Apparus à la fin de l’été 2019, les collages féministes se sont invités dans toute la France, y compris en Nouvelle-Aquitaine.
Photo de couverture : © Polymagou / Wikimedia Commons
Vous les apercevez parfois au détour d’une rue : de grandes lettres noires sur papier blanc qui ressortent sur les murs. « Elle le quitte, il la tue » ; « Nous sommes la voix de celles qui n’en ont plus »… Apparus à la fin de l’été 2019, les collages féministes se sont invités dans toute la France, y compris en Nouvelle-Aquitaine.
Ça vient d’où, ces collages ?
En 2016, le collectif féministe Insomnia affiche dans Paris les noms des victimes de féminicides. Il veut rendre hommage aux victimes et porte deux revendications : « La reconnaissance du féminicide en France et son inscription dans le Code pénal. »
Trois ans plus tard, en 2019, Marguerite Stern réalise le premier collage à Marseille, sur lequel on peut lire : « Depuis que j’ai 13 ans, les hommes commentent mon apparence dans la rue. » Là où Insomnia peignait ses slogans sur une seule grande affiche, Marguerite Stern peint chaque lettre sur une feuille de papier A4 et les colle à même le mur. Le slogan prend de la place, il est visuellement impactant : personne ne peut passer à côté. « On oblige les gens à voir ce qu’ils ne veulent pas voir », explique Mariette de Collages Féministes Bordeaux.

À la fin de l’été 2019, Marguerite Stern va réunir autour d’elle quelques femmes et réaliser d’autres collages dans Paris. Grâce à un appel sur les réseaux sociaux, de nombreuses personnes répondent à son appel. Des collages contre les féminicides apparaissent dans toute la France, y compris dans le Sud-Ouest, à Bordeaux et à Toulouse.
Au bout d’un mois, Marguerite Stern se retire du projet : « Je n’avais pas envie qu’il y ait de leadeuse », expliquait-elle à Libération. Mais très vite, le mouvement des collages prend définitivement son indépendance de Marguerite Stern : en janvier 2020, après une série de tweets transphobes, elle est définitivement écartée.
Depuis quand dit-on « féminicides » ?
Contrairement à une idée reçue, le mot féminicide ne date pas d’hier. « C’est un mot avec une longue histoire, et il n’a pas toujours eu le sens qu’on lui donne aujourd’hui », explique Frédéric Chauvaud, historien et professeur d’histoire à l’Université de Poitiers. Au XIX° siècle, « féminicide » désigne les contraintes que peuvent faire peser les femmes sur les hommes. Rien à voir. Plus tard, au XX° siècle, sa définition change encore : « À cette époque, il désigne les lois qui vont à l’encontre des droits des femmes. »

Dans les années 1970, la sociologue sud-africaine Diana Russel utilise le mot « féminicide » (« femicide » en anglais), avec sa définition moderne : le meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme. Le mot va alors rester l’apanage des ouvrages scientifiques jusqu’aux années 2010.
« L’OMS et l’ONU commencent à l’utiliser pour désigner des actions de violences spécifiques contre les femmes », détaille Frédéric Chauvaud. Il faudra encore attendre 2015 pour que le mot féminicide entre dans le dictionnaire. Pour l’historien, c’est en 2019 que le terme passe vraiment dans le langage courant : « Il y a une sorte de vague, le mot n’est plus utilisé uniquement par les spécialistes. »
En effet, beaucoup de choses se passent en 2019. Les premiers collages de Marguerite Stern tout d’abord. Puis, dans le Gers, une magistrate emploie pour la première fois le terme. Enfin, la presse n’y est pas pour rien. Après avoir constaté que le traitement médiatique des violences faites aux femmes n’était pas à la hauteur des enjeux, l’AJP (Association des journalistes professionnels) publie une série de recommandations à destination des journalistes : « Il est essentiel de nommer les violences faites aux femmes pour ce qu’elles sont : des violences sexistes ou encore des violences de genre. Les violences contre les femmes ne sont pas une « affaire privée ». Les auteurs de violences n’ont pas à être « excusés » par leurs « sentiments ». »
Les collages, ce n’est que pour les féminicides ?
À l’origine, le mouvement des collages a pour but de coller à la vue de tous·tes les violences sexistes et sexuelles. Très vite, les collectifs de toute la France vont élargir leur slogan à d’autres sujets. À Bordeaux par exemple, les colleur·euses sont des acteur·ices incontournables de toutes les manifestations et luttes sociales. Elles ont par exemple collé « T’en as pas marre de faire pleurer des enfants, Buccio ? » (la préfète de Bordeaux) suite à l’expulsion de 300 personnes, dont des mineurs, d’un squat de Cenon.
Dans l’ouvrage Notre colère sur vos murs, le collectif parisien explique ainsi cette évolution logique : « Il s’agit de nous battre contre un système (entre autres patriarcal, colonial, capitaliste et écocidaire) qui domine, exploite et détruit depuis des millénaires. »
Dans le collectif bordelais, cela s’est aussi fait naturellement, comme nous l’explique Mariette, au nom du collectif : « Chacun·e propose les sujets de collages. On propose des actions, et ça se fait assez naturellement. »