Huit adolescentes du centre social Bordeaux-Nord, conscientes des préjugés sur la jeunesse, ont engagé des discussions intergénérationnelles dans leur quartier. Pour mettre les adultes face à la dureté de leurs propos envers les jeunes, elles ont fait appel à l’association Ricochet Sonore afin de compiler les propos reçus lors du micro-trottoir. Certaines personnes interrogées pointent « l’espoir » de la jeunesse, quand d’autres véhiculent des clichés tels que celui de la fainéantise.
Le projet Les Apprenti·e·s est un programme d’éducation aux médias développé par l’association Les Ami·e·s de Far Ouest. Dans ce feuilleton, nous donnons la parole à des jeunes qui s’essaient à l’écriture ou l’audiovisuel. Que leurs réalisations soient d’initiatives scolaire, associative ou individuelle, notre plateforme les valorise. Huit adolescentes du centre social Bordeaux Nord ont réalisé, avec l’association Ricochet Sonore, le podcast « À vos micros » autour des préjugés sur la jeunesse.
Pierre a cofondé l’association Ricochet Sonore afin de « se servir de l’outil de la musique pour favoriser la rencontre et le partage ». L’idée de départ, explique l’ancien salarié de centre social, était d’utiliser la musique en appartement pour rencontrer ses voisins, créer du lien. « On fait aussi un volet “animation digitale” avec des formats qui se veulent ludiques et pédagogiques : un quiz musical, DJ set… » complète-t-il. Puis, les cofondateurs ont l’idée de réaliser des captations sonores, comme ils l’ont fait en 2018 avec les jeunes du Centre social de Bordeaux Nord. La série de podcasts « À vos micros » interroge sur l’image véhiculée par les adolescents.
Ricochet Sonore · A Vos Micros – En 1 Mot
L’idée émane d’ailleurs des jeunes du centre social, qui a sollicité Ricochet Sonore : « On évolue en fonction des sollicitations auxquelles on souhaite répondre, explique Pierre. Ça m’intéressait de travailler, au-delà de la musique, sur l’identité sonore des territoires. » Ils ont alors créé des cartes postales sonores. « En se positionnant sur ce projet, on ne se prétendait pas journalistes, mais on accompagnait sur l’utilisation du matériel dans un but d’éducation populaire », poursuit Pierre. Le salarié Léo, qui a déjà eu des expériences en radio associative, a pu accompagner ce projet. L’homme qui vit aujourd’hui à Orléans se souvient de ces adolescentes qui « subissaient les conséquences » des représentations qu’avaient les adultes des jeunes. Il en résulte les problèmes de cohabitation entre générations.
Amandine, aujourd’hui en terminale, n’avait aucune idée du sujet au début. Elle et ses amies voulaient simplement « aller dans la rue et parler aux gens du quartier, leur poser des questions ». Spontanément, le groupe de huit filles a l’idée de discuter de la jeunesse : « On est dans un quartier populaire avec Grand Parc et Les Aubiers, il y a beaucoup de règlements de compte donc on n’a pas forcément une bonne image. Donc on voulait savoir ce que projetait notre génération. »
« On a eu ce qu’il faut en préjugés ! »
Finalement, tout est allé très vite, puisque le projet se faisait sur le temps libre des jeunes filles, en plusieurs étapes réparties sur deux mois. Le format sonore leur a semblé plus simple pour ne pas effrayer avec une caméra les personnes interrogées. Les filles ont passé deux après-midi à poser des questions telles que : « Que pensez-vous des jeunes » ou « Avez-vous des liens avec eux ? ». Puis est venue l’idée de faire un podcast. En réécoutant les micros-trottoirs, le groupe a pu dégager quatre grandes problématiques : « les jeunes en un mot », qui sert de teaser, « préjugés », « jeunesses d’hier et d’aujourd’hui », et « langage ». Puis en réécoutant, elles sont retournées dans la rue « avec des contre-questions », explique Amandine.
