Au lycée Nicolas Brémontier, les élèves de 2e année de CAP paysagiste-jardinier se sont prêtés à un exercice particulier avec l’association landaise dédiée au numérique La Smalah. En mars 2020, ils ont réalisé un court reportage sur l’initiative de tri « l’écologie en mouvement » dans leur lycée. Avec les images de ce reportage, ils ont ensuite réalisé une vidéo « complotiste ». Une façon de les éduquer aux images, mais aussi aux « fake news », dont la progression s’accroît sur les réseaux sociaux.
« Dans le reportage, on peut faire dire n’importe quoi aux images, » témoigne Jérémy Certain, élève en 2e année de CAP jardinier-paysagisme au lycée Nicolas Brémontier de Mont-de-Marsan. Il a participé à un atelier pensé par sa professeure-documentaliste, Corinne Lambert, qui assure les cours d’éducation aux médias dans cet établissement. Cette fois, elle a voulu essayer un nouvel exercice avec les huit jeunes de la classe : réaliser leur propre reportage. Elle s’est donc accordée avec l’association La Smalah, dédiée au numérique, pour que le formateur Vincent Péchaud anime cet atelier. Le cofondateur de cette association, qui regroupe une quarantaine de bénévoles et des centaines de membres actifs, est donc intervenu au lycée montois dans le cadre de son programme d’éducation en milieu scolaire.
Le premier reportage de quatre minutes évoque une initiative lancée dans leur établissement qui consiste à réduire les poubelles noires par le compost et le recyclage : « Notre métier, ce sont les espaces verts, donc ça nous a paru logique de parler du projet de tri “l’écologie en mouvement”, sur lequel on était », explique l’élève.
Cet exercice a aussi été l’occasion pour eux de s’éduquer aux fake news, comme le détaille Jérémy Certain : « On a regardé tous les rushes qu’on avait, et on a pu faire un scénario qui était totalement faux avec. » Le lycéen de 17 ans a filmé et écrit le scénario du faux reportage.
Les coulisses des reportages et du montage
Les deux sujets ont été bouclés le 12 mars 2020. Après une conférence de rédaction, un tournage et des montages, le reportage détaillant le fonctionnement du tri au lycée montois voit le jour. Puis, en reprenant presque les mêmes images, la classe a monté une vidéo complotiste qui laisse entendre que quelque chose de louche se passe dans les coulisses du self. Des vapeurs toxiques dans la cuisine ? Une plaque tournante de produits euphorisants ?
Les élèves se rendent compte qu’il faut faire des choix, et qu’il n’y a pas deux reportages pareils sur le même sujet
Corinne Lambert, qui se charge de l’éducation aux médias dans ce lycée, explique s’être inspirée de l’exercice du journaliste Thomas Sotto dans une école de banlieue parisienne. Chaque année, elle le montre aux élèves. Cette fois, elle s’est accordée avec Vincent Péchaud de La Smalah pour faire leurs deux scénarios sur un total de deux jours. « En faisant tout ce qu’on vient de produire, les élèves se rendent compte qu’il faut faire des choix, et qu’il n’y a pas deux reportages pareil sur le même sujet, » éclaire la professeure.
Vincent Péchaud, cofondateur de La Smalah, détaille les ingrédients aboutissant à un reportage complotiste : « On leur explique que c’est parce que ces fake news font appel à nos émotions très primaires que le message s’installe et qu’on a envie de le relayer. Il y a des effets de réalisation qui font passer ces émotions. On l’a vu avec la musique, le montage. Mais on aurait pu aller plus loin. »
Se méfier des fake news
Tout a été modifié pour aboutir à cette vidéo 100 % fake. D’abord, la musique dont les violons donnent le ton dramatique. Une voix off qui souligne des « comportements troubles », et affirme avoir des révélations. Mais aussi des questions piège, comme « que pensez-vous du réchauffement climatique ? », pour faire douter les interviewés. Une belle recette pour déformer complètement le propos initial.
Vincent Péchaud retient « l’enthousiasme des jeunes ». Cet exercice a permis « de montrer le langage grammatical à l’œuvre derrière, que l’on peut appliquer à n’importe quel objet filmique ». Le cofondateur de La Smalah développe alors qu’« il n’y a rien de neutre. Nous expliquons pourquoi l’objectivité n’existe pas, mais que les journalistes professionnels sont plus dignes de confiance que quelqu’un qui serait anonyme. »
« Je suis quelqu’un qui n’est pas vraiment sur les infos, mais qui regarde sur les réseaux sociaux. Maintenant, je fais un peu plus attention à ce que je vois, » atteste le lycéen Jérémy Certain. Depuis, il a changé sa vision de l’information : « Après avoir fait ces deux reportages, je me dis que c’est tellement facile de montrer des choses fausses juste avec un peu de montage. C’est très simple à manipuler. »
« Ça peut être contre-productif »
Le formateur Vincent Péchaud pointe tout de même le danger des algorithmes sur les réseaux sociaux, où beaucoup de jeunes, comme Jérémy, se renseignent : « En fin de compte, ces fake news ou théories arrivent toujours à semer une graine pour qu’on aille creuser un peu plus, et de fil en aiguille, on se met à vraiment croire ça, parce qu’avec les recommandations ou autres, on est tombé dans une sphère informationnelle dont il est difficile de sortir. »
« Les élèves sont de plus en plus informés sur la question. Il y a quelques années, ils ne savaient pas vraiment ce que c’était », observe la professeure Corinne Lambert. En effet, une étude du cabinet de conseil Heiderich a montré que de janvier à septembre 2019, 45 millions de tweets ont été publiés sur les fake news ; 30 % de plus qu’en 2018. Plusieurs sites d’information ont lancé leur rubrique de fact-checking, comme Checknews pour Libération en 2017, ou AFP Factuel pour la grande agence de presse nationale.
Les former sur les fake news, c’est bien, mais ça peut générer une méfiance générale vis-à-vis de tous les médias
La documentaliste du lycée souligne qu’il y a une balance à faire dans cette prévention : « Ça peut être contre-productif : les former sur les fake news, c’est bien, mais ça peut générer une méfiance générale vis-à-vis de tous les médias ». En quelques années, elle a remarqué du changement dans son enseignement : « Avant, les élèves découvraient. Maintenant, c’est presque l’inverse : on doit presque les rassurer sur le fait qu’ils peuvent croire les médias. Parfois, j’arrive avec mon cours et ils renchérissent immédiatement en disant : “tout est faux”. »
Elle espérait que les élèves ayant participé à cet atelier puissent former les autres lycéens sur le sujet des fake news. Manque de chance, la crise sanitaire a empêché la tenue de cet exercice. Malgré tout, Jérémy Certain témoigne de l’utilité de ce travail : « Il y avait une bonne cohésion de groupe. C’était un super projet, qui peut servir à d’autres personnes. »