Internet, la télévision, les réseaux sociaux… les images se multiplient autour de nous. Elles sont accessibles à tous et peuvent devenir nocives lorsque les jeunes y sont surexposés. Qu’elles soient de nature violente ou non, elles peuvent avoir des répercussions sur les imaginaires des adolescents. Le psychiatre bordelais Xavier Pommereau a répondu à nos questions sur le sujet.
Le projet Les Apprenti·e·s est un programme d’éducation aux médias développé par l’association Les Ami·e·s de Far Ouest. Dans ce feuilleton, nous donnons la parole à des jeunes qui s’essaient à l’écriture ou l’audiovisuel. Que leurs réalisations soient d’initiative scolaire, associative ou individuelle, notre plateforme les valorise. Emma Feyzeau a participé à nos ateliers « premier papier », une formation personnalisée et à distance pour s’essayer à l’écriture d’article.
N.B : Je suis lycéenne, en terminale au lycée Max Linder de Libourne. Les films et les séries d’horreurs me plaisent. J’ai toujours adoré regarder l’actualité qui n’est pas non plus dépourvue d’horreur : cela me donne le sentiment d’être plus ouverte sur la dure réalité qui nous entoure. Je pense être consommatrice régulière d’images violentes, et je me suis alors intéressée à l’impact que celles-ci pouvaient avoir sur moi. Étant adolescente, je me suis demandée si cet impact risquait d’être diffèrent au cours de ma croissance. Je me suis donc renseignée auprès de spécialistes ainsi qu’auprès d’autres adolescents pour mieux comprendre cet effet, et vous le partager afin d’aborder un sujet, qui selon moi, est rare dans les médias.
L’article Reporterre intitulé La télévision nourrit la violence rapporte que « les jeunes Français consacrent [à la télévision], pour leur part, 2 h 30, ce qui les situe parmi les plus grands consommateurs d’Europe. » Une autre étude de 2002 publiée dans la revue Science a suivi 707 familles new-yorkaises sur quinze ans et a noté « une corrélation entre la violence et le nombre d’heures quotidiennes passées devant la télé ».
Des spécialistes se sont demandé si l’exposition à ces images avait une répercussion sur les adolescents, à l’âge où ils développent leur esprit critique. Ces photos ou vidéos, les jeunes les voient souvent à la télévision, mais aussi via Internet. Les experts apportent des regards différents sur la conséquence de cette surconsommation, même s’il reste difficile de les définir. Chez certains elle serait vue comme un exutoire, chez d’autres, elle favoriserait les comportements violents.
« La télévision est omniprésente »
La télévision est présente dans nos foyers depuis les années 1970 et ses programmes font souvent débat, alors que des images violentes sont souvent de mise. « Tout le monde déteste la violence dans la vraie vie, mais à la télé ils ne regardent que ça. Si la TV ne montrait que des gentils éléphants buvant de l’eau dans une rivière, au bout de trois quarts d’heure, beaucoup diraient que c’est ennuyeux. Il y aurait des envies de violence », constate Xavier Pommereau, psychiatre spécialiste de l’adolescent en difficulté et créateur du centre Abadie au CHU de Bordeaux Pellegrin.
Les adolescents passeraient entre 3 et 4 heures devant des écrans, dont au moins 28 minutes sur les réseaux sociaux. Le Blog du Modérateur reprend une étude de Patricia Conrod, professeure en psychiatrie de l’Université de Montréal, analysant le lien du temps passé sur l’écran et la dépression chez les adolescents. L’article les perçoit alors « comme des formes de médias qui exposent plus fréquemment l’adolescent à des images d’autres personnes évoluant dans des vies perçues comme plus accomplies que la sienne », traduit l’article nommé « les réseaux sociaux dépriment les ados, contrairement aux jeux vidéo ». Ces images auraient des répercussions, car elles « provoquent une logique de comparaison réduisant son estime de lui-même » poursuit l’autrice de l’article.

La télévision et plus globalement Internet raffolent d’images explicitement brutales, susceptibles d’avoir des répercussions chez les jeunes. Le média Reporterre l’analyse dans un article qui « décrit comment la consommation télévisuelle suscite des comportements violents » : « Les études montrent que les programmes les plus nocifs pour les jeunes, de ce fait, sont les films violents y compris certains dessins animés, les infos des journaux télévisés qui font montre de réalisme et l’impact le plus important est obtenu par l’association de la violence avec des images érotiques. »
Ces images érotiques à la télévision sont aujourd’hui moins connues des adolescents, alors qu’avant elles étaient diffusées tard le soir. Mais les jeunes y sont exposés de plus en plus tôt par un autre biais : les sites pornographiques mainstream sur Internet.
« La pornographie ne fait pas du bien »
Sur les sites érotiques, pas besoin de vérifier son identité pour prouver que l’on est majeur. Seul un clic suffit pour avoir accès, sur la toile, à des milliards de contenus pornographiques, qui généraient près de 30 % du trafic Internet en 2012. Internet offre alors cette nouvelle possibilité aux adolescents de découvrir des représentations diverses de la sexualité, souvent taboue avec leurs proches. « Quand on est jeune, c’est normal qu’on ait envie de découvrir des choses un peu secrètes », souligne le psychiatre Xavier Pommereau.
