Certains refusent de voir autre chose que du vandalisme. Pire, même, le sabotage d’un patrimoine. D’autres, en revanche, associent les dizaines de graffitis qui apparaissent au gré des manifestations des gilets jaunes à une démarche totalement politique rappelant d’autres luttes : celle contre la Loi travail en 2016, mais aussi et surtout celle de mai 1968. Une fois n’est pas coutume, Revue Far Ouest vous embarque dans une ballade photographique au cœur de ce Bordeaux qui n’en finit plus d’être peinturluré. En quête de sens.
Photo de couverture : Un manifestant passe devant un graffiti « Juppé, on arrive » lors de l’acte 9, le 13 janvier 2019 — Photo : Jean-Michel Becognee
« Écrivez partout ». Ce graffiti en forme d’injonction, apparu sur les murs du centre universitaire Censier à la chaleur des événements de mai 1968, semble avoir trouvé écho : plus de 50 ans après son apparition, des slogans vengeurs fleurissent toujours sur les murs des grandes villes françaises, après les passages de manifestations. Et, en pleine mobilisation des « gilets jaunes », Bordeaux n’échappe pas à la règle, tant s’en faut.
« Coucou, c’est encore nous »
Mardi 5 février 2019, midi. Le cortège girondin, composé des syndicats et des gilets jaunes, se coupe en deux. Ces derniers bifurquent rue Sainte-Catherine, refusant d’emprunter le chemin balisé par les forces de l’ordre. Une demi-heure plus tard, il semble qu’il y ait l’équivalent en nombre de caractères du journal 20 minutes sur les murs de l’artère commerçante. Placées en tête de la joyeuse procession, des dizaines de personnes jouent de la bombe et c’est le magasin Apple qui sera leur première victime : « C’est encore nous. »
Le claquement des billes est incessant. Le reste du cortège, lui, glousse à la lecture des slogans. « C’est un truc de fou. Mais où vont-ils chercher toutes ces idées ? » s’exclame un homme d’une cinquantaine d’années. Il n’est pas « gilet jaune », mais, comme beaucoup, il a déserté le cortège syndical, « pour un peu de nouveauté ». Une jeune femme, à ses côtés, lui répond ironiquement : « C’est scandaleux, il y en a trop, on n’arrive même pas à tout lire ! »
De l’autre côté des vitrines prises d’assaut, les commerçants, eux, sont consternés par ce spectacle. La responsable du magasin Séphora, qui a vu son rideau recouvert d’une inscription « Ste-Cath’ n’existe plus » implore les photographes de ne pas immortaliser la scène. Dans un geste de colère, elle se place devant l’inscription, bras croisés et regard noir.
Il faut dire que ces scènes se répètent inlassablement chaque samedi, avec une intensité variable : combien sont-ils, garçons ou filles, à distiller leurs humeurs en couleur sur les supports les plus visibles ? Difficile à dire. Tantôt à vocation humoristique, « Puisqu’on est jaunes et cons », « On veut du meilleur tofu » — sur la vitrine d’une épicerie bio-, ces slogans sont parfois aussi des témoignages à cœur ouvert : « Parce qu’on est nés dans le béton », « on casse ce qu’on aura jamais ».

Ce phénomène, qui bénéficie d’une visibilité décuplée grâce aux réseaux sociaux, fascine. Il n’y a qu’à regarder le nombre de slogans répertoriés sur le site La rue ou rien pour prendre mesure de sa contagion. Pour autant, il n’a rien de nouveau. Et s’il tirait directement son inspiration dans un courant apparu il y a plus de 60 ans ?
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