Les Secondes de la promotion 2017-2018 du lycée Jean Monnet (Blanquefort) ont réalisé, pour leurs cours de sciences économiques et sociales, tout un épisode de podcast autour des stéréotypes de genre. Métiers, sports, jeunesse, soins… Beaucoup de thèmes sont traités, sous diverses formes, pour informer sur le sexisme dans différents domaines de la société. Si bien traités que le CLEMI a remis le prix Zéro cliché aux élèves, ainsi que le prix du projet égalitaire.
Le projet Les Apprenti·e·s est un programme d’éducation aux médias développé par l’association Les Ami·e·s de Far Ouest. Dans ce feuilleton, nous donnons la parole à des jeunes qui s’essaient à l’écriture ou l’audiovisuel. Que leurs réalisations soient d’initiative scolaire, associative ou individuelle, notre plateforme les valorise. Dans cet article, des élèves du lycée Jean Monnet (Blanquefort) partagent leur podcast déconstruisant les stéréotypes de genre, disponible ici.
« En Sciences économiques et sociales (SES), quand on travaille sur la socialisation, on montre que les enfants ne sont pas socialisés de la même façon en fonction de leur sexe, et ce dès le plus jeune âge », souligne Sabrina Lepeuple, qui enseigne cette matière au lycée Jean Monnet. Depuis cinq ans, elle réalise avec ses élèves de seconde plusieurs émissions de radio. Celle de cette année 2018, diffusée en direct sur Radio RIG puis retransmise sur le blog du collège, portait sur les stéréotypes de genre, et leur déconstruction.
Dans l’émission « LJM Show », pour « Lycée Jean Monnet », un groupe qui réalise un micro-trottoir auprès des enfants demande à des garçons si la poupée est un jeu pour eux, ou si les filles peuvent jouer au football. À sept ans déjà, les stéréotypes semblent relativement ancrés. De l’autre côté, le groupe qui pose des questions en Ehpad se voit dire par des résidents qu’ils préfèrent que les infirmières leur fassent les soins, les hommes étant, selon eux, moins délicats. « D’ailleurs, il y avait vraiment peu d’infirmiers lorsque nous y sommes allées », témoigne Chloé. Elle a réalisé ce reportage en maison de retraite, et se souvient, deux ans après, de la difficulté de l’acceptation des hommes comme aides-soignants en milieu hospitalier.
Pour Sabrina Lepeuple, il était également important que ces élèves de seconde évoquent l’orientation et le secteur professionnel dans cette émission « car ils arrivent à cet âge où ils devront choisir. Des statistiques nous montrent que c’est également sexué. » Les options au lycée, le choix d’études supérieures, ou la profession, sont parfois régies par des inconscients, affirme la professeure de SES : « Le fait d’en prendre conscience peut faire réfléchir les élèves sur les raisons de leurs choix. »
31 minutes pour casser les préjugés sur le genre
Sabrina Lepeuple a voulu trouver « une façon d’illustrer le cours de SES et d’inculquer aux élèves des choses dont on ne se rend pas forcément compte au quotidien », en traitant de la question des clichés. En évoquant une expérience dans laquelle des enfants sont habillés selon les codes féminins, puis masculins, la professeure souligne une socialisation genrée dès le plus jeune âge. Et les enfants, plus spontanés, permettent d’entrevoir déjà ces comportements genrés. Le premier reportage de l’émission radio a justement été effectué en école primaire, où plusieurs enfants sont interrogés. Si certains soulignent que la dinette ou les poupées sont « pour les deux » sexes, d’autres semblent moins ouverts. Ce château, rose, est destiné aux filles, peut-on entendre de la bouche de l’un ; comme cette voiture téléguidée de la même couleur, alors que les filles n’aiment pas jouer au ballon, suppose un autre.
Même si l’on prend le sport, on voit qu’en danse il n’y a pas tellement de garçons, et ils sont beaucoup jugés.
