Épisode 1
8 minutes de lecture
Mercredi 31 octobre 2018
par Gabriel TAÏEB
Gabriel TAÏEB
Jeune journaliste pigiste et rédacteur web, je travaille notamment pour Objectif Méditerranée, les Mots de Mai et le Journal du Dimanche. Avant cela, j'ai aussi pu collaborer avec Radio Campus Bordeaux et Bordeaux Gazette. Travaillant sur des sujets très divers, je m'intéresse particulièrement aux domaines de la santé, de l'autoritarisme et de la culture culinaire.

Tout au long de leurs vies, la gynécologie accompagne les femmes. Mais que faire quand celle-ci nie leurs choix individuels ? Stérilisation, IVG, examens routiniers… Entre perception des autres et droit à disposer de son corps, aller chez le « gynéco » n’est jamais anodin. Pour échanger et informer, des femmes ont souhaité partager leurs expériences avec nous.

« … donc j’ai rencontré le chirurgien qui allait me faire l’intervention. Il m’a donné toutes les informations, tous les risques encourus. À la fin, il m’a donné un formulaire à faire signer. Une autorisation de la part de mon mari pour que je me fasse ligaturer les trompes. Je me suis dit “mais où est ce qu’on est ? Je n’ai pas à avoir de permission pour ça.” Ça m’a paru vraiment intrusif dans ma vie de femme. C’est mon corps, j’en fais ce que je veux. »

La discussion a commencé au cours d’un dîner de famille. Nous parlions de mes projets d’écriture pour Far Ouest. « En ce moment, je n’ai pas de sujets en tête… J’aimerais bien continuer sur la santé, mais en sortant un peu de ce que je connais. » Gwen me raconte brièvement son anecdote, en me disant qu’il y a sûrement beaucoup de choses à écrire sur la santé des femmes. C’est vrai que dernièrement, beaucoup d’articles circulent sur l’épisiotomie, l’ostéoporose, et d’autres sujets aux noms compliqués qui touchent directement au domaine gynécologique et obstétrique. Certains médias féministes essayent d’alerter depuis de nombreuses années sur ces thématiques, mais il faut croire que la santé féminine a dû attendre longtemps avant d’être considérée comme un sujet important de discussion.

Le sujet a permis d’ouvrir une discussion de plus d’une heure sur la contraception, les violences gynécologiques, les expériences personnelles…

Je dois avouer que moi-même, je ne me suis jamais vraiment penché dessus. Considérant peut-être que la médecine fait son travail, et qu’il n’y a pas vraiment de questions à poser. Ou restant trop centré sur ma propre expérience d’homme. Mais l’histoire de Gwen m’interroge. Est-ce normal pour un médecin de demander un accord marital aujourd’hui ? À quel instant le choix personnel est-il nié ? En juin 2018 le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCE) publie en juin un long rapport sur « Les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical ». Le document veut être l’écho des mouvements #PayeTonUtérus et #PayeTonGynéco, ainsi que des différentes affaires révélées ces dernières années.

Le HCE se veut très clair sur la question : l’ampleur des récits atteste du fait qu’il ne s’agit pas de faits isolés, mais bien d’un phénomène généralisé et qu’il faut réagir. Dans sa vie, une Française ira en moyenne 50 fois chez le gynécologue, c’est dire si le problème est de taille. Mais si la prise de conscience a déjà eu lieu et qu’en plus les instances gouvernementales sont à l’action, c’est que tout a été dit, non ?

Non ?

Histoires de dires

Je garde le sujet dans un coin de ma tête. Parfois, il revient lors de discussions avec des amies. J’aimerais essayer d’en savoir plus sur la pratique et les expériences gynécologiques, mais j’ai peur de passer pour un ignare qui découvre tout un monde après tout le monde. Qui a attendu que les grands médias en parlent pour vraiment se pencher dessus. À ma surprise, mes questions sont au contraire reçues avec beaucoup d’intérêt. Autour de moi, beaucoup de femmes souhaitent partager leurs témoignages et leurs visions des choses. Durant un week-end entre amis, le sujet a permis d’ouvrir une discussion de plus d’une heure sur la contraception, les violences gynécologiques, les expériences personnelles… Je suis alors convaincu qu’il y a un réel besoin de parler.

