Aujourd’hui, on consomme local… Pour nos jeux vidéo !
Cette newsletter a été envoyée le 29 novembre 2024.
L’industrie française du jeu vidéo a généré 5,6 milliards d’euros de chiffres d’affaires en 2022 : 776 titres ont été commercialisés et 1257 jeux étaient encore en cours de production. Une petite entreprise qui ne connait pas la crise comme on dit.
Et la Nouvelle-Aquitaine n’est pas en reste ! Saviez-vous que depuis le milieu des années 1990, la région est un territoire incontournable du jeu vidéo ? Du 4 au 23 décembre la galerie Tentö à Bordeaux expose, pour la première fois en France, les décors à l’aquarelle d’un jeu vidéo. Ce jeu, c’est Dordogne, et il est 100 % local.
L’occasion d’en apprendre plus sur l’industrie du jeu vidéo en Nouvelle-Aquitaine. Dans cette newsletter, on vous explique la place historique de Bordeaux dans le jeu vidéo, le poids économique de ce dernier pour la région, et on vous fait découvrir une petite pépite artistique : le jeu vidéo Dordogne.
Le coup de Loupe
On produit des jeux vidéo en Nouvelle-Aquitaine ?
En Nouvelle-Aquitaine, on ne fait pas que du vin et de l’huile de noix ! La région est particulièrement active dans la production de jeux vidéo et un acteur clé du développement de l’industrie en France. On peut citer A Plague Tale : Innocence d’Asobo Studio, Dead Cells de Motion Twin, Northgard de Shirogames et même Assasin’s Creed Mirage d’Ubisoft. Des jeux 100 % locaux qui ont connu un succès critique et commercial.
Et ce dynamisme commence dès l’école. La Nouvelle-Aquitaine peut compter sur un écosystème riche en studios, mais aussi en formation de talents : il existe 23 écoles spécialisées dans le jeu vidéo. Bordeaux, Poitiers, La Rochelle, Angoulême… Chaque année, plus de 2000 étudiant·es sortent de ces formations et sont prêt·es à rejoindre les studios de la région.
La Nouvelle-Aquitaine est la troisième région de France où l’industrie du jeu vidéo est la plus active (après l’Île-de-France et la région Auvergne-Rhône-Alpes). Une place que les politiques publiques prennent en compte : la région soutient la création via des subventions comme le Fonds d’Aide à la Création de Jeux Vidéo. En 2023, la région a ainsi alloué un budget de 500 000 euros pour ce fond.
Mais quel rapport entre le jeu vidéo et la Nouvelle-Aquitaine ?
On ne s’y attend pas forcément, mais la Nouvelle-Aquitaine, et notamment Bordeaux, a une place historique dans l’industrie du jeu vidéo en France. Tout commence dans les années 1990, avec la création de studios pionniers à Bordeaux, comme Kalisto. Aujourd’hui oublié du grand public, il a pourtant été un des plus grands studios français à l’époque. Il a marqué une génération de créateur·ices et a contribué à structurer l’écosystème régional.
Kalisto est fondé en 1990 par Nicolas Gaume. Il se fixe l’objectif de rivaliser avec les grands noms du jeu vidéo mondial, en misant tout — et avec succès — sur l’innovation et des graphismes marquants. Le studio connaît une expansion rapide, multiplie les projets et entre en bourse en 1999. Cette opération attire les investisseurs, et la valeur de Kalisto atteint plusieurs millions d’euros. La success story semble garantie.
Mais qui dit expansion dit dépenses élevées et difficulté de gestion. Kalisto prend des risques financiers en investissant sans réellement compter et souffre de retards de développement répétés sur ces mêmes projets. Ajoutez à cela l’éclatement de la bulle internet au début des années 2000, qui affecte gravement les entreprises technologiques, et Kalisto fait faillite en 2002.
Même si c’est un échec, le dynamisme actuel du secteur est un héritage direct de Kalisto. Le studio a été une pépinière de talents — Asobo notamment a été fondé par une dizaine d’anciens de Kalisto —, une source d’inspiration quant à ses ambitions internationales, mais aussi une véritable leçon sur les risques économiques et les erreurs de gestion à ne pas reproduire.
