« La représentation à l’écran du monde du travail » était le thème sur lequel devaient travailler les Terminales du Lycée Montesquieu pour leur option cinéma en 2017-2018. Un groupe de six élèves s’est appuyé sur ses expériences, ainsi que celle de Miss Gironde 2017, pour réaliser « Sparkles » : un court-métrage de neuf minutes, presque muet, autour de l’objectification des femmes dans le monde du mannequinat, dressant un portrait peu reluisant du monde de la mode.
Le projet Les Apprenti·e·s est un programme d’éducation aux médias développé par l’association Les Ami·e·s de Far Ouest. Dans ce feuilleton, nous donnons la parole à des jeunes qui s’essaient à l’écriture ou l’audiovisuel. Que leurs réalisations soient d’initiatives scolaire, associative ou individuelle, notre plateforme les valorise. Ici, les terminales de Montesquieu en 2017-2018 partagent leur film « Sparkles », qui souligne le manque de considération des femmes mannequins dans le monde de la mode.
« Ça fait longtemps qu’on ne m’a pas parlé de Sparkles ! » s’étonne Hiba Bennani. Avec cinq de ses camarades en option cinéma, elle a réalisé ce court-métrage pour le bac, il y a plus de deux ans. Depuis, la jeune femme qui a grandi au Maroc a fait un bout de chemin dans l’acting, et ses camarades ont continué dans le domaine artistique. Pour plusieurs d’entre eux, ce court-métrage sur le monde du mannequinat a été une première mise en pratique professionnelle permise grâce à leur option au lycée bordelais Montesquieu et les intervenants d’Asques et d’Ailleurs sur ce cours.
Kémil Benmahi, qui faisait également partie du groupe, réalisait déjà quelques vidéos et clips sur son temps libre mais jamais de court-métrage. Celui-ci avait pour contrainte « la représentation à l’écran du monde du travail » : « C’est parti de l’idée de représenter le milieu de la mode et ce qu’on peut avoir à lui reprocher. Donc ça raconte l’histoire d’une mannequin dans un endroit où elle n’est pas considérée. » Le film s’appelle « Sparkles », ou paillettes en français, « justement pour ce contraste entre ce qu’on pense et ce qui est réel », développe Hiba Bennani.
Soulever un point de vue sur la mode sans dénoncer
« Viens par ici ! », « Droite ! », « Elle a encore grossi… » Autant d’injonctions que l’on peut entendre dans ce court-métrage de neuf minutes, presque muet. « Lucie » ne sourit pas et se laisse manier. Jusqu’au moment du dernier coup de pinceau avant le tapis rouge, où on lui susurre de ne penser qu’à la foule et surtout pas à elle. C’en est trop, en plein défilé, la mannequin hôte ses talons, ses habits, et s’enfuit dans les rues de Bordeaux. L’histoire d’une femme qui « du jour au lendemain, pète un plomb et décide de se libérer de tout ce qu’on lui a mis sur le corps », décrit Kémil.
Kémil avertit que ce film reste sans prétention, plutôt « un court-métrage qui soulève un point de vue et pose une question ». Chaque membre de l’équipe était déjà, et sont toujours « plus ou moins touchés de près ou de loin par ce sujet, complète Hiba. On le connaît tous mais on ne le creuse pas assez. » Si le travail s’est réparti sur l’année, Kemil calcule qu’en « une semaine intensive de travail », c’était plié : plusieurs jours pour bâtir un scénario, présenté à Laurent Jackel, intervenant d’Asques et d’Ailleurs, puis deux jours de tournage.
Elle est venue spontanément, et nous a aidés dans des petits cheminements en nous disant ce qui était trop scénarisé, par exemple.
Lucie, rôle principale, est interprétée par Léa Medjane. Le groupe rencontre alors cette Miss Gironde 2017, avec laquelle l’une des personnes de leur classe faisait du théâtre, qui a pu apporter sa patte explique Hiba : « Déjà, elle n’avait pas besoin de jouer car elle savait bien de quoi elle parlait. Elle est venue spontanément, et nous a aidés dans des petits cheminements en nous disant ce qui était trop scénarisé, par exemple. »
Pour réaliser Sparkles, les élèves sont partis de leur propre expérience qui leur « ont servi d’exemples ou d’inspiration », soulève Kémil : « Des personnes du groupe cherchaient à devenir maquilleurs donc avaient déjà fait des stages dans le milieu. Une personne faisait aussi de la photographie donc avait des contacts dans la photo de mode. »
Une mise en scène poussée
Expérience professionnelle, scolaire —par leurs deux précédentes années en option cinéma au lycée Montesquieu—, mais aussi autodidacte, car plusieurs d’entre eux s’adonnaient à une activité artistique sur leur temps libre. « Mais on n’avait jamais réalisé de court-métrage ni travaillé en équipe, à proprement parler, avec des postes à responsabilité ! », précise Kémil. Ils se sont alors répartis les tâches pour que chacun puisse goûter à un poste sur chaque séquence : réalisateur, preneur son, monteur, scénariste.
Déjà, en faisant les groupes, les six élèves se sont mis ensemble en sachant que leurs univers étaient compatibles et leurs compétences, complémentaires, explique Hiba : « Kémil s’acharne sur le travail, donc on savait qu’il allait ramener ce côté hyper professionnel, droit car Margot et moi étions trop frivoles. Ijuan a un sens du scénario qui est fou. Il devient d’ailleurs scénariste. Flavie est photographe, elle a ce côté image, belles lumières, donc elle nous l’a apporté. Et moi j’étais gothique, j’avais ce côté sombre et j’ai ramené l’ambiance oppressante. »

« On a quasiment tout tourné en intérieur dans le studio du lycée donc on n’a pas trop pris de risque », confesse Kémil, mais le groupe de six élèves a poussé la réflexion sur la mise en scène jusqu’au bout. Dans le scénario fourni par les élèves à l’intervenant, avant le tournage, tout est déjà calculé. Ce côté sombre se ressent dans le court-métrage, dont les lumières artificielles viennent accentuer le côté superficiel. Et ce, dès la première scène : « Le seul moment où ce n’est pas sombre, c’est au début lorsqu’elle est dénudée dans un grand espace, se souvient Kémil, pour montrer qu’on ne respecte pas l’intimité de Lucie. » Sinon, ce sont des lumières artificielles, chaudes, « pour que ça paraisse un peu lourd », justifie-t-il, complété par sa camarade Hiba : « On a aussi voulu faire un film très silencieux : les mannequins n’ont pas leur mot à dire. Elle ne parle jamais. Elle est inerte, juste un objet qu’on utilise. » Et la scène finale semble trancher avec le reste du film : « Le seul moment où on est en lumière naturelle, c’est lorsqu’elle sort. Elle est en tenue blanche, donc c’est la renaissance, la liberté, et elle se fait asperger de couleurs. » Et pour faire un traveling arrière de cette dernière séquence ? Un fauteuil roulant prêté pour l’occasion par une entreprise de location de matériel médical.
Aujourd’hui, tous ont poursuivi dans des chemins artistiques : certains dans la photographie, d’autres, la création de scénario. Kémil, toujours en études de cinéma à Bordeaux, souhaite aujourd’hui se tourner vers le stand-up. Hiba, comédienne, a réalisé dix court-métrages à la suite de « Sparkles ». Elle souhaite aujourd’hui en créer un autre au sujet d’Aïsha, fable démoniaque dans laquelle elle a été bercée. En attendant de trouver des financements, elle a tourné quelques scènes pour en faire un teaser en marocain. Deux ans après leur premier court-métrage, les projets du groupe semblent donc se concrétiser.