Le problème se pose quant à l’âge où est effectuée cette première découverte. La sexologue Béatrice de Soultrait a réalisé l’étude « Ados et Porno » sur des jeunes de 12 à 25 ans, relayée par le site belge Yapaka. « Il semble que de plus en plus d’ados voient leurs premières images pornographiques avant l’âge de 12 ans. Or, avant cet âge, les enfants ne sont pas équipés pour recevoir de telles images. Ils ne comprennent pas ce qu’ils voient et cela vient véritablement heurter leur psychisme, » déduit le site contre la maltraitance, avant de poursuivre : « De manière générale, quand la pornographie survient avant les premières relations sexuelles, on peut s’interroger sur ce qu’elle vient court-circuiter dans l’imaginaire, les fantasmes, les rêves. »
Ce qui ne va pas, c’est que ça ne montre qu’une sorte de version du sexe.
Xavier Pommereau remarque des réactions genrées quant au visionnage de contenus pornographiques mainstream chez les jeunes : « Les filles pourraient avoir peur de se faire faire mal lors d’un acte sexuel, de se faire éventrer. Et les garçons ont peur de ne pas être assez bien équipés, rapporte le psychiatre. Là encore, la distance par rapport à l’image est très importante. »
Selon le créateur du centre pour adolescents en difficulté, les images pornographiques auraient plus de répercussions que les images violentes de la télévision ou des réseaux sociaux : « Ce qui ne va pas, c’est que ça ne montre qu’une sorte de version du sexe. Des trucs où un homme prend de force une femme ou un homme. Mais toujours dans la violence. Comme si l’amour, c’était forcément un truc de violence. »
Noha, 18 ans, a été victime de la surexposition à ces images pornographiques : « En 4e, à 13 ans, je suis tombé sur un site pédopornographique. Et depuis ça j’ai commencé à m’intéresser à des garçons plus jeunes que moi », exprime ce dernier, membre en ligne d’un site discord pour pédophiles abstinents où il parle de son problème. Pour lui, il est évident que « ce ne sont pas les images qui m’ont fait prendre conscience, mais c’est les images qui m’ont rendu comme ça ; donc oui, les images peuvent rendre les gens pédophiles, clairement. »
Une thérapie addictive
Et que se passe-t-il lorsque le consommateur d’images devient acteur, virtuellement, de violences ? Avec les jeux vidéo, l’adolescent contrôle un personnage virtuel. Ils y recherchent l’excitation, le divertissement, le plaisir ou l’excitation. Selon un sondage suisse, 24 % de jeunes ont déclaré que c’était leur activité principale sur Internet. Mais certains parents sont inquiets de cette pratique intensive. Quelques jeux vidéo favorisent l’exposition aux contenus violents, pornographiques ou inadaptés pour des mineurs.
Plusieurs experts se sont donc intéressés à cette pratique, bien moins nocive que l’on peut le penser. Pour Xavier Pommereau, cela ne suffirait pas à faire passer un adolescent de la virtualité à la réalité en commettant à son tour ces violences : « L’adolescent est capable de faire agir son personnage en tuant la personne âgée. Cela ne veut pas dire que c’est un assassin, cela veut dire qu’il joue à faire l’assassin. » Il prend GTA V en exemple, un jeu vidéo d’action-aventure où le personnage principal est un ancien gangster : « Dans GTA V, il prend la voiture de force. Mais c’est un jeu, on sait que ce n’est pas vrai. Ce n’est pas lui qui fait l’action, c’est le personnage. Il y a une distance. »

D’autres études confirment ces propos, comme celle de l’Oxford Internet Institute. Menée auprès d’adolescents de 14 et 15 ans, elle leur posait des questions sur leur personnalité et leurs comportements virtuels : « Malgré l’intérêt des parents et des décideurs politiques pour le sujet, la recherche n’a pas démontré qu’il y avait lieu de s’inquiéter », a déclaré Andrew Przybylski, le directeur de recherche.
Les jeux vidéo peuvent avoir d’autres conséquences néfastes, comme sur les relations ou la scolarité des adolescents à pratique excessive. Mais elle reste une activité amusante et stimulante pour les jeunes, qui est même utilisée dans un cadre thérapeutique, comme le déclare Yann Leroux, psychologue à Périgueux : « Dans les thérapies avec les enfants, les jeux vidéo deviennent de plus en plus l’équivalent des rêves : une voie royale d’accès à l’inconscient. »
L’âge responsable de la nocivité ?
Pourtant, ce sont les parents qui s’inquiètent les premiers de la nocivité des images véhiculées dans les jeux vidéo : « Les adultes sont toujours en train de critiquer les jeunes. De dire qu’il fait que de jouer à GTA, il ferait mieux de faire ses devoirs de maths… Mais que regardent les parents à la télé ? Commissaire Moulin, qui ne raconte que des horreurs », s’en amuse l’auteur du livre Le Goût du risque à l’adolescence, Xavier Pommereau.
« Ça ne suffit pas de voir des images violentes pour devenir violent, rappelle ce dernier. Par contre, ceux qui n’aiment que les images violentes, ne souhaitant que vivre dans la violence, alors on peut dire que ceux-là ont des problèmes. » Pour lui, finalement, tout n’est qu’« une question d’âge et de fréquence » : « Est-ce qu’on est capable de le faire dans la vraie vie ? C’est la différence entre les violents, et ceux qui lisent des romans policiers. »
Plusieurs acteurs peuvent intervenir pour éviter que les jeunes ne soient confrontés à ces images trop tôt, comme le signale Yapaka : « Il revient à l’ensemble du réseau (parents, éducateurs, école…) d’oser aborder avec les enfants et les ados les questions liées aux images qu’ils voient sur Internet. »