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Mardi 6 octobre 2020
par Charlene Rautenberg
Charlene Rautenberg
Après avoir quitté sa ville natale Berlin, la passionnée de langues s'est lancée dans le monde journalistique français. Derrière la caméra et avec le stylo dans la main, elle découvre les nombreuses associations et initiatives bordelaises, comme sa vie culturelle et sportive.

Le consentement peut paraître simple : oui, c’est oui et non, c’est non. La doctorante en sociologie Alexia Boucherie est l’autrice de « Troubles dans le consentement : du désir partagé au viol, ouvrir la boîte noire des relations sexuelles ». Elle démontre que dans notre société, une sexualité vraiment désirée n’est pas toujours évidente. Lors de son intervention au festival de l’Université Populaire de Bordeaux, elle questionne nos relations sexuelles avec les normes et les idées reçues qui perdurent malgré la suppression du « devoir conjugal ».

Alexia Boucherie tient la conférence « “oui c’est oui”, “non c’est non”, mais en réalité ça se passe comment le consentement », le jeudi 8 octobre pour le festival de l’Université Populaire de Bordeaux.

Dans votre conférence, vous allez parler du consentement. Un sujet plus complexe que simplement « oui » ou « non ».

Au cours de mes recherches, je me suis rendu compte que l’expression que nous considérons que dire « oui » signifie que nous désirons la relation sexuelle. En réalité, nous pouvons dire oui, accepter la relation sexuelle et donc à priori consentir, mais pour plein d’autres raisons qu’un désir sexuel pour l’autre personne.

J’essaie d’explorer les différentes raisons pour lesquelles nous acceptons une relation sexuelle et de montrer aussi les rapports de pouvoir qui entrent en jeu. Pour l’instant je me suis concentrée sur les rapports de genre.

Est-ce que le féminisme vous aide à mieux comprendre ces rapports de genre ?

Oui, tout à fait. Mes livres portent vraiment sur les rapports de genre. Ils mettent en lumière comment notre façon de consentir est genrée. Le consentement appris aux hommes va être de ne pas forcer quelqu’un ; les femmes vont plutôt l’associer au droit de dire non. Cela crée une approche différenciée, à laquelle se rajoutent les rapports de genre.

Par exemple dans un couple hétérosexuel il y a souvent l’idée que l’homme a plus de besoins sexuels : c’est pourquoi la femme doit se forcer un peu pour le satisfaire — sinon il va voir ailleurs ou la relation se termine, parce qu’une relation sans sexualité n’est pas saine.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler sur ce sujet ?

Au départ, je me suis plutôt intéressée au viol. En travaillant sur ce sujet, je me suis rendu compte que la question du consentement était particulièrement présente. Dans la loi française, le consentement n’est pas décrit, nous savons seulement ce qui peut le forcer. Tant qu’il n’y a pas des gestes de menace, le consentement est considéré comme donné de façon libre et éclairée.

Je me demandais pourquoi nous ne sommes pas capables d’identifier le consentement autrement que comme étant l’opposé du viol. Et pourquoi entre les deux, nous ne savons pas vraiment ce qui se passe.

Dans votre travail vous parlez de « zones grises ». C’est quoi exactement ?

Je les ai catégorisées comme étant des relations sexuelles acceptées et proposées sans contrainte explicite — donc à priori consenties —, mais non désirées. Je me suis intéressée à tous les mécanismes où, en absence de contraintes, les personnes se forcent à avoir des relations sexuelles. Par exemple avec des idées comme « cela me fait plaisir de lui faire plaisir » ou « ce n’est pas si grave que cela, donc je vais le faire ».

Mais officiellement, le devoir conjugal n’existe plus.

Dans mes recherches j’essaie de comprendre pourquoi les personnes perpétuent un comportement qui n’est plus légalement obligatoire. D’un point de vue sociologique, ces normes demeurent. Elles sont hétéronormées et alimentent l’idée que dans un couple, il y a de la sexualité. Nous pouvons trouver cette idée dans des magazines, du genre « boostez votre sexualité pour rallumer la flamme de votre couple ». Dès qu’il y a ce que nous appelons « une dysfonction sexuelle », c’est-à-dire un partenaire qui ne désire plus l’autre, nous allons forcément supposer qu’il y a un problème.

