L’association Code Chaplin a créé un jeu d’éducation aux médias pour les jeunes en décrochage. Avec des personnages fictifs comme le Smart Faune ou Pandi Pandab, les adolescents doivent écrire des articles de faits divers afin d’en faire un magazine. En tenant compte des contraintes éditoriales, le jeu Fées Divers éduque à la diffusion de l’information tout en s’amusant.
Le vlogger Smart Faune s’immisce chez les peuples autochtones, la Fée’Stive assassinée, la nouvelle mode de Pandi Pandab… En une semaine, six élèves en décrochage scolaire ont rendu compte des actualités d’un monde parallèle, le Pays des Merveilles, dans le magazine des Fées Divers de cinq pages.
Cécilia Bentaieb, créatrice de l’association Code Chaplin, a elle-même été en situation de décrochage scolaire : « Ce qui m’a fait tenir, c’était ma curiosité pour l’actualité. Elle me poussait à vouloir comprendre le monde. Je séchais la moitié de la semaine, mais j’allais acheter des hors-séries, j’allais à la bibliothèque… Ça m’a permis de me rendre compte qu’on pouvait ne pas s’adapter au lycée, mais avoir quand même envie d’apprendre. »
Créée en 2018, l’association Code Chaplin propose des ateliers de mémorisation et de remotivation autour de la science de l’information. « On ne va pas travailler l’orientation, mais faire par exemple des ateliers sur la mémoire pour reprendre confiance. On a fait aussi un atelier pour se projeter dans l’avenir du monde. L’idée, c’est qu’ils se sentent concernés par la société et légitimes. » Des élèves du Lycée bordelais Saint-Louis et une personne en service civique ont donc créé quatre histoires sous forme d’interviews ou de décryptage.
Dans la rédaction des Fées divers
L’association intervient auprès de jeunes en décrochage, ou qui cherchent leur orientation professionnelle. « L’objectif, c’est de proposer des jeux et des temps plus classiques sur différents thèmes de l’éducation aux médias : la désinformation, les algorithmes, etc. Et en parallèle, on travaille l’écriture pour créer ce journal imaginaire », détaille Cécilia Bentaieb.
Nous sommes proches de l’imaginaire : les cartes que l’on utilise sont des personnages inspirés de contes, de la mythologie, de la culture populaire
Elle a créé un jeu de cartes autour de personnages et d’actions imaginaires, distribuées à chaque participant en début d’atelier. Ils devront alors rédiger un article avec les contraintes tirées, pour relater les histoires de ce « Pays des Merveilles ». « Nous sommes proches de l’imaginaire : les cartes que l’on utilise sont des personnages inspirés de contes, de la mythologie, de la culture populaire donc c’était plus simple de se projeter dans ce monde aussi inspiré de l’enfance. Cela permet de créer un support pour détourner le réel », justifie la créatrice de l’association. Ainsi, Pandi Pandab, ce mammifère portant des lunettes disco et une chaîne dorée, emprunte son signe distinctif « dab » à de grands sportifs. Le Smart Faune, bonnet jaune et lunettes rectangulaires, reste suspendu à son téléphone pour poster des vidéos.
Le jeu balaye toutes les grandes rubriques d’un journal classique pour apprendre diverses techniques d’écriture : « Dans la rubrique culture, nous rencontrons un artiste ou décrivons une œuvre, donc nous travaillons souvent l’interview. » Les cartes « courrier du cœur », « faits divers », « politique », « voyage », « rubrique funéraire » ou « sport » permettent de travailler d’autres styles, quand « le coin des annonces improbables » aborde le modèle économique des médias : « C’est devenu une rubrique un peu à part pour les jeunes qui ont terminé avant les autres. Ils peuvent alors créer les publicités du Pays des merveilles. »
« Utiliser la fiction pour interroger le réel »
« Le jeu est encore amené à évoluer », avertit Cécilia Bentaieb. Elle aimerait tenir des conférences de rédaction, pour mieux entrevoir le fonctionnement des médias : « Dès que tout le monde a rédigé son article, l’un d’entre eux serait chef de rédaction et ils devraient se mettre d’accord sur la mise en page du journal. » Pourrait intervenir une nouvelle contrainte : « actionnaire », qui obligerait le rédacteur en chef à orienter le débat ou prioriser une pub ou un article. À long terme, ce jeu deviendra une mallette pédagogique que pourront utiliser des professionnels, accompagnés par Code Chaplin.
Le jeu n’a pas que vocation à découvrir le métier de journaliste, mais d’« utiliser la fiction pour interroger le réel, faire en sorte que les jeunes puissent exprimer un contenu sur le monde, prendre goût à écrire », nuance Cécilia Bentaieb. Fées Divers n’est alors qu’un fil rouge pour comprendre les principes des médias, qui révèle les vécus et centres d’intérêt de ceux qui y jouent.
Pour cette session de juillet 2020, l’atelier se faisait essentiellement avec des allophones. Le groupe a dessiné les contours de chaque article, « comme pour Pandi Pandab, dont nous avons travaillé la biographie et la structure d’une interview, en imaginant les questions que nous lui poserions ».
L’article concernant Smart Faune a été pensé par Bérangère, une jeune en service civique, se souvient Cécilia Bentaieb : « Elle a eu la carte du personnage Smart Faune et la carte “rubrique vlog”. Et elle a créé son univers, en parlant du tourisme de masse. » Les sujets restent très libres, mais révèlent les centres d’intérêt des jeunes participants. En pensant une « société imaginaire, indirectement, ils vont parler de l’actualité en se posant des questions sur l’identité des personnages ».