaitent interrompre leur grossesse.
🥊 Pour l’IVG, les luttes encore à mener. Depuis mars, l’IVG est inscrite dans la Constitution en tant que « liberté » mais qu’en est-il réellement de l’accès à l’avortement ? Dans cet épisode de Penser les luttes, l’émission revient sur les questions d’accès à l’IVG depuis la loi Veil en 1975.
💬 IVG : le droit d’en parler. Dans ce film documentaire France TV Slash, Léa Bordier brise le tabou autour de l’avortement à travers des témoignages de femmes ayant avorté.