Épisode 6
6 minutes de lecture
Jeudi 13 juin 2019
par Gabriel TAÏEB
Gabriel TAÏEB
Jeune journaliste pigiste et rédacteur web, je travaille notamment pour Objectif Méditerranée, les Mots de Mai et le Journal du Dimanche. Avant cela, j'ai aussi pu collaborer avec Radio Campus Bordeaux et Bordeaux Gazette. Travaillant sur des sujets très divers, je m'intéresse particulièrement aux domaines de la santé, de l'autoritarisme et de la culture culinaire.

Coline Gineste est une ancienne doctorante en éthique du soin, autrice du mémoire de recherche et du projet de thèse « l’impact du sexisme sur la qualité des soins en gynécologie ». Pour compléter notre feuilleton Écartez-vous mesdames sur les pratiques gynécologiques, elle revient sur son travail et ses réflexions.

Lire le mémoire de Coline Gineste, master éthique du soin et recherche : « L’impact du sexisme sur la qualité des soins en gynécologie ».

DANS VOTRE MÉMOIRE DE RECHERCHE, VOUS AFFIRMEZ QUE LA CULTURE SOIGNANTE EST MARQUÉE PAR LE PATERNALISME. QU’ENTENDEZ-VOUS PAR « CULTURE SOIGNANTE » ?

Il existe une culture soignante comme il y a une culture française. Il s’agit du fondement de la pensée soignante, de son moule d’origine. Des comportements, des postures sociales et un langage particulier sont ainsi propres au corps soignant en général.

Pour la gynécologie, il existe une relation bien particulière entre pouvoir et savoir. Les pratiques gynécologiques et l’avancée des savoirs créent une certaine vision de la société, conduisant à des engagements politiques. À l’inverse, la politique influence et forme également ces pratiques pour poursuivre certains intérêts. Le pouvoir et le savoir sont interdépendants.

QUEL RÔLE JOUE LE CONTEXTE HISTORIQUE ET SOCIAL SUR LA PRATIQUE MÉDICALE ?

Il est courant de penser la médecine comme une science universelle et objective, alors qu’elle est un art. La science n’est qu’un outil, appliqué sur des individus via la médecine.

La science elle-même est contextuelle : les recherches peuvent être orientées par une volonté politique, comme la course à l’espace pendant la Guerre froide. En ce moment, beaucoup de thèses sur les cancers et l’écologie sont commandées. Il existe de nombreux écrits, très marqués par leurs contextes historiques, présentés comme des savoirs absolus, qui peuvent aujourd’hui être remis en question.

Et au vu de la faible représentation des femmes dans les grandes études scientifiques, il n’est pas surprenant qu’il y ait peu de recherches sur le corps féminin.

Il ne faut surtout pas leur donner de rôle public : elles sont trop instables psychologiquement et physiquement. 

Dans mon mémoire je donne l’exemple du Docteur Icard. Pédiatre, sans lien avec la gynécologie, il a eu de la compassion pour les femmes criminelles qui étaient punies très sévèrement par la justice de l’époque. En faisant des recherches, il a réussi à trouver des liens entre menstruations et problèmes psychiatriques.

Il s’est aperçu que certaines femmes avec des symptômes hystériques avaient commis des crimes pendant leurs menstruations. Il a donc établi un lien, basé sur quelques observations. Il en profite au passage pour glisser dans son livre que toutes les femmes devraient rester à la maison. Il ne faut surtout pas leur donner de rôle public : elles sont trop instables psychologiquement et physiquement.

Cet écrivain, sans aucune valeur scientifique, a reçu les honneurs : il a été publié partout en Europe. Si bien qu’en Angleterre, pendant longtemps, avoir ses règles au moment d’un crime pouvait être une circonstance atténuante. Ces écrits ont eu un impact énorme dans l’histoire. Encore aujourd’hui nous sommes imprégnés de cette pensée-là.

À l’inverse, beaucoup de femmes écrivaient des textes philosophiques, politiques, ou encore de la poésie. Ces textes ont été indexés ou brûlés ; ou alors ce sont directement les femmes qui ont été brûlées.

De nos jours, il est normal que les soignants aient encore des biais, il est difficile de s’en défaire. L’important est de les reconnaître et d’admettre que la médecine n’est pas une science absolue.

COMMENT CELA S’EST TRADUIT DANS LA MÉDECINE OU SPÉCIFIQUEMENT L’OBSTÉTRIQUE ?

Des représentations de femmes accouchant seules dans l’antiquité ont été retrouvées. Assez rapidement tout de même, la fonction de sage-femme est apparue. Ces femmes détenaient un certain savoir-faire, et surtout un rôle de soutien pour les femmes parturientes. Une affaire de femmes et même de pudeur. Un homme n’avait rien à faire dans la chambre d’une parturiente.

Il y a eu un renversement au XVIIe siècle. Louis XIV était en guerre à toutes les frontières, les soldats mouraient énormément. Les femmes étaient rachitiques à cause de la famine, elles avaient énormément de difficultés à mettre leurs enfants au monde ; quand elles réussissaient à mener à terme leur grossesse. Les accouchements étaient extrêmement difficiles et les enfants restaient souvent coincés au niveau du bassin des mères. Mais Louis XIV avait besoin de futurs soldats : les enfants devaient naître à tout prix.