Est-ce qu’il y a des différences entre les relations routinières et celles qui sont plus sporadiques ?

Dans des couples établis, il y a souvent l’idée de devoir entretenir la sexualité. Il faut avoir une performance sexuelle qualitative et quantitative — si nous ne satisfaisons pas les besoins sexuels de l’autre personne, nous risquons de la perdre. Dans des relations routinières, le consentement a tendance à être moins demandé parce que nous connaissons l’autre personne. Il y a une certaine personnalisation dans la manière de consentir : dans mes entretiens les personnes m’ont dit que dans leur couple ils adaptaient leurs gestes de consentement. Une personne me disait par exemple : « j’embrasse mon partenaire d’une certaine manière pour lui dire que j’ai envie de lui ».

Dans vos recherches, est-ce que vous avez aussi parlé à des hommes qui ne pouvaient pas dire « non » ?

J’ai eu des récits d’hommes qui me disaient qu’ils refusaient rarement des relations sexuelles. Selon mon interprétation cela dérive de cette norme selon laquelle les hommes auraient toujours envie de sexe. Elle est tellement forte que les hommes l’ont intériorisée et se posent comme tabou de refuser le rapport, parce que cela questionnerait leur virilité. Il y avait des témoignages d’hommes dont la partenaire leur avait sauté dessus et une fois pris dans l’action, ils se laissaient faire.

Pour travailler sur ces problématiques, vous proposez des ateliers. Pouvez-vous en dire plus ?

Ils se basent sur l’éducation populaire : une grande partie de ces ateliers est un débat mouvant où je donne des affirmations sur le consentement. Les participants doivent se positionner selon s’ils sont d’accord ou pas avec ces affirmations, puis nous en discutons. C’est un espace où les personnes peuvent échanger sur leur expérience du consentement.

L’un des buts de ces ateliers est de faire prendre conscience aux personnes de toutes les normes qui orientent la sexualité et d’échanger ensemble sur le moyen de produire un consentement véritablement désiré. Nous parlons également des outils que nous pouvons mettre en place pour refuser une relation sexuelle sans nous sentir coupables.

J’essaie également de faire réfléchir les personnes sur le fait qu’elles-mêmes ont pu forcer quelqu’un ou insister pour avoir du sexe. L’idée est de déconstruire tous ces stéréotypes autour d’une sexualité où nous avons le droit d’insister, parce que cela marche aussi de faire céder l’autre.

Un de vos ateliers porte le titre « post-porn, BDSM et sexualités queer comme ressources pour sortir des zones grises de la sexualité ».

J’ai participé à une table ronde avec une autre chercheuse et une personne qui pratiquait le BDSM, ce qui était très éclairant notamment sur la question du consentement. Dans ces types de pratiques, les actes sexuels sont prononcés en amont et les participants consentent à chaque action.

Même s’il existe du viol dans le milieu BDSM, le contrat est normalement de respecter les limites décidées avant la séance et de mettre en place un safeword par exemple qui « cadre » la relation.

Dans ce cas nous pouvons parler d’un consentement libre et éclairé parce que les personnes consentent à l’avance ce qui va se passer. Ce qui n’est pas le cas dans les relations sexuelles dites « ordinaires », où nous allons consentir à une relation sexuelle, mais concrètement nous ne savons pas ce qui va se passer durant cette relation.

Pouvons-nous intégrer ces principes dans les relations sexuelles ordinaires ?

Quand il y a des doutes sur le consentement de l’autre, nous pouvons creuser la question : demander à la personne si elle est d’accord avec la relation sexuelle pour avoir la certitude que nos actes ne seront pas néfastes pour elle. Nous pouvons également essayer de sécuriser un espace où nous pouvons parler de nos envies, de nos limites, des expériences passées, de ce que nous pouvons expérimenter ensemble ou pas. L’idée est de considérer une relation sexuelle comme une pratique qui se fait à deux et qui doit être en accord avec chaque personne qui décide d’y participer.

Cela suppose un travail sur soi-même et sur ses besoins.