Certes, mais le jeu vidéo c’est surtout du pan-pan-boum-boum sans intérêt, non ?
Le jeu vidéo est un secteur dynamique : en 2022, l’industrie française du jeu vidéo a généré 5,6 milliards d’euros de chiffres d’affaires. Face à de tels chiffres, il est tentant de résumer le secteur à une industrie florissante. C’est ce succès financier qui a notamment convaincu les politiques publiques de s’intéresser au secteur et de le soutenir. Mais c’est aussi ce succès qui efface l’aspect artistique pour mettre l’accent uniquement sur l’aspect commercial.
Pourtant, le jeu vidéo est, par essence, une œuvre collaborative qui mobilise plusieurs arts traditionnels. Comme les arts visuels, la musique ou encore la littérature et la narration. A Plague Tale : Innocence, développé par le bordelaisAsobo Studios est un jeu d’aventure qui prend place dans une France médiévale particulièrement sombre. L’aventure propose un récit complexe et émouvant, avec une narration qui s’inspire des grandes œuvres littéraires.
Un jeu vidéo est aussi une expérience visuelle qui demande un travail artistique comparable à celui des peintres ou des illustrateurs. C’est le cas notamment de Dordogne, développé par le Studio Un Je Ne Sais Quoi et Umanimation. Ce jeu narratif s’appuie sur une esthétique spécifique : celle de l’aquarelle. Comme pour l’industrie du cinéma, il existe des jeux blockbuster centrés uniquement sur le divertissement, et des petites productions indépendantes avec une vision d’auteur·ice.
Le sachiez-tu ?
En Nouvelle-Aquitaine, le chiffre d’affaires du secteur du jeu vidéo est estimé à plus de 100 millions d’euros.
C’est arrivé près de chez nous
Dordogne : un jeu entre aquarelle et émotions familiales
Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance ? Pensez-vous les avoir sublimés, ou au contraire reflètent-ils la réalité ? Le jeu vidéo Dordogne explore l’intimité des souvenirs d’enfance et des liens familiaux. Développé par deux studios bordelais, Un Je Ne Sais Quoi et Umanimation, Dordogne est un jeu d’aventure narrative qui a su convaincre la critique dès sa sortie en juin 2023.
L’héroïne du jeu, Mimi, a la trentaine, des relations complexes avec ses parents et a perdu tous ses souvenirs d’enfance. Au début de l’histoire, elle reçoit une lettre de sa grand-mère. La dernière, car elle vient de mourir. Mimi retourne alors dans la maison de cette dernière, à Sarlat, pour tenter de retrouver ses souvenirs de vacances. Et, au passage, essayer de mieux comprendre sa famille et de découvrir quels secrets elle cache.
Dordogne, c’est une histoire touchante, qui se raconte sur deux temporalités distinctes — le présent et l’enfance de Mimi. Mais c’est surtout un lieu, comme l’indique son titre. Un lieu qui prend racine dans la propre enfance de Cédric Babouche, le créateur et scénariste du jeu. « J’ai eu la chance de connaître mon arrière-grand-mère, qui habitait en Dordogne. J’y allais en vacances tous les étés jusqu’à mes 14 ans, et ce sont des souvenirs assez précieux. »
Passé l’adolescence, Cadric Babouche n’est jamais retourné en Dordogne. Jusqu’à ce qu’il quitte la région parisienne pour venir s’installer à Bordeaux avec sa famille. « À cette période, j’étais un peu en échec de dessin, j’avais l’impression de ne plus savoir dessiner. »
Un univers graphique atypique
À peine arrivé dans la région, Cédric Babouche insiste pour emmener sa famille en Dordogne, sur les traces de son enfance. Et c’est une forme de révélation, le territoire est aussi beau que dans ses souvenirs. « Je me suis remis à peindre, pour représenter ces paysages. C’est là que j’ai fait les premières aquarelles de Dordogne. »
Et c’est ce qui marque dans le jeu : son style graphique, entièrement à l’aquarelle. On a presque l’impression de toucher le papier, de sentir le coup de pinceau. Ce qui apporte une expérience unique dans l’immersion douce-amère des souvenirs d’enfance, mais est aussi une plongée directe dans l’univers artistique de Cédric Babouche. « Je suis encore un des rares en France à continuer à faire énormément de papier, à dessiner encore au crayon et aux pinceaux. »
Cédric Babouche a plus de vingt ans d’expérience : réalisateur de film d’animation, auteur de bande dessinée, directeur artistique… Et maintenant créateur de jeu vidéo. Deux décennies de travail où il a toujours eu à cœur de préserver les écritures traditionnelles artistiques. « C’est important pour moi de conserver la spontanéité. Et c’est difficile, voire impossible de la conserver avec les outils numériques, parce qu’on peut refaire son dessin en permanence jusqu’à atteindre la perfection. »
Un jeu qui se joue comme un film
Le jeu ne se contente pas d’être un simple récit interactif. Babouche a choisi de le transformer en une expérience émotionnelle, en mettant l’accent sur la découverte et l’introspection. « Dans les histoires de famille, il y a des choses qu’on ne révèle pas », explique-t-il. Le jeu se veut un prétexte pour raconter une vision universelle des liens familiaux et des secrets enfouis.