On fait payer aux femmes le prix de leur sexualité.

La solution a été de solliciter les « barbiers-chirurgiens ». Il leur a été demandé d’aller dans les chambres des parturientes, mais sans considération pour elles : il fallait avant tout sauver l’enfant. Ils sciaient les bassins avec ce qu’ils avaient.

Les sages-femmes en salle d’accouchement perdaient du terrain par rapport aux barbiers : elles étaient assujetties aux hommes en face d’elles. Le pouvoir masculin a pris le pas sur le savoir féminin. Une relation historique entre la sage-femme et l’homme obstétricien s’est créée et a longtemps perduré.

VOUS ÉCRIVEZ : « LA GYNÉCOLOGIE, C’EST LA DISCIPLINE QUI PEUT CONFORTER L’ORDRE ÉTABLI OU RENVERSER SES FONDEMENTS, SELON LA DIRECTION QU’ELLE PREND ». QU’EST-CE QUE CELA SIGNIFIE POUR VOUS ?

L’ordre établi divise les individus en plusieurs catégories. La pensée sexiste étant très binaire, les deux principales catégories reconnues sont les hommes et les femmes. Cette société-là implique un rapport de domination.

La gynécologie, quant à elle, a permis l’accès à la pilule contraceptive et à l’avortement : des tournants énormes en faveur de la liberté des femmes. Dans le même temps, une grande culpabilisation s’est créée autour de la prescription de la pilule. Le discours sous-jacent est qu’il faut se soucier quotidiennement de sa sexualité. Si on veut prendre du plaisir, il faut avoir tous les jours à l’esprit le risque d’une grossesse. Si le travail n’est pas bien fait, vous n’êtes pas une personne responsable.

Il serait possible de faire une ordonnance d’un an, mais les soignants ne délivrent que des ordonnances de 3 mois. Il faut revenir, faire un compte-rendu de sa vie, de sa sexualité, et être examinée. On fait payer aux femmes le prix de leur sexualité. Ce prix, c’est le souci permanent.

Je ne suis absolument pas contre la pilule, elle convient très bien à beaucoup de personnes. Le but est d’avoir vraiment le choix, de ne rien imposer et surtout de ne pas cacher les autres possibilités.

La gynécologie peut être utilisée pour réprimer le corps des femmes. Elle peut diffuser des discours comme : « dès que tu auras un rapport sexuel, il faut absolument que tu voies un gynéco. Que tu te mettes nue sur une table. Que tu aies envie ou pas, que tu pleures ou pas, un gynécologue va te poser des questions sur ta vie privée et t’enfoncer des doigts dans le vagin sans t’expliquer pourquoi. »

Ou bien elle peut être géniale et dire : « au moindre problème que tu as, appelles ta sage-femme ou ton gynécologue si tu as des questions. Nous sommes là pour t’accompagner en cas une grossesse non désirée. Nous réglons ces problèmes avec toi et que tu sois bien dans ton corps et dans ta vie. »

QU’EST-CE QUE LE SEXISME BIENVEILLANT ?

Il s’agit de la posture adoptée pour contraindre ou stigmatiser des femmes, sous prétexte de les protéger ou de les aider. Par exemple lorsque toutes les jeunes filles qui ne sont pas encore sexuellement actives sont vaccinées contre le papillomavirus. Cette maladie sexuellement transmissible est pourtant très largement portée par des individus de sexe masculin, qui ne sont pas vaccinés. Ils n’en subissent pas les conséquences, mais le transmettent aux femmes.

Il faut toujours remettre en question les discours qui nous ont formés

Comme si le corps des hommes était sain, et le nôtre intrinsèquement malade. Le corps féminin est débilisé. Il aurait besoin d’être protégé, surveillé, parce que nous sommes sexuellement actives.

De nombreuses pratiques lors de l’examen doivent également être revues. Il faut toujours remettre en question les discours qui nous ont formés. Les praticiens doivent aussi se renseignent en continu et respecter les recommandations de la Haute Autorité de Santé.

Demander l’autorisation aux usagères — je préfère ce terme à celui de patiente — avant de procéder à quelque soin que ce soit, par exemple. Et les informer au mieux des risques, mais également des différentes pratiques possibles.

Enfin, nous pouvons considérer que le rôle des soignants est d’assurer la sécurité des femmes dans le cadre de la gynécologie et de l’obstétrique. Et donc de n’intervenir que pour informer, vérifier et intervenir en cas de besoin.

Il est vraiment nécessaire d’éduquer à la sexualité en toute transparence. En particulier pour les personnes du sexe féminin, quel que soit leur genre.

Gabriel TAÏEB
Jeune journaliste pigiste et rédacteur web, je travaille notamment pour Objectif Méditerranée, les Mots de Mai et le Journal du Dimanche. Avant cela, j'ai aussi pu collaborer avec Radio Campus Bordeaux et Bordeaux Gazette. Travaillant sur des sujets très divers, je m'intéresse particulièrement aux domaines de la santé, de l'autoritarisme et de la culture culinaire.
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