Sous l’Occupation, de nombreux vignobles ont collaboré avec l’ennemi, en fournissant du vin aux soldats allemands et en l’exportant vers Allemagne.
Il y a 80 ans, la Seconde Guerre mondiale prenait fin. Et avec elle, une histoire peu glorieuse tombait aux oubliettes. Sous l’Occupation, de nombreux vignobles ont collaboré avec l’ennemi, en fournissant du vin aux soldats allemands et en l’exportant vers Allemagne. Mais le sujet reste encore tabou dans le bordelais. Alors, que s’est-il vraiment passé ?

Quel rapport entre les nazis et le vin de Bordeaux ?
Avant tout, un peu de contexte. Nous sommes le 22 juin 1940, la France signe l’armistice avec l’Allemagne nazie. Le territoire est divisé en deux, et les Allemands prennent bien soin d’inclure les vignobles bordelais en zone occupée. Si Hitler n’a jamais apprécié l’alcool, Göring, l’un des principaux dirigeants du IIIe Reich, était lui un grand amateur de vin, de cognac et de champagne.
Dès le début de l’Occupation, il ordonne à des troupes de soldats allemands le pillage des caves à vins françaises. “Mais cette pratique n’a pas trop plu à Berlin, qui ne voulait pas être mal vu”, explique Antoine Dreyfus, journaliste et auteur d’une enquête sur le sujet, Les Raisins du Reich. Les dirigeants du IIIe Reich créent alors un système d’achat et commencent à collaborer avec les vignobles français, qui vont s’enrichir grâce à ce marché.
Comment s’est concrétisée cette collaboration dans le Sud Ouest ?
À cette époque, Bordeaux est le premier producteur de vin au monde, l’affaire est plus qu’alléchante pour les Allemands. Berlin instaure, dès l’été 1940, une centrale d’achats des vins : dans les régions viticoles, Hitler envoie des “Weinführer”, des responsables allemands chargés d’acheter du vin afin de l’exporter en Allemagne.
À Bordeaux, le Weinführer s’appelle Heinz Bömers. Originaire de Brême où il est importateur de vin français, il installe son bureau sur les quais bordelais pendant l’Occupation. Ici, il se charge des négociations entre les professionnels du Bordelais et l’Allemagne. Dans ce bureau, Heinz Bömers voit passer tour à tour courtiers, négociants et vendeurs de vin. La règle est simple : plus vous êtes proche de Heinz Bömers, plus vous vendez de vin.

Louis Eschenauer, surnommé “le roi de Bordeaux”, n’hésite pas une seconde à collaborer ouvertement avec l’ennemi. Le numéro 1 des négociants bordelais faisait déjà affaire avec Heinz Bömers avant la guerre. Ils vont continuer à travailler tous les deux sous l’Occupation, en rachetant les domaines appartenant à des juifs et des Anglais voulant partir en zone libre.
On parle alors de collaboration économique. Mais une collaboration choisie, pour Antoine Dreyfus : “Jusqu’où va-t-on pour vendre son produit ? Où met-on le curseur entre besoin et profit ?”
Quel sort ont connu les vignobles à la Libération ?
En 1944, la Libération met un terme à quatre années d’Occupation. La plupart des négociants ayant collaboré avec l’ennemi passent entre les mailles du filet. Les plus zélés, comme Louis Eschenauer, seront condamnés. Il sera envoyé en prison et devra payer des amendes pour sa collaboration avec le régime nazi. Mais les vignobles bénéficient globalement d’une grande indulgence : plusieurs lois d’amnistie sont votées et la plupart des négociants ont uniquement dû payer des amendes. “Dès la Libération, on parle de reconstruire la France, et pour cela, il faut de l’argent”, rappelle Antoine Dreyfus.
Le monde viticole étant une source d’emploi et d’argent, la justice restera très bienveillante à leur égard. Les négociants se défendent en répétant qu’ils n’ont pas collaboré, mais simplement survécu en vendant de la “piquette” aux Allemands. Des déclarations qui seront contredites par Madame Kircher, la secrétaire de Heinz Bömers qui a aidé les Forces françaises de l’Intérieur à retrouver les collabos (et dont on vous raconte l’histoire juste en-dessous.)