Épisode 18
14 minutes de lecture
Mercredi 23 décembre 2020
par Les Apprenti·e·s
Les Apprenti·e·s
Les Apprenti·e·s sont des jeunes ayant pris part à des programmes d'éducation aux médias, d'initiative scolaire, associative ou individuelle. Certain·e·s ont fait une "immersion" ou un atelier "premier papier" chez Far Ouest.

« La représentation à l’écran du monde du travail » était le thème sur lequel devaient travailler les Terminales du Lycée Montesquieu pour leur option cinéma en 2017-2018. Un groupe de six élèves s’est appuyé sur ses expériences, ainsi que celle de Miss Gironde 2017, pour réaliser « Sparkles » : un court-métrage de neuf minutes, presque muet, autour de l’objectification des femmes dans le monde du mannequinat, dressant un portrait peu reluisant du monde de la mode.

Le projet Les Apprenti·e·s est un programme d’éducation aux médias développé par l’association Les Ami·e·s de Far Ouest. Dans ce feuilleton, nous donnons la parole à des jeunes qui s’essaient à l’écriture ou l’audiovisuel. Que leurs réalisations soient d’initiatives scolaire, associative ou individuelle, notre plateforme les valorise. Ici, les terminales de Montesquieu en 2017-2018 partagent leur film « Sparkles », qui souligne le manque de considération des femmes mannequins dans le monde de la mode.

 « Ça fait longtemps qu’on ne m’a pas parlé de Sparkles ! » s’étonne Hiba Bennani. Avec cinq  de ses camarades en option cinéma, elle a réalisé ce court-métrage pour le bac, il y a plus de deux ans. Depuis, la jeune femme qui a grandi au Maroc a fait un bout de chemin dans l’acting, et ses camarades ont continué dans le domaine artistique. Pour plusieurs d’entre eux, ce court-métrage sur le monde du mannequinat a été une première mise en pratique professionnelle permise grâce à leur option au lycée bordelais Montesquieu et les intervenants d’Asques et d’Ailleurs sur ce cours.

Kémil Benmahi, qui faisait également partie du groupe, réalisait déjà quelques vidéos et clips sur son temps libre mais jamais de court-métrage. Celui-ci avait pour contrainte « la représentation à l’écran du monde du travail » : « C’est parti de l’idée de représenter le milieu de la mode et ce qu’on peut avoir à lui reprocher. Donc ça raconte l’histoire d’une mannequin dans un endroit où elle n’est pas considérée. » Le film s’appelle « Sparkles », ou paillettes en français, « justement pour ce contraste entre ce qu’on pense et ce qui est réel », développe Hiba Bennani.

Soulever un point de vue sur la mode sans dénoncer

« Viens par ici ! », « Droite ! », « Elle a encore grossi… » Autant d’injonctions que l’on peut entendre dans ce court-métrage de neuf minutes, presque muet. « Lucie » ne sourit pas et se laisse manier. Jusqu’au moment du dernier coup de pinceau avant le tapis rouge, où on lui susurre de ne penser qu’à la foule et surtout pas à elle. C’en est trop, en plein défilé, la mannequin hôte ses talons, ses habits, et s’enfuit dans les rues de Bordeaux. L’histoire d’une femme qui « du jour au lendemain, pète un plomb et décide de se libérer de tout ce qu’on lui a mis sur le corps », décrit Kémil.

Kémil avertit que ce film reste sans prétention, plutôt « un court-métrage qui soulève un point de vue et pose une question ». Chaque membre de l’équipe était déjà, et sont toujours « plus ou moins touchés de près ou de loin par ce sujet, complète Hiba. On le connaît tous mais on ne le creuse pas assez. » Si le travail s’est réparti sur l’année, Kemil calcule qu’en « une semaine intensive de travail », c’était plié : plusieurs jours pour bâtir un scénario, présenté à Laurent Jackel, intervenant d’Asques et d’Ailleurs, puis deux jours de tournage.

