Eugène, un trentenaire qui vit toujours chez sa mère, s’envole en montgolfière pour tenter de lui échapper. C’est l’histoire qu’a imaginée Louis Changeur, 23 ans, dans le court-métrage « Gonflé », réalisé dans le cadre de ses études à l’EMCA d’Angoulême. Louis nous plonge dans le monde fascinant de l’animation, et évoque la situation difficile des jeunes comme lui, à une époque où les studios d’animation tournent au ralenti.
Le projet Les Apprenti·e·s est un programme d’éducation aux médias développé par l’association Les Ami·e·s de Far Ouest. Dans ce feuilleton, nous donnons la parole à des jeunes qui s’essaient à l’écriture ou l’audiovisuel. Que leurs réalisations soient d’initiatives scolaire, associative ou individuelle, notre plateforme les valorise.
« Gonflé » a été sélectionné par le festival Ciném’avenir, dont la première édition se tient en ligne du 12 au 19 avril 2021. Créé par des étudiant.e.s., ce festival récompense de jeunes réalisateur.rice.s entre 18 et 25 ans par le biais de la compétition « Cinéastes de demain ».
Revue Far Ouest : Tu réalises ton premier film seul, « Gonflé ». De quoi parle-t-il, et pourquoi ce titre ?
Louis Changeur : C’est l’histoire d’Eugène, qui vit encore avec sa mère un peu trop invasive. Il tente de lui échapper en participant à un concours de ballon à gaz. « Gonflé » par sa mère, il finit par gonfler comme un ballon lui-même pour s’évader dans les airs.
Tu es diplômé de l’EMCA (École des métiers du cinéma d’animation). Peux-tu nous parler de ta formation ?
L’EMCA une école de cinéma d’animation en quatre ans. Les deux premières années sont plutôt techniques, consacrées au dessin et à l’animation : dessiner des modèles vivants, apprendre à animer une marche… Les deux dernières années sont davantage consacrées à l’apprentissage des logiciels, des marionnettes, ou encore du stop-motion. En troisième année, je me suis spécialisé en 2D tout en continuant à faire un peu de 3D de mon côté. J’ai imaginé et créé « Gonflé » lors de ma dernière année d’école, qui est entièrement consacrée à la réalisation d’un film de A à Z.

Comment as-tu choisi le thème de ton film ? Aviez-vous des contraintes particulières pour votre projet de fin d’études ?
Non, aucune contrainte. Comme on était libres de choisir n’importe quel thème, j’ai réfléchi à un sujet dont je me sentirais légitime de parler et qui ne me lasserait pas au cours de l’année. L’idée m’est venue l’été dernier. Je passais beaucoup de temps à regarder des comédies françaises des années 70, notamment les films d’Yves Robert, comme Un éléphant ça trompe énormément. Dans ce film, le personnage de la mère de Guy Bedos, très protectrice, m’a un peu rappelé ma mère. J’avais envie de parler d’elle, de ma mère. Je me suis inspirée d’elle, et j’ai ajouté au décor des choses qui me plaisaient : l’aéronautique, les vieux trains, la mode du début du XXe siècle ou encore du Strauss, pour la musique.
Ta mère a-telle vu le court-métrage ? Comment l’a-t-elle pris ?
Elle l’a vu, et mieux que ça : c’est même elle qui fait la voix de la mère dans le film ! Elle comprend totalement, et est consciente de son côté « mère poule ».

Pourquoi as-tu choisi de te lancer dans le cinéma d’animation ?
Ça fait très longtemps que j’ai envie de faire un métier dans le dessin, voire dans la bande dessinée. Lorsque je me suis spécialisé en arts plastiques au lycée, j’avais déjà dans l’idée de faire de l’animation. En plus, je suis originaire d’Angoulême, où on entend régulièrement parler de l’EMCA. Ça m’a fait envie.
À la base, c’est le dessin qui m’a donné envie de faire ce métier. Depuis, j’ai beaucoup évolué et aujourd’hui, je m’intéresse de plus en plus à l’écriture et aux scénarios.
Comment as-tu réalisé « Gonflé » ? Quelles techniques as-tu utilisé ?
Pour les personnages, j’ai utilisé une technique que l’on appelle « puppet », ou animation marionnette, qui n’est pas de l’animation traditionnelle. Il s’agit en fait d’une marionnette 2D, dessinée et articulée sur un logiciel, qui permet de ne pas redessiner le même personnage à chaque fois. Cette technique a l’avantage d’éviter de dessiner image par image, où on peut facilement perdre le volume d’un personnage. Avec une marionnette, les volumes ne bougent pas.
Pour le décor, je me suis aidé de photos réelles, trouvées dans des livres ou même sur Google maps, par-dessus lesquelles j’ai peint. Les nuages par exemple viennent de photos que j’ai trouvées et que j’ai repeintes.

