« La plupart meurent en arrivant. » À La Teste-de-Buch, un camp oublié a accueilli des milliers de tirailleurs sénégalais pendant la Première Guerre mondiale. Une page méconnue de l’histoire locale qui questionne encore la mémoire et la justice.
Image de couverture : Tirailleurs du Camp du Courneau, Wikimedia
Qui sont les tirailleurs sénégalais ?
Il s’agit d’un corps d’infanterie colonial créé en 1857 par Napoléon III. À l’époque, le Sénégal est une colonie française ; l’objectif pour la France est de recruter des combattants pour faciliter son implantation française en Afrique et étendre son empire colonial.
Les premiers soldats commencent à être recrutés par la France au XVIIIe siècle, et seront régulièrement enrôlés par l’armée coloniale pour servir les intérêts de la France. Mais parler de « tirailleurs sénégalais » est un abus de langage : les soldats sont originaires de diverses régions d’Afrique, pas seulement du Sénégal. « Ce n’est pas l’histoire d’un seul pays, mais de plusieurs pays africains. À l’époque, il n’y avait pas de pays définis », explique Karfa Diallo, fondateur de l’association Mémoires et Partages et conseiller régional EELV.
Avant 1914, la plupart des tirailleurs sont recrutés grâce à des systèmes de primes. Mais quand la Grande Guerre commence, beaucoup de jeunes se cachent, d’autres fuient pour échapper au front. Au total, pendant la Première Guerre mondiale, ils sont 200 000 tirailleurs à se battre sous le drapeau français, dont 135 000 en Europe.
Quel rapport avec la Nouvelle-Aquitaine ?
Une fois en France, les tirailleurs sénégalais sont envoyés sur le front. Mais ces soldats sont peu habitués au froid hivernal, et nombre d’entre eux tombent malades. En 1916, les autorités militaires ouvrent alors deux « camps d’hivernage » en France, servant à acclimater les soldats venus d’Afrique et à les former aux rudiments militaires. L’un d’eux sera implanté dans le Var, l’autre, en Gironde, à La Teste-de-Buch, près de la dune du Pilat.

Ce camp girondin, appelé camp du Courneau, voit transiter 70 000 tirailleurs entre avril 1916 et septembre 1917. Mais il présente un problème : installé sur une zone marécageuse, il est très humide et totalement inadapté. Les soldats sont rapidement victimes de maladies respiratoires et meurent par centaines de pneumonies fulgurantes. « La plupart meurent en arrivant », Jean-Pierre Caule. Autrefois appelé le camp « des nègres », le Courneau est rapidement surnommé « le camp de la misère ». Au total, en moins de 16 mois, près d’un millier de soldats mourront dans ce camp, souvent sans avoir combattu.
Jusqu’en 1948, les dépouilles des soldats du camp du Courneau sont dispersées dans différents cimetières, notamment celui d’Arcachon. Elles sont ensuite déplacées dans une fosse commune à la Nécropole du Natus, qui a bien failli être emportée par les flammes cet été.
Pourquoi leur sort fait-il polémique ?
Si on parle encore aujourd’hui des tirailleurs sénégalais, et encore plus avec la sortie du film avec Omar Sy, c’est que la promesse de la France envers ces soldats n’a pas été tenue.
Le premier député noir Blaise Diagne avait pourtant promis qu’en « versant le même sang », les tirailleurs obtiendraient « les mêmes droits ». Mais aujourd’hui encore, on est loin du compte. À titre d’exemple, les retraites de ces vétérans étaient inférieures à celles de leurs frères d’armes français. Et pour percevoir leur minimum vieillesse, les tirailleurs étaient obligés de vivre au moins six mois de l’année en France.
Il aura fallu attendre le 4 janvier dernier pour que le gouvernement mette fin à cette mesure, autorisant ainsi les vétérans à rentrer définitivement dans leur pays d’origine sans perdre leur minimum vieillesse. Une annonce qui, étrange coïncidence, intervient le même jour que la sortie du film Tirailleurs.
Mais pas de quoi crier hourra pour autant : cette mesure ne concernerait que 37 survivants, l’immense majorité des tirailleurs sénégalais étant décédés. De plus, cette « tolérance », comme le définit le gouvernement, ne concerne que les 950 euros perçus dans le cadre du minimum vieillesse, et pas les aides de la CAF ni les pensions d’invalidité.