Le temps d’une émission radio, les élèves du lycée professionnel Pablo Picasso de Périgueux ont reçu la journaliste et autrice Giulia Foïs. Victime d’un viol à 23 ans, elle revient sur son histoire et sa longue reconstruction, racontée dans son livre “Je suis une sur deux”.
Le projet Les Apprenti·e·s est un programme d’éducation aux médias développé par l’association Les Ami·e·s de Far Ouest. Dans ce feuilleton, nous donnons la parole à des jeunes qui s’essaient à l’écriture ou l’audiovisuel. Que leurs réalisations soient d’initiatives scolaire, associative ou individuelle, notre plateforme les valorise.
« Neuf fois sur dix, quand une victime dit avoir été violée, on ne la croit pas. Et quand on la croit, on se dit qu’elle l’a bien cherché. » Giulia Foïs, elle, trouve qu’elle a eu « de la chance ». « Moi, on m’a cru tout de suite. » Au micro des élèves du lycée Pablo Picasso de Périgueux, la journaliste, qui anime l’émission « Pas son genre » sur France Inter, est revenue sur le viol qu’elle a subi à 23 ans, et qu’elle raconte dans son livre Je suis une sur deux.
Cette histoire, elle avait commencé à l’écrire des années plus tôt. « Je n’en avais pas le choix. Au moment où l’homme qui m’a violée a été acquitté, je suis sortie du tribunal, et j’ai voulu la raconter à nouveau pour qu’on m’entende. » Elle évoque cette descente aux enfers à l’écoute du verdict, « un monde qui s’écroule », après « des questions extrêmement intrusives » lors du procès. « On vous spolie encore dix ou vingt fois dans votre intimité. Et finalement, il est acquitté. » Il lui faudra des années avant de pouvoir finir son récit. « J’ai eu très envie d’arrêter. Et puis, l’homme qui partage ma vie m’a convaincue de reprendre. En me disant “s’il y a une femme qui en te lisant, comprend qu’elle n’y est pour rien, ça vaut le coup”. Alors, j’ai recommencé à écrire. »
Un long chemin vers la reconstruction
Interrogée par Maylis Pasqualetto, élève de première commerce au lycée Pablo Picasso, Giulia Foïs est revenue sur le traumatisme qu’elle a subi : « Le viol, c’est le chaos complet. Tout explose. Vous vous croyez sujet, vous devenez objet. Tout explose dans votre tête. » La journaliste a longuement insisté sur sa lente reconstruction après le viol, et la façon dont elle a transformé son traumatisme en terrain d’enquête journalistique, et en combat militant. « C’est long. Ce n’est pas linéaire (…) Le fait d’en faire un combat féministe m’a fait comprendre que tout ça a une logique : ça s’appelle le système patriarcal. Et ça, ça aide. »
Loin d’être pessimiste, dans son livre comme lors de son interview, Giulia Foïs incite les jeunes victimes de violences sexuelles à, comme elle, essayer de « transformer leur histoire ». « Ça vous donnera une force et une liberté incroyables. On vous a contraint une fois, on ne vous contraindra plus jamais. »
Un projet inter-établissements
L’émission radio, enregistrée le 27 mai et entièrement réalisée par des lycéens et des lycéennes du lycée professionnel Pablo Picasso, s’inscrit dans un projet mêlant quatre établissements de Dordogne sur le thème de l’égalité, la fraternité et la sororité. En raison de la pandémie et de ses restrictions, les élèves n’ont pas pu être rassemblés dans un même lieu. L’émission a donc été enregistrée dans le studio du lycée Pablo Picasso, avec l’aide notamment de Blandine Schmidt, intervenante radio au CLEMI de l’académie de Bordeaux. Et si Giulia Foïs a pu en faire partie, c’est grâce à l’association « Femmes Solidaires Dordogne », qui a invité la journaliste à témoigner dans le cadre d’un café féministe au mois de mai.
Côté professeurs comme lycéens, tous sont unanimes : Giulia Foïs a marqué les esprits, dans le bon sens du terme. « C’est quelqu’un d’exceptionnel », résume Olivier Gatefin, professeur documentaliste au lycée à l’initiative de la webradio. « Elle a une présence, un charisme, une voix. Elle parvient à être très claire, précise sur un sujet extrêmement délicat, tabou, et sans jamais rabaisser les élèves. »
Selon Olivier Gatefin, Giulia Foïs a aussi pris le temps d’écouter les élèves après l’enregistrement de l’émission. « Elle a fait preuve d’une grande sensibilité. On sent une volonté militante chez elle d’aider d’autres à s’en sortir, et d’essayer de sauver celles et ceux qui peuvent l’être. »
« Elle m’a appris que les mots avaient un sens »
Pourtant, l’émission a bien failli ne jamais être diffusée. D’un point de vue technique, « c’est un petit miracle » sourit Olivier Gatefin. « On a manqué de temps pour préparer l’émission, et on craignait de ne pas pouvoir l’enregistrer à cause du confinement d’avril. Ça s’est fait in extremis. »
Un « petit miracle », d’autant plus que la journaliste s’est prêtée au jeu de l’interview pour les lycéens… deux fois. Après un problème technique ayant eu pour conséquence de ne pas enregistrer l’interview de Giulia Foïs, cette dernière a accepté de répondre à nouveau aux questions des jeunes par téléphone. « Elle m’a mise très à l’aise, elle n’est pas hautaine », note Maylis, animatrice de l’émission. « Elle m’a reprise sur des mots que j’avais dit, comme “agression sexuelle”. Par respect, je ne voulais pas utiliser le mot viol. Elle m’a appris que les mots avaient un sens et un poids. » Et que nommer les choses, c’est les faire exister. « Si l’on veut que les choses avancent, poursuit la journaliste, la seule chose à faire, c’est parler. »