Quels dessins animés t’ont inspiré pour ce film ?
Je me suis beaucoup inspiré de Heidi, ou d’autres séries d’Isao Takahata, dont certaines sont moins connues en France, comme Anne, la maison aux pignons verts ou Marco. Ces trois séries m’ont marqué enfant et ce sont toujours mes séries préférées. Les dessins sont assez simplifiés, il y a peu de traits, car à l’époque l’animation se faisait à la main et on colorisait à la gouache. Les décors étaient en revanche assez réalistes. J’ai voulu garder ce style.
As-tu rencontré des difficultés lors de la réalisation de ton film ?
J’ai peut-être sous-estimé le temps nécessaire à la réalisation d’un film tout seul. J’ai aussi l’impression d’avoir mieux réussi l’écriture et la mise en scène que l’animation, qui n’est pas optimale. Je ne la trouve pas assez dynamique. C’est le point faible de mon film. Un regret que j’ai également, c’est que mon sujet est très léger, alors que paradoxalement, je suis assez militant.
Quels sont tes projets actuels ou futurs ?
J’aimerais justement traiter des sujets plus sérieux dans mes prochains projets. Quand j’ai imaginé mon film, fin 2019, la situation politique et économique était loin d’être ce qu’elle est aujourd’hui. J’aimerais davantage utiliser ma parole en tant qu’artiste pour défendre des causes qui me tiennent à cœur, et je travaille d’ailleurs sur un autre court-métrage sur un sujet plus sérieux.
As-tu réussi à trouver du travail à ta sortie d’école ?
C’est le gros point noir. En cinq mois, je n’ai décroché qu’un contrat d’une semaine. Le problème, c’est que tous les diplômés de mon secteur sont dans le même cas. Il y a très peu d’offres d’emploi, que ce soit en 2D ou en 3D. La télévision a été relativement épargnée par la crise du Covid, mais pour le cinéma, tout est mis en pause. Les films censés sortir l’an dernier ne sont pas encore en salles.
En cinq mois, je n’ai décroché qu’un contrat d’une semaine
Un autre travers du monde de l’animation, c’est le peu de femmes dans le milieu. Traditionnellement, c’est un secteur plutôt masculin. Déjà, à l’époque où le numérique n’était pas utilisé, les femmes étaient plutôt employées pour des métiers de « petites mains », moins techniques. Par exemple, c’est elles qui peignaient chaque dessin à la gouache. La tendance est cependant en train de s’inverser dans les écoles, il commence à y avoir plus de filles que de garçons. Le problème, c’est que comme tout fonctionne beaucoup au réseau, les hommes s’aident entre eux et les femmes restent peu nombreuses dans les studios d’animation.

Dans le contexte de crise liée à la pandémie, le cinéma d’animation n’est-il pas épargné par rapport au cinéma classique ?
On peut penser que grâce au télétravail, le secteur peut continuer à fonctionner, et c’est en partie vrai. Mais dans les faits, beaucoup de studios d’animation tournent tout de même au ralenti, peut-être faute de financement. Il y a moins d’offres d’emplois, mais toujours autant de diplômés…
Comment t’adaptes-tu à cette situation ?
Je réfléchis à des projets de mon côté. Je vais notamment participer à un appel à projet lancé par le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée, ndlr) pour les diplômés en audiovisuel 2019-2020, afin de nous aider dans cette situation. Le but est d’accompagner des jeunes comme moi dans nos premiers projets professionnels en accordant des financements.
J’ai bon espoir que les choses s’améliorent depuis que mon film a été sélectionné dans la catégorie jeune public du festival du court-métrage de Clermont-Ferrand. D’autres festivals m’ont contacté après avoir vu « Gonflé » à Clermont, j’espère que ça ne va pas s’arrêter là !