Désœuvrée, indisciplinée, impolie, drogués… « On a eu ce qu’il faut en préjugés », raille Léo. L’ancien animateur de Ricochet Sonore ne s’attendait pas à ce que ce soit aussi frontal : « Devant des jeunes filles, les gens se sont lâchés, sans barrière… » Son ancien collègue, Pierre, semble peu étonné aussi : « J’ai travaillé en centre social, ces choses me font toujours marrer : ce qui est curieux, ce serait de refaire un podcast dans 50 ans ou voir s’il n’y en avait pas un de fait il y a 50 ans, et je pense qu’on pourrait retrouver à travers les générations les mêmes clichés. »
Amandine en avait déjà conscience : au collège, on leur parlait trop des « jeunes avec leur téléphone ». « On voulait vérifier et engager des discussions ». Elle a été marquée par l’un des interrogés. Pour résumer, il soutient que les jeunes sont « des flemmards, des assistés ». Qu’avec les téléphones, « tu veux acheter des frites, tu vas sur Uber. Tu veux te déplacer, tu vas sur Uber ». Malgré tout, Amandine a « pris cela à la rigolade, même si ça fait du mal de savoir qu’on pense que les jeunes ne font pas grand-chose ».
« Ça reste un podcast assez simple et spontané. On n’est pas forcément allé vers les sciences sociales », prévient Léo. L’animateur a quand même pu observer des réponses sociologiques de la part des répondants : « Les plus conservateurs et caricaturaux sont de jeunes étudiants, dans les bibliothèques. Donc je pense qu’il y a aussi une question de classe », comme un mépris de la part de ceux qui se sont installés à Bordeaux Maritime pour être proches de leur école privée.
Renouer la discussion intergénérationnelle
Si Léo semble regretter le manque de diffusion de ce podcast, il souligne l’intérêt de la démarche : « Le témoignage a cette force : créer un espace de discussion à travers la fabrication du podcast. Il est devenu un produit de médiation pour confronter les adultes à ce qu’ils pensaient. » En effet, quelques mois après la réalisation, les jeunes du centre ont pu discuter de cet élément sonore avec un groupe de parents. Même le directeur du centre social est venu répondre aux clichés entendus sur les jeunes, notamment sur le fait qu’ils sont « fatigués de naissance » : en l’expliquant par la croissance, les changements de rythme. Ce podcast répondait à une visée plus globale : des rencontres, permettant de soulever des problématiques, et de voir la façon dont on y répond.
« À vos micros a déclenché cette envie d’aller plus loin, car le projet est très bien, mais ponctuel et éphémère », regrette Léo qui aurait souhaité une plus large diffusion. Ce podcast a pourtant servi un an après sa réalisation, grâce à la webradio Ondes Maritimes. Ricochet sonore et le Garage moderne ont réalisé dix heures de direct, dont une dédiée à la thématique de la jeunesse. Pierre, cofondateur de l’association, aimerait « qu’Ondes Maritimes devienne une radio de quartier » et pense aujourd’hui à des ateliers moins musicaux.
Léo retient qu’il y a « des jeunesses, multiples et diverses », selon son origine sociale, la façon dont on grandit, et même son genre. « Parfois, ça va loin dans les violences quotidiennes, de deal ou autre qui dépassent le quartier. Et que propose-t-on aux différentes jeunesses en réponse à ces problématiques ? » Le centre social pourrait être une de ces réponses, s’il avait plus de moyens. Cette structure a au moins le mérite de « proposer un espace à certains jeunes qui ne voulaient pas rentrer dans certaines dynamiques, et aux filles un espace où elles se sentent en sécurité », selon Léo. Plus tard, Amandine aimerait justement agir en tant qu’éducatrice spécialisée, « pour faire bouger les mentalités dans le social ». En se remémorant « À vos micros » deux ans après, la lycéenne trouve la démarche plutôt réussie : « On voulait montrer que ce sont vraiment des préjugés, qu’on fait des choses, que ce soit du partage ». Contrairement aux propos recueillis dans ce podcast, les jeunes « agissent sur leur avenir, appuie Amandine. Sur le climat ou les questions de féminisme, de la sexualité… On avance, on démonte les tabous, donc je trouve qu’on est engagés. »