Elle est venue spontanément, et nous a aidés dans des petits cheminements en nous disant ce qui était trop scénarisé, par exemple.

Lucie, rôle principale, est interprétée par Léa Medjane. Le groupe rencontre alors cette Miss Gironde 2017, avec laquelle l’une des personnes de leur classe faisait du théâtre, qui a pu apporter sa patte explique Hiba : « Déjà, elle n’avait pas besoin de jouer car elle savait bien de quoi elle parlait. Elle est venue spontanément, et nous a aidés dans des petits cheminements en nous disant ce qui était trop scénarisé, par exemple. »

Pour réaliser Sparkles, les élèves sont partis de leur propre expérience qui leur « ont servi d’exemples ou d’inspiration », soulève Kémil : « Des personnes du groupe cherchaient à devenir maquilleurs donc avaient déjà fait des stages dans le milieu. Une personne faisait aussi de la photographie donc avait des contacts dans la photo de mode. »

Une mise en scène poussée

Expérience professionnelle, scolaire —par leurs deux précédentes années en option cinéma au lycée Montesquieu—, mais aussi autodidacte, car plusieurs d’entre eux s’adonnaient à une activité artistique sur leur temps libre. « Mais on n’avait jamais réalisé de court-métrage ni travaillé en équipe, à proprement parler, avec des postes à responsabilité ! », précise Kémil. Ils se sont alors répartis les tâches pour que chacun puisse goûter à un poste sur chaque séquence : réalisateur, preneur son, monteur, scénariste.

Déjà, en faisant les groupes, les six élèves se sont mis ensemble en sachant que leurs univers étaient compatibles et leurs compétences, complémentaires, explique Hiba : « Kémil s’acharne sur le travail, donc on savait qu’il allait ramener ce côté hyper professionnel, droit car Margot et moi étions trop frivoles. Ijuan a un sens du scénario qui est fou. Il devient d’ailleurs scénariste. Flavie est photographe, elle a ce côté image, belles lumières, donc elle nous l’a apporté. Et moi j’étais gothique, j’avais ce côté sombre et j’ai ramené l’ambiance oppressante. »

Lucie, la mannequin, se trouve libérée lorsqu'elle quitte le monde de la mode.
Lucie retrouve sa liberté en quittant le défilé. Image : Sparkles.

« On a quasiment tout tourné en intérieur dans le studio du lycée donc on n’a pas trop pris de risque », confesse Kémil, mais le groupe de six élèves a poussé la réflexion sur la mise en scène jusqu’au bout. Dans le scénario fourni par les élèves à l’intervenant, avant le tournage, tout est déjà calculé. Ce côté sombre se ressent dans le court-métrage, dont les lumières artificielles viennent accentuer le côté superficiel. Et ce, dès la première scène : « Le seul moment où ce n’est pas sombre, c’est au début lorsqu’elle est dénudée dans un grand espace, se souvient Kémil, pour montrer qu’on ne respecte pas l’intimité de Lucie. » Sinon, ce sont des lumières artificielles, chaudes, « pour que ça paraisse un peu lourd », justifie-t-il, complété par sa camarade Hiba : « On a aussi voulu faire un film très silencieux : les mannequins n’ont pas leur mot à dire. Elle ne parle jamais. Elle est inerte, juste un objet qu’on utilise. » Et la scène finale semble trancher avec le reste du film : « Le seul moment où on est en lumière naturelle, c’est lorsqu’elle sort. Elle est en tenue blanche, donc c’est la renaissance, la liberté, et elle se fait asperger de couleurs. » Et pour faire un traveling arrière de cette dernière séquence ? Un fauteuil roulant prêté pour l’occasion par une entreprise de location de matériel médical.

