Aujourd’hui, on se demande si le masculin est vraiment neutre.
Cette newsletter a été envoyée aux inscrit·es le 22 novembre 2023.
Alors qu’Emmanuel Macron inaugurait la cité internationale de la langue française, le Sénat a adopté une proposition de loi de la droite visant à « protéger la langue française des dérives de l’écriture dite inclusive. » L’occasion de rappeler que « le masculin fait neutre » et que la langue française est immuable. Sauf que…
Dans cette newsletter, nous allons démêler le vrai du faux sur la féminisation de la langue française et vous donner quelques billes pour les débats houleux de la machine à café.
Éliane Viennot est professeuse émérite de littérature française de la Renaissance, historienne de la littérature, critique littéraire, autrice de Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin !
Elle est une experte de la langue française et notamment de l’écriture inclusive, un sujet qui ne cesse d’enflammer les débats. À tort ou à raison ? Nous l’avons rencontrée à Angoulême, pour lui faire visiter l’exposition « Femmes d’Angoulême« . Et aussi pour discuter de la langue française, bien sûr !
Grâce à Éliane Viennot, nous vous proposons un tour d’horizon en trois points de ce sujet bouillant.
On veut féminiser la langue française.
FAUX. La langue française a déjà été bien plus « féminisée » que ce que l’on pense. Par exemple, Éliane Viennot se dit « professeuse » et pas « professeur ». « Professeuse est un mot qui existe, mais dont on ne sait pas qu’il a existé, alors qu’il date d’il y a plusieurs siècles. Autrefois, nos ancêtres disaient professeuse, comme on dit coiffeuse ou chanteuse. »
On parle de « féminisation » de la langue française, mais c’est oublier qu’elle a d’abord été masculinisée. Éliane Viennot travaille « à ce que j’appelle des retrouvailles avec la langue française standard. Et ainsi, essayer de faire en sorte que les femmes soient nommées avec les noms qui leur conviennent. »
Nous avons rencontré Éliane Viennot dans les jardins de l’hôtel de ville d’Angoulême. On y trouve notamment une statue de Marguerite d’Angoulême. Elle était la sœur de François Ier, mais pas que. Elle écrit beaucoup de poésie, de théâtre et de nouvelles. Et au XVIe siècle, elle n’était pas la seule.
« Il y avait beaucoup de femmes de pouvoir, et notre vocabulaire s’est ainsi enrichi de nombreux mots féminins pour désigner leur fonction et leur profession. Les lettrés ont dû travailler pour les grandes dames. Ils trouvaient ça très chic, contrairement à nous, d’inventer de très beaux mots pour ces femmes. »
Aujourd’hui, la langue française prône le masculin comme neutre, mais cela n’a pas toujours été le cas. « La langue dont nos ancêtres ont hérité, qui vient du latin, était beaucoup moins sexiste que celle qu’on utilise aujourd’hui. Il y a eu plusieurs moments de masculinisation de la langue. »
On a effacé les femmes de la langue française.
VRAI. Avec Éliane Viennot, nous sommes allés aux archives municipales d’Angoulême. En 2017, les archives ont dévoilé une exposition sur les femmes d’Angoulême. Dans cette exposition, une cinquantaine de femmes oubliées ont littéralement été exhumées de l’histoire d’Angoulême. De quoi tordre le cou à l’idée reçue selon laquelle les femmes n’ont pas marqué l’histoire.
« Plusieurs phénomènes se sont passés. Le premier, sans doute, se situe au milieu du XVIIe siècle. Des femmes comme Madeleine de Scudéry connaissent de véritables succès en librairie. Cela déplaît énormément aux messieurs qui s’imaginent que les lettres, la parole publique, c’est leur domaine. » Ils commencent donc par condamner les mots comme autrice ou professeuse dans la sphère publique.
« Dans un deuxième temps, c’est la création de l’Académie française. Les lettrés vont normer la langue, rédiger le dictionnaire et ne pas y intégrer les mots qui désignent les femmes. Donc, on a l’impression, nous, en ouvrant ces dictionnaires, que nos ancêtres ne les ont jamais utilisés. »
En effaçant les femmes de la langue française, elles ont également été effacées de l’histoire : « À l’école, on apprend qu’il n’y a eu que des grands hommes. Mais cela est faux, surtout sous l’ancien régime. Les femmes ont eu énormément de pouvoir et notamment de pouvoir politique. On essaye aujourd’hui de les retrouver, de retrouver leur contribution à la culture française. »
Ce qui compte c’est la fonction, pas le mot.
FAUX. Il est tout aussi important d’entendre les mots qui désignent les femmes que de lire dans les manuels ce qu’elles ont accompli tout au long de l’histoire. « C’est évidemment très important pour que les petites filles et les femmes d’aujourd’hui puissent se projeter. Qu’elles sachent qu’elles ont derrière elles des centaines d’années avec des femmes qui ont eu des destins politiques absolument fabuleux. »
Après plus de 300 ans à effacer les femmes de la langue française, peut-on faire machine arrière ? Notre langue n’est-elle pas devenue fondamentalement sexiste ? « Moi, je dis non, parce que notre langue est restée capable, elle a des ressources d’origine. Nous sommes capables de retrouver un langage non sexiste. Notre problème, c’est que nous sommes sexistes. Pas parce que nous sommes des méchants ou des méchantes, mais parce qu’on nous a appris des usages sexistes. »
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la linguistique est du côté de la « féminisation » de la langue, de ce retour à un français standard, où le masculin ne fait pas neutre. « Ce sont des problèmes idéologiques et politiques, ce n’est pas un problème linguistique. Nous avons la langue avec nous. »
Pour aller plus loin
🙅♀️ Supprimer les biais de genre. C’est un fait scientifiquement établi : le masculin générique n’est pas neutre, il induit un biais de représentativité vers le masculin. Un biais que peut supprimer l’écriture inclusive
📓L’inclusif : difficile, mais pas impossible pour les dyslexiques. La Fédération française des Dys (la FFDys) est loin d’être opposée à l’écriture inclusive et donne même des pistes d’apprentissage.
⁉️Où sont les femmes dans l’histoire ? Pourquoi cette sous-représentation des femmes dans l’histoire ? Parce qu’il n’y pas assez d’historienne. Mais heureusement, Mathilde Larrère est là.
– Cette newsletter a été conçue par Clémence Postis.