Nikolas est bipolaire. Son compagnon Philippe, et sa soeur Chrystelle, tentent de l’accompagner tant bien que mal dans la maladie. Mais qui les accompagne, eux ? Tour à tour infirmier, confident, punching ball… Aujourd’hui, ils ne savent plus comment réagir face à la maladie.
N.B : Cet article a été réalisé en partenariat avec les étudiants de l’EFJ-Bordeaux.
Photo de couverture : Tanya Trofymchuk
La pièce à vivre est presque vide. L’appartement de Nikolas ne ressemble plus vraiment à ce que l’on avait vu lors de notre premier entretien avec lui. Durant cette première approche, Nikolas nous a beaucoup parlé de ses proches qui souffrent de ne pas avoir suffisamment été accompagnés depuis le diagnostic de sa bipolarité. Nikolas se fait suivre à l’hôpital Charles Perrens à Bordeaux. Chaque semaine, il passe du temps avec des psychiatres et des infirmières. Lorsque son cas était très critique, il a séjourné plusieurs mois dans une unité spécialisée pour les maladies de ce type.
Durant ces longs mois, sa sœur Chrystelle a essayé de s’informer sur la manière de se comporter avec un bipolaire, en vain. Philippe, lui, est allé à une réunion de l’association Psy’Hope. Il a également été suivi durant quelques semaines lors d’un programme d’éducation thérapeutique. Tous les deux nous ont confié leur volonté d’avoir un suivi continu parce qu’être un proche de bipolaire n’est pas facile tous les jours.
À deux endroits différents, nous avons rencontré ces deux personnes. Les plus importantes pour Nikolas. Tous les deux sont démunis face à une maladie qu’ils ne connaissent pas : la bipolarité. Ils ressentent un réel besoin d’accompagnement qu’ils n’arrivent pas à avoir, malgré une bataille quasi quotidienne pour se faire aider.
Comment avez-vous vécu le diagnostic de Nikolas ?
Philippe : J’ai été marqué par le manque d’accompagnement. Je suis allé voir un psychiatre pour essayer de comprendre. Il m’a expliqué à quoi servaient les médicaments, mais personne ne s’est jamais soucié de moi, de mes sentiments et de mon ressenti. J’ai également discuté avec l’infirmière, mais je n’ai rien appris de plus. On ne m’a pas dit comment ça allait se passer, ce qu’il fallait que je fasse, que je ne fasse pas. Lorsque Nikolas est revenu de l’hôpital, je ne savais pas quoi faire.
Je suis devenu son médecin, son infirmier, son psychologue… mais aussi son punching-ball.
Lors de la deuxième hospitalisation, j’ai reçu une éducation thérapeutique. Ils ont un programme pour aider les proches. J’ai eu une séance et le patient, en l’occurrence Nikolas, a entre 6 et 8 séances. À l’hôpital, on nous a donc expliqué la maladie, ce qui pouvait se passer. Cela nous permet de mieux réagir, mais cela reste faible. Tout cela reste très faible.
Si les docteurs m’avaient dit que je n’allais pas reconnaître mon copain durant les trois semaines qui suivent le traitement, j’aurais pu l’accepter. Cela a été traumatisant pour moi, et je ne savais pas à quoi m’attendre après tout cela. C’était un cocktail explosif.
Je passais constamment pour le méchant dans ces phases-là. Les médecins avaient beaucoup de restrictions, et il était très malade. Lorsqu’il est en crise, il n’est pas en état de travailler. C’est moi qui devais lui annoncer, et je passais donc pour la personne qui lui interdisait tout. C’était très difficile.
Qu’est-ce qui a changé dans votre rôle de compagnon ?
Je suis devenu son médecin, son infirmier, son psychologue… mais aussi son punching-ball. Le compagnon que je devais être s’est effacé et ce n’est pas normal. Si je l’avais su plus tôt peut-être aurais-je pris plus de recul pour mieux me protéger, et protéger notre couple.

Alors qu’il est dans un hôpital de jour, sa sœur, Chrystelle, nous a reçus dans l’appartement, presque vide, de Nikolas. Elle habite sur le Bassin d’Arcachon, et le voit donc moins souvent. Elle le regrette, aimerait l’aider, mais se sent impuissante face à cette maladie, et le changement qu’elle provoque chez son frère. Les larmes aux yeux, elle commence à nous parler.