Aujourd’hui, tous ont poursuivi dans des chemins artistiques : certains dans la photographie, d’autres, la création de scénario. Kémil, toujours en études de cinéma à Bordeaux, souhaite aujourd’hui se tourner vers le stand-up. Hiba, comédienne, a réalisé dix court-métrages à la suite de « Sparkles ». Elle souhaite aujourd’hui en créer un autre au sujet d’Aïsha, fable démoniaque dans laquelle elle a été bercée. En attendant de trouver des financements, elle a tourné quelques scènes pour en faire un teaser en marocain. Deux ans après leur premier court-métrage, les projets du groupe semblent donc se concrétiser.

Les Apprenti·e·s
Les Apprenti·e·s sont des jeunes ayant pris part à des programmes d'éducation aux médias, d'initiative scolaire, associative ou individuelle. Certain·e·s ont fait une "immersion" ou un atelier "premier papier" chez Far Ouest.
Dans le même feuilleton

Qui es-tu Lamine Senghor ?

Un film consacré à Lamine Senghor, figure des mouvements noirs de l’entre-deux-guerres.

Inégalités : la parole des femmes voyage

Le 27 février 2020 se tenait l’avant-première du documentaire « Woman » au Cinéma Bordeaux CGR Le Français, qui révèle les injustices subies par les femmes dans le monde. La...

« Faire dire n'importe quoi aux images »

Au lycée Nicolas Brémontier, les élèves de 2e année de CAP paysagiste-jardinier se sont prêtés à un exercice particulier avec l’association landaise dédiée au numérique La...

L'esclavage, ça existe encore ?

L’esclavage, on en parle en cours d’histoire, parfois dans les livres, mais, cela reste un concept assez vague, on n’en parle pas au quotidien, et pourtant, on devrait....

La conscience écologique des enfants

En novembre 2019, douze enfants de 7 et 12 ans ont réalisé un court-métrage dans le cadre du Txiki Festival, créé par l’association éponyme. Autour du thème « La Terre », ils...

Transidentité et non-coming out

En 2017, dix élèves de l’option cinéma au lycée libournais Max Linder ont choisi de réaliser un court-métrage sur le coming-out imaginaire d’une personne transgenre, en...

Nourrir l'économie avec les données

De quel camp êtes-vous : ceux qui acceptent les cookies d’un site pour accéder à son contenu rapidement, ou ceux qui prennent le temps de les refuser ? De novembre 2018 à avril...

Poudlard est-il écolo ?

Au collège de Cantelande de Cestas, le journal papier fait par les élèves sort chaque trimestre. Habituellement, les journalistes en herbe du Canard de Cantelande choisissent...

Quand la nature reprend ses droits

En 2018, trois élèves de quatrième du collège Lahaye d’Andernos-les-Bains ont réalisé un reportage photo sur une maison abandonnée, dans laquelle s’invite une végétation. Dans...

Les ados surexposés aux images

Internet, la télévision, les réseaux sociaux… les images se multiplient autour de nous. Elles sont accessibles à tous et peuvent devenir nocives lorsque les jeunes y sont...

Photoreportage : l'entretien, ça déménage !

Pendant leur seconde année de CAP, en 2018, deux classes du lycée professionnel Jean-Baptiste Darnet de Saint-Yrieix-La-Perche (87) ont réalisé un exercice plastique avec un...

Radio au collège : l'Amérique latine on air

La classe média de quatrième du collège François Truffaut (Saint-Martin de Seignanx, 40) a réalisé l’an dernier une émission radio d’une heure, diffusée en direct. « Sur un air...

Pédopsychiatrie : « Voyez comme l’on voit le monde parfois »

Les jeunes hospitalisés dans le pôle de pédopsychiatrie du centre Esquirol, situé à Limoges (87), ont remporté le prix Mediatiks du photoreportage en 2019. Avec des boîtes de...

Le journal des Fées divers

L’association Code Chaplin a créé un jeu d’éducation aux médias pour les jeunes en décrochage. Avec des personnages fictifs comme le Smart Faune ou Pandi Pandab, les adolescents...

L’Histoire d’Angoulême à travers ses commerces

Pour mieux connaître l’histoire sa ville, la classe du Centre de formation de la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Angoulême l’a traversée. Dans le podcast « Angoulême...