Oui, le but est d’essayer de nous rendre compte de nous-mêmes, d’être au clair avec nos envies et d’oser poser nos limites. Parfois c’est compliqué de savoir ce que nous voulons réellement et d’assumer notre sexualité, parce qu’il y a beaucoup de normes qui nous entourent. L’idée est aussi d’essayer de dédiaboliser le refus de la sexualité et de réfléchir à comment nous rendons nous-mêmes possibles le refus d’une personne. C’est-à-dire de lui laisser le choix, de la rassurer sur le fait que si elle refuse, cela ne va pas être la fin du monde et que nous n’allons pas la quitter.

De votre avis, est-ce que la médiatisation de l’Affaire Weinstein et du mouvement #metoo ont fait avancer la question du consentement ?

Dans ces affaires nous restons sur les violences sexuelles, mais nous sommes quand même plus sensibles sur la question du consentement. En même temps, j’ai l’impression que nous sommes un peu dépourvus par rapport à ce sujet parce que nous avons l’habitude de l’analyser sous l’angle des violences sexuelles justement. Le rappeur Roméo Elvis a relancé le débat public sur le consentement : après avoir été accusé d’agression sexuelle par une jeune femme, il s’est exprimé en disant qu’effectivement, il aurait touché le corps de cette personne dont il supposait l’envie, avant de se rendre compte que ce n’était pas le cas.

Nous sommes vraiment sur une question de consentement puisqu’à priori, dans sa manière de raconter, il n’y avait pas de contraintes ni d’usage de la force de sa part. Cela interroge sur comment nous produisons le consentement, comment nous l’interprétons et comment nous pouvons nous tromper sur les gestes d’une autre personne. Ces questions sont difficiles à saisir avec les outils dont on dispose actuellement.

Cela veut dire que le consentement, c’est aussi une interprétation de l’autre ?

Oui exactement. C’est facile de se dire « je pensais que la personne en avait envie ». Sur les questions du consentement, si nous évacuons les signes de violence, nous sommes dans des situations plus complexes où entrent en jeu l’interprétation du corps de l’autre et la manière aussi dont on apprend à interpréter les gestes qui doivent initier du consentement ou du non-consentement. En ce moment j’essaie de comprendre comment l’interprétation du consentement de l’autre se fait. Pour l’instant je n’ai pas encore de réponse.

Est-ce qu’on aurait besoin d’une autre éducation sexuelle ?

L’éducation au consentement n’est pas encore systématique puisque l’éducation à la sexualité est faite selon les personnes intervenantes : elles choisissent les sujets et la manière dont ils sont traités. Parfois, ces intervenants n’ont pas de formation en éducation sexuelle et la question du consentement peut être transmise de manière hétéronormée.

Il peut y avoir des conversations qui n’aident pas du tout, du genre : « Attention, les garçons, vous avez peut-être des besoins sexuels, mais vous devez vous freiner » et les filles vont entendre des phrases comme « les garçons ont des besoins, donc faites attention à votre comportement ». La question est de savoir comment réapprendre le consentement ou comment déconstruire le consentement pour proposer une éducation qui soit plus adaptée. Pour ma part, j’opte plutôt pour une éducation féministe à la sexualité.

Quels aspects du consentement voulez-vous encore creuser dans vos travaux futurs ?

En ce moment je travaille sur une tranche d’âge de 18-25 ans, j’aimerais bien voir comment le consentement peut se passer avec les autres groupes d’âge. Je m’interroge également sur comment le consentement a évolué de manière générationnelle et culturelle. Dans ma thèse j’essaie aussi de croiser les rapports de classe et de sexe. De même, je regarde la variable de l’orientation sexuelle. Sur les questions de racialisation, j’aimerais voir si c’est pareil de consentir en tant que femme noire de classe supérieure que lorsqu’il s’agit d’une femme blanche d’un milieu populaire par exemple.

Charlene Rautenberg
Après avoir quitté sa ville natale Berlin, la passionnée de langues s'est lancée dans le monde journalistique français. Derrière la caméra et avec le stylo dans la main, elle découvre les nombreuses associations et initiatives bordelaises, comme sa vie culturelle et sportive.
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