Mais pourquoi, s’il y a déjà une visibilité sur ces sujets ? Une amie m’explique qu’il reste encore beaucoup à faire. Que les témoignages-chocs permettent d’évoquer des problématiques, mais ne changent pas grand-chose parce qu’on se dit toujours « c’est exceptionnel, ça ne peut pas m’arriver ». Pour elle, il faudrait ouvrir une discussion plus large et parler des expériences communes qui, sans être nécessairement traumatisantes, peuvent permettre de remettre en question certaines pratiques. Et surtout, informer et échanger, encore et toujours. Parce que chez les femmes comme chez les hommes, la gynécologie et la sexualité restent des thèmes souvent tus. Ce qui peut avoir de nombreuses conséquences sur nos conceptions et nos habitudes.

Je décide alors de revenir sur mes pas pour mieux avancer, et de retourner vers Gwen pour qu’elle me raconte son histoire.

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« Je trouve que c’est un retour en arrière aberrant », Gwen — Illustration : Manon Jousse

« Je m’appelle Gwenaëlle. J’ai 49 ans, je suis infirmière et j’ai deux filles. Après mes deux accouchements, sachant qu’il y avait déjà deux grands garçons dans le foyer, on s’est dit que ça suffisait. À partir de là, j’ai eu envie d’avoir recours à une contraception définitive. » Pensant d’abord à se faire ligaturer les trompes, elle s’est finalement dirigée vers la pose d’implants Essure, sur le conseil de son médecin gynécologue. La suite, c’est donc cette demande d’autorisation du mari pour réaliser l’opération.

« Je lui avais demandé à l’époque comment il pouvait m’imposer ça. Et il m’a dit que si ça n’était pas fait, l’intervention n’aurait pas lieu. » Gwen avance l’hypothèse que certains chirurgiens font cela pour se protéger et se décharger de certaines responsabilités. Peuvent-ils le faire ? Oui et non. Le ministère de la Santé se veut très clair sur ce point dans son livret d’information Stérilisation à visée contraceptive : « La loi confère à la seule personne concernée par l’intervention, la responsabilité du choix d’une stérilisation. Il lui est possible cependant d’associer son (sa) partenaire à sa réflexion. Toutefois, seul le consentement de l’intéressé(e) sera recueilli. » Cependant, la loi autorise aussi les praticiens à refuser des actes, sans avoir à se justifier, du moment qu’ils redirigent leurs patients vers un autre professionnel de santé.

« On a signé le papier, puisque de toute façon on voulait que l’intervention ait lieu et que tout était fait ouvertement. Mais j’ai pensé aux femmes qui n’ont peut-être pas envie de se manger des produits hormonaux durant toute leur vie, ou qui n’ont pas envie de retomber enceintes. Mais est-ce qu’ils vont vérifier la signature ? Elles peuvent faire un faux aussi. Mais la démarche m’a choqué. Je trouve que c’est un retour en arrière aberrant. » Selon Gwen, la démarche aurait pu être encore plus compliquée si elle n’était pas déjà mère. Pour une femme sans enfants et déterminée à le rester, l’accès à l’opération lui semble bien plus compliqué.

L’histoire de Gwen ne s’arrête pas là, mais j’y reviendrai plus tard.

Ni victimes ni muettes

Lors de mes entretiens, plusieurs femmes se sont demandé si leurs expériences valaient la peine d’être partagées. Elles les jugeaient « très communes », « pas si terribles » et ne se sentaient pas elles-mêmes « traumatisées », et surtout pas victimes. Pourtant, elles ont voulu en parler. Parce qu’elles souhaitent que le milieu gynécologique s’interroge. Elles souhaitent informer les autres femmes. Et désirent qu’on puisse en parler librement, sans avoir à se justifier ou se sentir mal à l’aise.

Je pense que mon expérience est plutôt commune. Mais c’est un sujet qui m’intéresse. Dans lequel je suis impliquée.

Je repense à la réflexion de mon amie sur les témoignages-chocs. Peut-être que les expériences spectaculaires sont à double tranchant. Elles renseignent sur des problématiques réelles et sont de bonnes portes d’entrée sur ces questions. Mais à côté, elles peuvent minimiser des expériences plus communes et encourager des femmes à ne pas parler de ce qui leur pose problème. Elles peuvent juger que « ce n’est pas si grave, en comparaison ». Après avoir lancé un appel à témoignages, j’ai pu notamment en discuter avec Julie.

