Depuis 2008, L214 fait entendre la voix des animaux d’élevage. Connue du grand public pour ses vidéos chocs dans les abattoirs de France, l’association multiplie également les actions auprès des grandes surfaces et des producteurs. À l’occasion du festival international de journalisme à Couthures-sur-Garonne, nous avons pu rencontrer sa cofondatrice, Brigitte Gothière. Elle insiste sur le leitmotiv de L214 : le pacifisme comme moyen de lutte.
Avons-nous toujours considéré comme normal le fait de manger des animaux?
Dans l’histoire de l’humanité, notre survie a été tellement précaire que n’avions pas forcément les moyens de nous poser la question de la condition animale. Même si, entre deux triangles rectangles, Pythagore s’intéressait déjà à ce sujet. Il se demandait s’il était pertinent de continuer à tuer des animaux pour les manger alors que nous n’en avions pas besoin.
À l’époque de Pythagore, au VIe siècle avant J.-C., beaucoup moins d’animaux étaient élevés et tués, l’élevage intensif n’avait pas encore été inventé. À cette époque, on peut considérer que la situation des animaux était meilleure, pourtant Pythagore posait déjà la question de leur statut.
Aujourd’hui, nous avons atteint un rythme complètement incroyable : on tue plus de 80 milliards d’animaux terrestres et 300 milliards d’animaux aquatiques chaque année dans le monde. Et plus d’un milliard d’animaux terrestres rien qu’en France.
C’est absolument énorme. Pour donner un ordre de grandeur, nous sommes à peu près 80 milliards d’êtres humains à nous être succédé depuis le début de l’humanité.
Dans vos vidéos, on vous accuse de montrer le pire. Choisissez-vous uniquement des élevages où cela se passe mal ?
Nous montrons la généralité, pas l’exception. Quand on montre des poulets complètement boiteux dans un élevage où ils sont 20000, avec des poulets morts ici ou là… On est dans le cas général. 83 % de la production française utilise des poulets à croissance rapide, qui grossissent quatre fois plus vite qu’en 1950.
On tue plus de 80 milliards d’animaux terrestres et 300 milliards d’animaux aquatiques chaque année dans le monde.
Ceux qui nous disent qu’on montre le pire ou des exceptions… À eux de prouver qu’il y a autre chose. Elles sont où les images d’abattoirs où ça se passe super bien ? Ils n’en montrent pas, parce qu’ils ont les mêmes images que nous.
Si les images d’abattoir ont choqué, je crois que c’est parce que dans le regard des animaux, dans leur attitude, on a pu voir des émotions que nous pouvons ressentir nous-mêmes: le stress, la panique, la peur… Dire que nous montrons le pire et l’exception, c’est un argument factice pour esquiver la discussion de fond.
Je crois que notre discours est vraiment mesuré. On essaie de porter des mesures très concrètes pour avancer pas à pas et provoquer une réflexion.
Beaucoup affirment pourtant que L214 n’est pas vraiment mesuré. Vous considérez-vous comme des « extrémistes »?
Il manque des syllabes dans ce mot: nous sommes extrê-me-ment pa-ci-fi-stes. Nous dénonçons un système, pas des personnes. Nous sommes extrêmement vigilants sur ce point, surtout lorsque nous sortons des images d’abattoirs. Évidemment qu’on y voit des personnes filmées, mais nous n’attirons pas l’attention sur elles, mais sur un système qui met à mort 3 millions d’animaux par jour en France. Quand il y a des dysfonctionnements dans un élevage ou un abattoir, ce n’est pas la faute de l’ouvrier : il n’est qu’un maillon de la chaîne. Nous montrons des infractions de construction, du matériel dysfonctionnel et une absence de formation du personnel.
Avec le mouvement pour les animaux, on pose des questions fondamentales, mais qui remettent en cause si profondément notre société qu’on a envie de jeter le messager pour ne pas entendre le message. Il y a eu de la peinture jetée sur des vitrines de boucheries, même des cailloux, par d’autres militants végans. Est-ce que c’est comme ça qu’on va avancer ? Moi, je n’en suis pas du tout convaincue. Au sein de L214, nous sommes en désaccord avec ces évènements, mais ils sont montés en épingle pour pouvoir essayer de mettre à distance tout le questionnement de la condition animale.
Il y a plus d’une action par jour qui est menée par des bénévoles ou des associations de défense des animaux. Mais ce dont on va entendre parler, ce sont les cailloux jetés dans une vitrine. C’est un peu rageant. Il y a énormément d’actions positives et rigolotes. Mais, en face, on aimerait bien nous faire passer pour des énervés: qui voudrait d’une société pensée par des gens belliqueux ? Donc à la moindre manifestation de violence, toute relative, on se jette tout de suite dessus pour nous mettre à l’écart, alors que le mouvement est profondément pacifiste.
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Retrouvez cet article dans Revue Far Ouest : Tout Reprendre
Ils et elles sont cyclistes, hackeurs, agriculteurs, étudiants, simples citoyens… Ils sont des réfugiés, des gens du voyage, des auteurs à succès ou des travailleurs du sexe non-déclarés. Des explorateurs malgré eux d’une société et de ses contradictions.