Aujourd’hui, on parle du congé menstruel.
Cette newsletter a été envoyée à nos inscrit·es le 11 juin 2024.
Le 15 février, une proposition de loi visant à créer un congé menstruel de deux jours par mois a été rejetée par la majorité sénatoriale et le gouvernement. Malgré ce rejet, la création de congés menstruels fleurie dans de nombreuses collectivités et entreprises à travers toute la France. Y compris en Nouvelle-Aquitaine.
Dans cette newsletter, vous comprendrez ce qu’est un congé menstruel, qu’est-ce qui lui est reproché par ses détracteurs, et comment il est intégré, avec succès, au conseil régional de la Nouvelle-Aquitaine.
Le coup de loupe
En quoi consiste le congé menstruel?
C’est un congé spécifique réservé aux personnes qui souffrent de règles douloureuses (dysménorrhées) ou d’endométriose. En cas de douleurs incapacitantes, ce congé permet de s’absenter pendant un ou plusieurs jours, sans jour de carence et donc sans perte de salaire.
Alors que ce congé est déjà mis en place dans de nombreux pays dans le monde, comme en Espagne, au Japon ou en Zambie, aucune loi ne prévoit ce congé en France. Pourtant, le débat est ouvert. De nombreuses propositions de loi venant de plusieurs partis politiques ont été étudiées à l’Assemblée nationale et au Sénat, sans jamais être adoptées.
Pourtant, selon une enquête IFOP réalisée en France en 2022, 66 % des salariées sont favorables au congé menstruel en entreprise tandis que 53 % déclarent subir des règles douloureuses. Ainsi, la mise en place d’un congé menstruel permettrait de reconnaître la souffrance des personnes qui souffrent de dysménorrhées et aiderait à atténuer le tabou qui flotte autour des menstruations.
Pourquoi est-ce que c’est compliqué ?
Parmi les nombreuses propositions étudiées pour faire passer ce congé menstruel, trois solutions ressortent : reconnaître l’endométriose comme une affection longue durée, donner aux personnes souffrant d’endométriose la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) et mettre en place un congé menstruel. Et spoiler : aucune d’elles ne fait l’unanimité.
Pour les deux premières solutions, les démarches sont trop longues et complexes et ne concernent que les cas les plus graves. C’est-à-dire que sur les 1,5 à 2,5 millions de personnes concernées, seuls 15 000 pourraient obtenir ces statuts. En plus, ces deux premières solutions ne concernent que les personnes touchées par l’endométriose.
Concernant la troisième idée, celle d’un congé menstruel, elle peine également à convaincre. Pour certaines associations féministes, comme Osez le féminisme !, ce congé pourrait s’avérer être « contre-productif ». En février 2023, Fabienne El Khoury, porte-parole de l’association, exprimait ses craintes quant à une banalisation de la douleur liée aux menstruations, une augmentation de la discrimination à l’embauche ou encore une stigmatisation des femmes au travail.
Mais pourtant, le congé menstruel existe déjà en France ?
Eh oui. Même si le congé menstruel peine à se trouver une place au niveau national, puisqu’il n’est pas encadré au niveau législatif, de plus en plus d’entreprises et d’institutions le mettent en place pour leurs employées. C’est notamment le cas de la région Nouvelle-Aquitaine, qui offre à ses agents depuis novembre 2023, la possibilité de poser un congé menstruel.
Le problème, c’est que ce congé est laissé aux mains des employeurs et de leurs bonnes volontés. Car mettre en place un congé menstruel demande du temps et de l’engagement, notamment au niveau juridique et des ressources humaines. Ainsi, selon Sandrine Derville, vice-présidente du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, « cela crée des inégalités entre les collectivités puisque des petites collectivités ont moins les moyens de se pencher sur le sujet et ont donc des délibérations plus fragiles ».
Le sachiez-tu ?
C’est le nombre d’agents qui se sont rapprochés du service des ressources humaines de la région Nouvelle-Aquitaine pour bénéficier du congé menstruel, depuis septembre 2023.
C’est arrivé près de chez nous
À la région Nouvelle-Aquitaine, la mise en place d’une expérimentation du congé menstruel marque un vrai tournant. « Nous étions en pleine phase de mise à jour de notre réglementation du temps de travail lorsqu’on y a pensé. La mise en place d’un congé menstruel pour les employées de la ville de Saint-Ouen nous a parlé. Je me suis dit que si une commune avec 600/800 agents était en capacité de le faire, alors pourquoi pas notre région [NDLR, la Région compte plus de 9 000 agents] ? », raconte Sandrine Derville, vice-présidente du conseil régional et instigatrice du projet.
Deux jours par mois maximum
Après plusieurs semaines de dialogue social, l’expérimentation d’un congé menstruel est adoptée pour deux ans à la Région. Celui-ci prend la forme d’une autorisation spéciale d’absence (ASA), que l’on peut demander deux jours par mois maximum. Sans nécessiter de poser au préalable, « car la douleur ne prévient pas ». Pourquoi deux jours ? « Parce qu’en regardant les études médicales, on a constaté que les experts estiment le pic de souffrance et d’incapacité à deux jours », atteste la vice-présidente du conseil régional.
Pour bénéficier de ce congé menstruel, les agents doivent présenter un certificat médical attestant d’être en incapacité de travailler en raison de règles douloureuses et incapacitantes, des symptômes souvent liés à l’endométriose. Et pour éviter que ces personnes aillent chez le médecin tous les mois, le certificat est valable 1 an. « L’avantage de ce certificat, c’est qu’il incite aussi nos agents à consulter et à peut-être se lancer dans une démarche de diagnostic d’endométriose », précise Sandrine Derville.
« Ça ne désorganise pas les services »
Après près de 7 mois de recul, elle l’affirme : « Ça ne désorganise pas les services. Et en tant qu’employeur, je ne peux plus accepter que des employées viennent au travail en se tordant de douleur, juste parce que financièrement, c’est trop impactant de s’arrêter. » Car oui, grâce à cette autorisation spéciale, les agents qui bénéficient de ce congé n’ont aucune perte de salaire.
Le principe est identique à celui des congés pris lorsque l’enfant d’un agent est malade. Elle affirme également qu’aucun abus n’a été relevé avec ce congé. La preuve : sur 3 500 agents en mesure de prendre ce congé, seulement 20 s’en sont saisis [NDLR, ces chiffres datent du mois de mai 2024].
Pour le moment, Sandrine Derville ne voit aucune raison de ne pas reconduire cette expérimentation de deux ans. Ce qui ne l’empêche pas d’espérer qu’une loi nationale vienne codifier tout ça. « Il est urgent qu’un pays comme la France mette un cadre législatif concret à ce congé. Cela simplifierait grandement les choses, et notamment pour des plus petites collectivités qui n’ont pas les mêmes moyens que la nôtre. Je considère que cela devrait être un droit pour toutes les femmes, au même titre que le congé maternité », abonde-t-elle.
Pour aller plus loin
🩸Les règles sont-elles politiques ? Les débats en cours en France autour du congé menstruel illustrent la dimension politique des règles. Pourquoi ne sont-elles devenues un enjeu de santé publique que très récemment, notamment avec la stratégie nationale de lutte contre l’endométriose ?
📝 La France s’empare peu à peu du sujet. La question émerge en entreprise, dans les organisations syndicales et les partis politiques. Le débat lève peu à peu le tabou sur les règles.
🗯 Le congé menstruel fait des émules. Les initiatives en faveur des salariées qui ont des règles douloureuses se multiplient chez les employeurs privés et publics. Et pourtant, celles-ci continuent de faire débat. Explication avec Sarah Lemoine.