Julie a presque trente ans. Après quelques échanges par mail, nous avons décidé de nous rencontrer pour discuter de son parcours gynécologique. Nous nous installons à un café et commençons à discuter. « J’ai plutôt plaisir à voir que les questions de rapport entre femmes et praticiens de la gynécologie commencent à sortir. Ça a mis du temps, et il y a plein de choses que j’aurais aimé savoir plus jeune. Mais en discutant encore aujourd’hui avec des amis, je trouve qu’il y a des choses qui ne circulent pas assez vite. J’ai moi-même vécu une IVG, et de nombreux rendez-vous avec des gynécologues. Cela me paraissait important de dire “voilà, je peux faire ça, je peux témoigner.” Je pense que mon expérience est plutôt commune. Mais c’est un sujet qui m’intéresse. Dans lequel je suis impliquée. »

Nous discutons alors de son IVG. Julie m’explique qu’elle n’aime pas vraiment en parler, parce qu’elle redoute d’être réduite à cela dans son discours, ou de subir une « espèce de compassion bizarre ». Pour elle, il faut dédramatiser le discours autour de l’avortement. Cela peut être une expérience douloureuse pour certaines femmes ou un soulagement, mais n’est pas nécessairement un « grand événement ». C’est avant tout une question de choix personnel.

« J’avais 19 ans, et je suis tombée enceinte après un oubli de pilule. Je ne me souviens pas avoir beaucoup réfléchi, pour moi il était clair qu’avorter était la démarche à suivre. Je suis passé au planning familial, puis j’ai été hospitalisée. Tu as tes règles de manière particulièrement abondante. Tu as juste l’impression de te vider, un peu. Comme ils ne te laissent pas sortir non accompagner, j’ai demandé à mon copain de l’époque de venir me chercher. Je me souviens avoir eu mal tout l’après-midi. Tu es faible pendant quelques jours.

D’ailleurs mon copain de l’époque m’avait fait une surprise le soir de l’opération en m’invitant à un concert avec tous ses potes. Il n’avait absolument pas compris que, sans que ce soit un drame, c’était quand même quelque chose. Je n’étais pas en forme. Du coup j’étais dans une espèce d’état de sidération, à souffrir en silence à un concert où je n’avais pas prévu de venir. Je pense que j’ai lâché le mec en question deux ou trois semaines après. Et puis toute cette histoire était finie. Je n’avais pas du tout l’impression d’avoir vécu quelque chose d’important. Je ne me suis jamais posé trop de questions ensuite. »

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Illustration : Manon Jousse

Ne plus faire de l’IVG un acte systématiquement choquant, c’est aussi la volonté d’Anne-Sophie, dont j’ai pu faire la connaissance. Ayant répondu à mon appel à témoignages, la femme de 30 ans s’est livrée à moi, notamment sur son IVG, et souhaitait partager son point de vue. « Il faut dédramatiser l’acte qui est souvent décrit comme “traumatisant”. Oui, ça peut l’être. Fondamentalement, je peux comprendre pour différentes raisons que ça peut être quelque chose de particulièrement désagréable à vivre. Pour autant, moi je fais partie de celles qui l’ont bien vécu. Voire même que ça a soulagé. Il faut sortir des discours culpabilisants. » Anne-Sophie n’a pourtant pas eu que de bonnes expériences avec la gynécologie, mais c’est une histoire que je réserve pour une prochaine fois.

Table ronde

Je rassemble mes notes et fais le tri dans ma tête. Gwen, Julie, Anne-Sophie et d’autres femmes ont encore beaucoup de choses à partager, mais il est impossible pour le moment d’assimiler et de retranscrire toutes les informations qui me parviennent. Autour de moi, je constate un vrai entrain à ouvrir la parole sur la santé féminine. Sur les forums et dans les conversations que j’ai pu intercepter, une question semble d’ailleurs revenir constamment, et éveiller les passions quand on parle santé féminine : « Et toi, tu utilises quoi comme contraception ? ». Une interrogation qui, comme je le verrai, est bien moins anodine.

Gabriel TAÏEB
Jeune journaliste pigiste et rédacteur web, je travaille notamment pour Objectif Méditerranée, les Mots de Mai et le Journal du Dimanche. Avant cela, j'ai aussi pu collaborer avec Radio Campus Bordeaux et Bordeaux Gazette. Travaillant sur des sujets très divers, je m'intéresse particulièrement aux domaines de la santé, de l'autoritarisme et de la culture culinaire.
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