Mais comment transcrire cela dans un jeu vidéo ? « Dans l’animation, je connais tous les corps de métier, alors que dans le jeu vidéo, il y a cette étape de développement technique où je suis très dépendant de mes équipes. » Un échange se crée alors entre l’aspect très technique du code et la vision de l’auteur qui cherche à créer du ressenti. Un Je Ne Sais Quoi et Umanimation ont aussi allié leur savoir-faire et se sont entourés. « On est allé chercher un game designer, pour créer des mécaniques de jeu et pour que Dordogne soit intéressant pour les joueurs. »
Le principe d’un jeu vidéo, malgré tout, est qu’il soit jouable. Mais, en parallèle, Cédric Babouche voulait créer ce jeu, comme si c’était un film. « Dans un jeu classique, entre les phases de jeu, il y a ce que l’on appelle des cinématiques, non jouables, où l’histoire est développée. Nous, on voulait faire l’inverse. »
Les équipes créent alors toute une série de mini-jeux sensibles, comme lorsque Mimi et sa grand-mère jardinent. On prend la manette pour désherber, tasser la terre, arroser… Et pendant ce temps, les personnages discutent. « Ça devient une expérience ludique, propice à raconter une histoire tout en étant dans une ambiance de bien-être. Comme ce qu’on ressent pendant ses vacances chez les grands-parents »
Et maintenant ?
Dordogne se distingue par des décors réalisés à l’aquarelle et offre une expérience visuelle immersive et poétique. Une qualité reconnue en mars 2024 pendant la cérémonie des Pégases. Lors de cet évènement, qui récompense les meilleurs jeux vidéo et les personnalités de l’industrie, Dordogne a reçu le prix de l’Excellence Visuelle.
Et nous n’avons pas fini d’entendre parler de Mimi et de ses proches : Cédric Babouche a toujours accordé beaucoup d’importance au transmédia. Ainsi, une bande dessinée et un court-métrage, dans l’univers du jeu, sont en cours de développement. « On veut enrichir la propriété intellectuelle de Dordogne. Ce n’est pas un jeu qui va vieillir, il ne dépend pas de la technologie des machines. On a le temps, alors on le prend. »
Pour aller plus loin
🎯 Debunker les clichés. Dans cet épisode, Popex s’intéresse au jeu vidéo pour ce qu’il est : un média culturel et artistique, qui peut influencer nos vies et nos perceptions du monde qui nous entoure.
🔬 Dead Cells en animation. Acclamé sur PC et consoles depuis sept ans, le Dead Cells, création du studio bordelais Motion Twin est maintenant une série animée ! Dix épisodes, particulièrement drôles et bien adaptés, à découvrir sur la chaîne Youtube d’ADN.
🎮 Le jeu vidéo, c’est sérieux. Alors que le jeu vidéo n’a jamais autant compté dans le paysage culturel mondial, Jour de Play sur arte raconte le jeu vidéo comme un médium bien plus complexe et passionnant que l’image de vulgaire divertissement qui lui colle encore à la peau.
– Cette newsletter a été conçue par Clémence Postis.