Vous avez été reçue par l’hôpital Charles Perrens ?
Chrystelle : J’ai eu le psychiatre une seule fois au téléphone. De moi-même, j’avais rencontré une infirmière très sympathique avec laquelle j’avais discuté de Nikolas. Elle m’a expliqué les différentes phases, et les bases de la maladie.
J’ai déménagé il y a peu de temps. Suite à cela, Nikolas ne m’a plus parlé, sans explication. Je ne sais pas si cela est lié. Je me suis d’abord inquiétée, j’ai appelé tout le monde, j’ai cru qu’il avait eu un accident. Au final, il avait juste choisi de couper les ponts. Maintenant que nous nous sommes retrouvés, je n’ose pas trop lui poser la question. Il est difficile à suivre et peut avoir des réactions que je ne connais pas.
Comment vous sentez-vous ?
En ce moment, je n’ai pas le moral au beau fixe. J’ai repris la maladie de mon frère en pleine figure. Avant je savais comment il était, mais je ne le voyais plus beaucoup. Maintenant, je me pose plein de questions. Je me demande comment sera son avenir, comment va évoluer notre relation, etc. Il reste mon frère, mais ce ne sera jamais plus le même. Il faut que je fasse le deuil d’avant, que j’apprenne à vivre avec Nikolas et sa maladie.
C’est malheureux à dire, mais je ne vois pas d’avenir.
Il va aussi falloir que je me protège. J’ai trois enfants et un petit-fils, je suis soutenue, mais c’est vrai que si j’avais un peu d’aide médicale, cela serait vraiment bien. J’aimerais pouvoir discuter de ce que je ressens, avoir des conseils sur le comportement que j’ai avec mon frère. Je me pose beaucoup de questions que je ne me posais pas avant. C’est compliqué. J’ai l’impression de marcher sur une poutre et de pouvoir tomber à tout moment.
Vous n’avez plus l’impression d’être face à votre petit frère ?
Ce n’est plus mon petit frère, c’est la maladie qui parle. Il a toujours eu ce caractère changeant, mais moins prononcé. Certaines fois, vous auriez presque honte d’être en ville avec lui. Il m’appelle chaque jour, une dizaine de fois, pour me dire la même chose. Ce n’est pas toujours évident d’être patiente. Quelques fois, j’ai envie de lui dire « oui tu me la déjà dit ». Avant je disais cela avec mes mots à moi, mais je pense que je l’ai brusqué. Maintenant, je vais essayer d’une manière différente. Suivant ses actions, soit je le laisserai faire, soit je lui expliquerai délicatement. Je dois prendre des pincettes et cela me met mal à l’aise. J’ai l’impression qu’il y a une barrière entre nous. C’est la maladie, et je ne sais pas comment réagir.
Des solutions vous sont proposées ?
Je suis un peu perdue. C’est cela que je leur reproche. Les aidants savaient que Nikolas avait un copain, une sœur. J’allais le voir tous les jours à l’hôpital. Je pense qu’ils auraient dû venir me voir. J’ai presque harcelé tous les jours le psychiatre pour qu’il me parle. Il m’a répondu trois semaines plus tard. S’il m’avait reçue en m’expliquant le traitement, j’aurais été plus compréhensive. Mais je n’en savais rien. Si nous étions aidés, un meilleur accompagnement serait fait pour Nikolas également. C’est cela qui est ridicule. Cela vous tombe dessus et vous ne pouvez rien y faire.

Comment voyez-vous le futur ?
J’espère que ma relation avec Nikolas s’arrangera. Je ne pense pas qu’un jour je le retrouverai. J’en fais le deuil. Je vais tout faire pour retrouver une relation correcte avec mon frère, mais cela va être long. Il a trop changé. Même si nous allons vers une guérison totale, je pense qu’il ne sera plus jamais le même.
Mais même si sa maladie lui fait faire des choses qui ne lui ressemblent pas, désormais, je serai toujours derrière lui. En revanche, l’avenir pour lui, je ne le vois pas bien. C’est malheureux à dire, mais je ne vois pas d’avenir.