Aujourd’hui, on passe à la loupe les conséquences de la grippe aviaire dans le Sud-Ouest
Cette newsletter a été envoyée à nos inscrit·es le 06 décembre 2022.
Ils ont disparu de la carte des restaurants, des étals du marché et des rayons des grandes surfaces… Mais où sont passés les canards ? Pourquoi en trouve-t-on de moins en moins cet automne ? La faute principalement à la grippe aviaire, une maladie qui fait son retour chaque année, et qui ravage le secteur.
Dans cette newsletter, nous allons comprendre ce qu’est la grippe aviaire, si cette année est vraiment plus grave que les autres, et voir comment s’en sortent les éleveurs des Landes.
Le coup de loupe ?
C’est quoi la grippe aviaire ?
Il s’agit d’une maladie virale qui touche presque tous les groupes d’oiseaux, et dont le taux de mortalité est très élevé chez les oiseaux d’élevage. Si elle est parfois bénigne et sans symptômes, la grippe aviaire, également appelée « influenza aviaire », peut aussi être rapidement mortelle et provoquer de graves épidémies. À la mi-octobre 2022, la grippe aviaire est passée au stade de maladie « endémique » en France, c’est-à-dire qui s’installe durablement dans une région donnée.
Pour limiter la propagation du virus, le gouvernement impose deux principales mesures sanitaires à chaque fois qu’un animal infecté est
détecté :
- L’abattage des foyers où l’animal à été trouvé
- L’abattage préventif des animaux dans un périmètre défini par arrêté préfectoral, en principe entre 1 et 3 km.
Au total, près de 22 millions de canards et volailles ont été abattus en un peu plus d’un an, selon le gouvernement. Rien qu’en Dordogne, environ un demi-million de volailles avaient déjà été euthanasiées entre avril et juin, comme le rappelle Libération. Et s’il y a moins de canards dans les fermes, forcément, il y a moins de magrets à la carte de nos restaurants, et moins de foie gras à Noël.
Ces abattages n’ont pas seulement des conséquences dans notre assiette : si l’État a promis des aides aux éleveurs, certains ont mis des mois à les toucher, d’autres n’en ont toujours pas encore vu la couleur, comme à Périgueux. Résultat : des éleveurs abandonnent, surtout les plus petits, faute de compensation financière. « Depuis 2016, on a perdu la moitié des producteurs de volaille dans le département », déplore Mélanie Martin, présidente du Modef des Landes, un syndicat agricole de défense des exploitants familiaux.
Cette année est-elle plus grave que les autres ?
Oui… et non. La vague de grippe aviaire de cette année est bien « la plus importante observée à ce jour en Europe », selon un bilan de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) publié le 3 octobre. Et cela, principalement car de plus en plus d’oiseaux sauvages sont porteurs du virus et le transmettent : c’est le cas des oiseaux migrateurs, qui parcourent des milliers de kilomètres et peuvent contaminer d’autres volatiles sur leur passage. Cela explique pourquoi d’autres animaux que les poules ou les canards ont été touchés dans des régions où la grippe aviaire n’était jusqu’ici pas présente : des cygnes en Camargue, des flamants roses dans le Gard…
Mais dans le Sud-Ouest, où sont élevés plus de 70 % des canards, cela fait des années que les éleveurs pâtissent : les premières restrictions pour le transport et l’exportation de volailles datent de 2015, après la découverte d’un foyer à Biras, en Dordogne. Depuis, les épidémies se sont succédé. Alors, pour freiner la chaîne de contamination, le gouvernement impose régulièrement des mesures de « biosécurité », notamment le confinement des volailles et palmipèdes sur tout le territoire. Cette année, le couperet est tombé le 10 novembre.
Une obligation difficile à encaisser, en particulier pour les éleveurs de plein air. « Ces mesures conviennent très bien à l’agriculture industrielle, mais pas à l’agriculture traditionnelle », explique Mélanie Martin, du Modef. Un constat partagé par de nombreux éleveurs de la Confédération paysanne : dans un recueil relayé par Basta !, ils dénoncent une stigmatisation du plein air. Selon eux, les risques de transmission de la maladie seraient au contraire aggravés par le modèle industriel, avec ses transports multiples et la surdensité d’animaux.
Et elle est dangereuse pour l’homme, cette grippe aviaire ?
Là aussi, oui et non. Une fois les bêtes tuées, elles ne présentent aucun risque pour nous : la consommation de viande, foie gras et œufs, et plus généralement de tout produit alimentaire à base de volaille, est sans danger.
