À quoi ressemblait la vie d’un écolier en 1943 ? C’est la question que se sont posés les élèves de Saint-Gervais et de Lugon-et-l’Île-du-Carnay, en Haute-Gironde. À travers deux courts-métrages, une cinquantaine d’élèves ont voulu retracer l’histoire de leur territoire pendant l’occupation allemande.
Le projet est né au bord d’un terrain de foot. Quand Guillaume Marrou, éducateur à l’image, rencontre sur le banc Ludovic Lambert, professeur des écoles à Saint-Gervais, il est loin de se douter qu’ils monteront ensemble un festival un an plus tard. « L’idée a germé il y a deux ans, au moment de la fermeture du Magic, le cinéma historique de Saint-André-de-Cubzac« , se souvient Guillaume. Ouvert en 1928 dans une grange, le Magic a fermé ses portes en 2019 après près d’un siècle de projections. « Avec Élodie Bertet, qui gérait la salle à l’époque, on a voulu réaliser un documentaire sur l’histoire de ce cinéma, car on s’est rendus compte qu’il n’y avait que très peu d’archives sur l’histoire de cet endroit. »
En glanant des souvenirs, Guillaume recueille celui d’un enfant pendant la guerre, qui regardait des films sur les genoux des nazis. « C’est là que ça a fait tilt. On a voulu parler de la Seconde Guerre mondiale, pour profiter des derniers témoignages de personnes qui l’ont vécu. » Dans l’idée de transmettre cette mémoire aux plus jeunes, Guillaume Marrou veut faire appel à des enfants pour travailler sur le film. La rencontre avec Ludovic fait le reste. « Revenir sur l’histoire de la région m’a semblé important et pertinent, car la plupart des enfants d’ici ne sont pas issus du territoire. Il y a une histoire locale qui se perd. En faire un film, ça permet de ne pas oublier« , note Ludovic Lambert.
Entre-temps, la crise du Covid ralentit le projet et diminue les subventions accordées. « On a failli abandonner, mais la ville de Saint-Gervais a insisté pour que le projet voit le jour« , explique Guillaume. Et comme les écoles n’avaient pas les moyens de financer les films, tout le monde a mis la main à la pâte. « On a organisé des ventes de chocolatines et des vide-greniers toute l’année. Et on y est finalement arrivés« , sourit Ludovic Lambert.
« Là, au moins, nos frigos sont pleins«
Pendant une année scolaire, Guillaume Marrou travaille avec les CM1 et CM2 des écoles de Lugon-et-l’Île du Carnay et de Saint-Gervais. Dès la rentrée 2020, chaque classe planche sur un court-métrage, l’un filmé, l’autre réalisé à l’aide de dessins. Mais autour d’une même question : à quoi ressemblait la vie d’un écolier pendant la guerre ? Pour le savoir, les élèves se sont inspirés du récit de Marie-Thérèse Bourseau et Jeannine Letourneau. Toutes deux originaires de la région, elles avaient 9 et 10 ans en 1943. « On leur a raconté que l’on portait du bois pour chauffer l’école, de l’eau pour nettoyer les tableaux. Après l’école, mon travail n’était pas fini, je devais garder les vaches !« , se souvient Marie-Thérèse Bourseau. « Ils ont été particulièrement marqués par les deux kilomètres à pied à faire chaque jour en sabots. Surtout, ils ont réalisé que tout ça s’est passé il n’y a pas si longtemps« , relève Ludovic Lambert.
Le jour de leur venue à l’école, Marie-Thérèse et Jeannine ont tenu à évoquer le manque de nourriture et les conditions de vie pendant la guerre, et à mettre les choses au clair. « On a aussi parlé de l’époque actuelle« , note Jeanine Letourneau. « Pendant le premier confinement, par exemple, on entendait souvent des gens dire ‘c’est la guerre’. Mais ce n’est pas vrai. La guerre, ce n’est pas ça. Là, au moins, nos frigos sont pleins.«
Un passé, deux films
Les recherches des élèves couplées aux témoignages de Marie-Thérèse et Jeannine ont donné lieu à deux courts-métrages. Le premier, Des bottes noires dans l’escalier, réalisé à l’aide de dessins des enfants, raconte l’histoire de Josette Mélinon et Blanche Chauveau, deux sœurs juives qui ont connu l’occupation allemande à Libourne. Du port de l’étoile jaune à la déportation des membres de leur famille par « les bottes noires des Allemands« , le film retrace l’enfance des deux soeurs, finalement sauvées par leur père catholique.
C’est notamment grâce au travail de Blanche et Josette, réalisé dans le cadre de leur association « Souvenir de Myriam Errera« , du nom de leur cousine raflée en janvier 1944 à Libourne, que les écoliers ont réussi à obtenir des témoignages aussi précis.
Réalisé par les écoliers de Saint-Gervais, le deuxième court-métrage a lui été filmé par Guillaume Marrou et interprété par les élèves. Plus léger, Le stylo magique raconte l’histoire d’un petit garçon qui se retrouve projeté pendant la Seconde Guerre après avoir utilisé le stylo de sa grand-mère. « Une sorte de Retour vers le futur en 1943« , raconte Guillaume Marrou.
Une quinzaine d’élèves ont joué dans le film. « Les autres étaient à la perche, au clap, à l’écriture du scénario, aux costumes…« , énumère Guillaume. Après 500 heures de travail, et 15 heures de tournage réparties sur trois jours, les élèves ont découvert leurs films sur grand écran au mois de juin, dans la plus grande salle du cinéma Villa Monciné de Saint-André-de-Cubzac. Finalement, ces projections ont donné naissance à un festival, “Mémoires de territoire”, mêlant histoire locale et découverte du cinéma. Outre les projections, les élèves ont participé à des ateliers cinéma menés par Guillaume Marrou et l’équipe de la Villa Monciné : doublage d’un match de foot, d’un épisode des Simpson, de Friends ou d’une scène du Dîner de cons, fabrication d’un thaumatrope…
« On aimerait pérenniser ce festival, souligne Guillaume Marrou. Mais ça va surtout dépendre des financements que l’on réussit à obtenir pour les années à venir. Ici, on est en zone blanche pour la culture. Il y a de la demande, mais plus beaucoup de moyens pour ce genre de projets.” En attendant les éditions suivantes, les courts-métrages ont déjà été diffusés deux fois à Saint-André-de-Cubzac, et une projection a eu lieu en juillet à Saint-Gervais.