La professeure, qui félicite les élèves ayant fait ce reportage qui a remporté le prix Zéro Cliché du CLEMI, « montre comment ces clichés se perpétuent tout au long de la socialisation, dans le cadre des loisirs ». Sabrina Lepeuple a donc suggéré des thèmes aux lycéens, qui les ont ensuite traités comme ils le souhaitaient. En 31 minutes, nous entendons des chroniques ou interviews sur le rôle des préjugés dans la socialisation, les sports, les salaires, ou encore les métiers. Ainsi, Chloé et deux de ses amies ont évoqué les stéréotypes dans le milieu hospitalier, dans l’Ehpad où sa mère travaille, afin de faciliter la prise de contact avec personnels et résidents.
Chloé n’ignorait pas que « certains stéréotypes persistaient » chez les adultes comme chez les personnes âgées, chez lesquelles les préjugés sont plus prégnants. Aujourd’hui étudiante en IUT Tech de Co à Bordeaux, l’ancienne lycéenne a pu faire des exposés montrant la persistance de ces stéréotypes : « Même si l’on prend le sport, on voit qu’en danse il n’y a pas tellement de garçons, et ils sont beaucoup jugés, en gymnastique aussi, pareil dans le foot… Même certains métiers sont plus genrés. »
Les réponses que le groupe a reçues, alors que « certains patients, surtout des hommes, avaient des propos plutôt machistes » : elle s’y attendait. Chloé remarque également que chez de jeunes adultes, certains stéréotypes persistent. Finalement, les trois camarades ont « fait des recherches par rapport au nombre d’hommes employés dans le secteur » qu’elles évoquent dans l’émission. Au sein de cette maison de retraite, les hommes ne représentent que 5 des 50 employés, alors qu’ils constituent 23,4 % dans le milieu hospitalier.
Un enseignement pluridisciplinaire valorisant
Sabrina Lepeuple a découvert les ateliers radio il y a cinq ans, d’abord avec la radio RIG grâce à laquelle a été faite cette émission en semi-direct, et continue aujourd’hui grâce à des heures permises par le CLEMI. « J’ai trouvé qu’il y avait énormément de choses qu’on pouvait travailler par la radio, appuie-t-elle : la gestion des émotions face au micro, la prise de parole à l’oral, et ils en ont besoin avec la réforme du lycée et la mise en place du grand oral et ce sont des compétences qui seront valorisées ensuite, en études supérieures ou en entreprise et qu’on ne travaille pas en cours. »
Chloé en a tiré d’autres enseignements, comme « la façon de faire une interview : préparer des questions, les poser ». Pour ce faire, elle a procédé à quelques recherches avec son groupe : « Nous avons essayé de trouver des thèmes sur lesquels interroger les résidents concernant les stéréotypes que nous pensions qu’ils auraient. » Mais aussi « apprendre à ne pas lire un texte, mais le dire », ce que Chloé a d’abord vu comme une difficulté. Même si la classe n’a fait qu’un entrainement avant l’enregistrement, l’étudiante se dit fière du rendu global. Elle n’était pas volontaire pour cette classe média, mais s’est prise au jeu.
On a quand même un système qui n’est pas toujours valorisant, avec des notes et des sanctions. Les projets comme celui-ci les motivent.
En plus du prix du CLEMI pour l’un des reportages, ce projet pluridisciplinaire « a remporté le prix du projet égalitaire pour toute l’émission par la directrice régionale aux droits des femmes, Sophie Buffeteau. Nous avons alors participé à toute une journée de l’égalité filles-garçons », qui s’est déroulée l’année suivante, explique Sabrina Lepeuple. Les élèves se sont donc vus remettre deux prix sur un exercice non scolaire qui ne leur était pas familier, leur permettant de prendre conscience de leurs capacités. Sabrina Lepeuple a remarqué « de très bonnes surprises d’élèves qui sont plutôt en retrait dans le cadre scolaire, mais qui s’épanouissent complètement derrière le micro ». La professeure de SES conclu, prônant un fonctionnement alternatif de l’éducation : « Nous avons rendu concrets les enseignements théoriques que nous leur diffusons. On a quand même un système qui n’est pas toujours valorisant, avec des notes et des sanctions. Les projets comme celui-ci les motivent. » Un projet vidéo est en cours, que Sabrina Lepeuple espère mettre en application lorsque la situation le permettra…