En revanche, les humains peuvent contracter la maladie au contact de volailles infectées, particulièrement dans un espace confiné, comme sur des marchés de volailles ou dans des abattoirs. On parle donc d’épizootie, puisqu’il s’agit d’une épidémie qui, pour l’instant, touche quasi exclusivement les animaux.
Il est arrivé que des humains soient touchés, voire meurent de la grippe aviaire : en octobre, une personne a été testée positive en Espagne, mais ce cas reste très rare. C’est la mutation à l’homme, puis entre hommes, que craignent les pouvoirs publics et qui pousse à tant de précaution.
Pour sortir de cette crise, les espoirs se portent sur un vaccin pour protéger les animaux. Deux sont en expérimentation depuis avril sur plusieurs milliers de canards, mais leur mise en service ne devrait pas intervenir avant courant 2023… Et ne sauvera pas les canards cet hiver.
Le sachiez-tu ?
C’est la part de fermes à l’arrêt en Dordogne en raison du risque de propagation du virus de la grippe aviaire, selon l’association des producteurs de canards du Périgord.
C’est arrivé près de chez nous
Dans les Landes, la débrouille des éleveurs
Depuis le mois d’août, plus d’un million de volailles ont été abattues dans toute la France. Un désastre pour les éleveurs·euses, notamment pour les fermes indépendantes et en autarcie, c’est-à-dire où tout est fait sur place : l’élevage, l’abattage, la transformation et la vente.
Il prend ses précautions : il ne produit plus entre janvier et mai.
Julien Lafenêtre est éleveur et producteur de foie gras de canard. À 35 ans, il est à la tête de la ferme familiale, à Doazit, dans les Landes, où il élève chaque année près de 9 000 canards en plein air. En janvier dernier, Julien a été obligé d’abattre 3 000 bêtes à cause d’un cas de grippe aviaire dans le département. « C’est très compliqué à vivre. On part sur de longs mois sans production et on abat des animaux sains », s’attriste l’éleveur. L’analyse de son élevage donne pourtant des résultats négatifs au virus, à l’entrée et sortie de l’abattoir. Mais la politique sanitaire est stricte : il doit abattre.
Changer sa façon de produire
D’un point de vue financier, Julien Lafenêtre a perdu l’an dernier environ 200 000 euros de chiffres d’affaires. Et avec l’inflation actuelle, (on en parle dans la dernière newsletter) ça ne s’arrange pas : le prix de vente de ses produits a donc augmenté de 10 %.
Ajoutées à cela, les mesures de confinement ordonnées par la direction départementale de la protection des populations complique le travail de l’éleveur et font peser un nouveau coût sur sa ferme. Julien Lafenêtre a fait installer des filets et aménagé ses bâtiments pour répondre aux mesures : un investissement qui lui a coûté 28 000 euros.
S’agissant des mesures d’abattage, lorsqu’on lui demande s’il a confiance pour l’année en cours, la réponse est claire : c’est non. Alors, pour contrer une potentielle obligation d’abattage, l’éleveur des Landes prend ses précautions : il ne produit plus entre janvier et mai. « C’est toujours à ce moment qu’il y a des cas. Désormais, on augmente notre production les autres mois. »
S’unir entre éleveur·euses
Entre les décisions sanitaires et une nouvelle organisation constante, le moral des éleveur·euses est au plus bas. Surtout cell·eux qui, comme Julien Lafenêtre, produisent dans de petites fermes indépendantes et en plein air. « On demande plus de cas par cas. Il faut des politiques sanitaires selon les exploitations », réclame l’éleveur. Avec plusieurs confrères et consoeurs, il a créé l’association landaise des producteurs traditionnels de foie gras et volailles en plein air. « Ça nous permet d’être moins isolés les uns des autres, et d’avoir plus de poids pour se faire entendre. » Car à ce jour, il estime que le problème n’est pas suffisamment reconnu par les politiques. L’éleveur n’a désormais plus qu’un seul espoir : « Bossons sérieusement sur le vaccin. »
Pour aller plus loin
🎥 Et quand il n’y a plus de canards ? « Une année sans » suit des producteurs de foie gras en Chalosse, dans les Landes, témoins de l’abattage de tous les élevages de la région.
⚖️ Hors-la-loi. En Vendée, certains éleveurs en plein air se rebellent contre les mesures de confinement des volailles.
🥚Des œufs (vraiment) élevés en plein air ? Reporterre a publié un décryptage sur la mention « plein air » inscrite sur les boîtes d’œufs.