La « politique de la ville » avec des mots simples

Sept collégiens de l’atelier radio ont travaillé, en partenariat avec Radio Libres Périgord, sur des thématiques inhérentes au quartier dans lequel se situe leur collège Jean...

Harcèlement scolaire : « Agir, réagir, pourquoi ne rien dire ? »

32 élèves de seconde au lycée Sud-Médoc La Boétie (Taillan-Médoc) ont rédigé le webmagazine « pupille » en suivant le thème du harcèlement scolaire. Des rubriques concernant des...

Des paillettes dans le monde de la mode ?

« La représentation à l’écran du monde du travail » était le thème sur lequel devaient travailler les Terminales du Lycée Montesquieu pour leur option cinéma en 2017-2018. Un...

Jeunesse dorée, jeunesse jugée

Huit adolescentes du centre social Bordeaux-Nord, conscientes des préjugés sur la jeunesse, ont engagé des discussions intergénérationnelles dans leur quartier. Pour mettre les...

Déconstruire les stéréotypes de genre

Les Secondes de la promotion 2017-2018 du lycée Jean Monnet (Blanquefort) ont réalisé, pour leurs cours de sciences économiques et sociales, tout un épisode de podcast autour...

Harcèlement de rue : t'es bien rentrée ?

« Ce genre de situation nous arrive à toutes, partout. » Manon Montrouge a 22 ans, et comme toutes les filles, a déjà été harcelée dans la rue. Étudiante en quatrième année à...

« Vae Victis », quand le savoir devient une arme

Et si la démocratie avait disparu ? Si les livres étaient interdits ? Si le monde était gouverné par une "caste", un pouvoir autoritaire rassemblant ceux qui détiennent le...

Au lycée aussi, des collages féministes dénoncent le sexisme

À Bordeaux, les affiches féministes n’ont pas fleuri que dans la rue. Depuis septembre dernier, des messages dénonçant le sexisme ont envahi les murs du lycée Michel de...

"Gonflé", un court-métrage pour s'évader

Eugène, un trentenaire qui vit toujours chez sa mère, s’envole en montgolfière pour tenter de lui échapper. C’est l’histoire qu’a imaginée Louis Changeur, 23 ans, dans le...

Giulia Foïs : "Le viol, c’est le chaos complet"

Le temps d’une émission radio, les élèves du lycée professionnel Pablo Picasso de Périgueux ont reçu la journaliste et autrice Giulia Foïs. Victime d’un viol à 23 ans, elle...

Réseaux sociaux : que font-ils de moi ?

Pendant une semaine, sept jeunes se sont mis dans la peau de chercheurs en questionnant leurs propres pratiques numériques. Et tenter de répondre à une question : quelle place...

Faire des films "pour ne pas oublier"

À quoi ressemblait la vie d’un écolier en 1943 ? C’est la question que se sont posés les élèves de Saint-Gervais et de Lugon-et-l’Île-du-Carnay, en Haute-Gironde. À travers deux...

"Le vrai du faux" : apprendre à décoder l'information

Pendant une semaine, des jeunes de La Teste-de-Buch, en Gironde, ont participé à un stage de « fact-checking », encadré par la Revue Far Ouest et l'éducateur à l'image Guillaume...

Ces épisodes pourraient vous intéresser
M6 Foot Story

Girondins : cauchemar en coulisses

Girondins : cauchemar en coulisses

Le 6 novembre 2018, un fond d’investissement américain reprenait les Girondins de Bordeaux. Un an après, malgré des résultats sportifs probants, le tableau en coulisse semble...
Une année sans

Coups de bec des éleveurs à l'État

Coups de bec des éleveurs à l'État

Les autorités françaises accusent trois exploitants basques et un syndicat agricole d’avoir fait entrave à ses services sanitaires lors de la période de grippe aviaire il y a...
Soutenez Revue Far Ouest !

Nous avons besoin de 1 000 nouvelles souscriptions pour continuer à exister.

Découvrir nos offres d’abonnement