Paris, mars 2020. Dans une capitale nocturne vidée par le confinement, le journaliste bordelais Julien Goudichaud a filmé la nuit de ceux qui dorment dehors. Son court-métrage “Confinés dehors” a remporté le Prix du public au Festival de Clermont-Ferrand.
Comment se confiner chez soi quand on n’a pas de domicile ? Dans un Paris nocturne déserté par le premier confinement, une partie de la population n’a pas d’autres choix que de se confiner dehors. Alors que le monde entier s’est arrêté, celles et ceux qui dorment dans la rue doivent désormais survivre dans une capitale vidée de sa population. Caméra à la main, le réalisateur bordelais Julien Goudichaud a décidé de raconter leur quotidien.
« Un soir, je suis sorti faire un tour dans mon quartier, les rues étaient désertes, il était à peu près 2 heures du matin, se souvient le journaliste. En arrivant à l’angle d’un carrefour très fréquenté habituellement, juste à côté de chez moi, j’ai vu un homme qui était accroupi par terre, sur un trottoir. Je me suis approché de lui au pas de course pour lui demander ce qui n’allait pas ou lui venir en aide. Et quand je suis arrivé à son niveau, j’ai vu un homme avec la tête plongée dans une grille d’égout. Il a relevé la tête, sa lampe torche m’a aveuglé et il m’a dit : “Je cherche des pièces.” »
Pour le réalisateur, c’est une révélation : « Il fallait que je le filme, c’était une évidence ! Je suis rentrée chez moi pour prendre ma caméra, il a accepté de me parler un petit peu. » Mais très vite, une patrouille de police arrive sur place et sépare les deux hommes, leur ordonnant de rentrer chez eux. « C’était une scène absurde, lui disait : “Moi je n’ai pas de chez moi, j’habite dehors !” », poursuit-il.
Nelson, Sarah et les autres
« Ça a été une claque énorme, confie Julien Goudichaud. Je suis rentré chez moi, j’ai regardé les images, fait le montage… et c’était lunaire. Il n’y avait pas un bruit sur les plans larges et il était là, à chercher des pièces… À partir de là, je me suis dit : “Je vais me promener maintenant, et on va voir s’il y a d’autres personnes comme lui qui en sont réduit à faire des choses un petit peu dingues pour survivre. Au fur et à mesure des nuits, j’ai commencé à filmer avec l’un, avec l’autre, et à la fin ça a donné une déambulation dans Paris, des histoires de personnes de différentes entrecoupées de plans de rues et de places mondialement connues qui étaient complètement vides et fantomatiques. »
Le journaliste bordelais passe du temps avec cet homme, Nelson. Il parvient même à aller dans son repère, dissimulé sous une trappe. Le sans-abris collectionne les bijoux qu’il préfère offrir aux personnes qu’il affectionne plutôt que de les revendre. Julien Goudichaud en fait partie : « Il m’a offert un stylo plaqué or parce qu’il tenait à ce que j’en possède un qui soit présentable pour le travail. » En faisant des recherches sur Internet, le journaliste réalise que le-dit stylo vaut en réalité plusieurs centaines d’euros. « Je lui ai dit mais il ne voulait pas que je lui rende, sourit le journaliste. Et je me retrouve aujourd’hui avec ce stylo en or, sur mon bureau, je remplis tous mes papiers administratifs avec et je pense à lui à chaque fois. »
Des rues de Paris au festival de Clermont-Ferrand
Habitué des circuits classiques du milieu de la production télévisuelle, Julien Goudichaud ne parvient pas à vendre son projet. « Les producteurs me disaient : “Ecoute Julien, ton film c’est un ovni, il y n’a aucun programme qui veut l’acheter. Il est super mais on ne peut rien en faire.” Or, mon documentaire, je le trouvais bien comme ça, je ne voulais pas le modifier. Heureusement, je connais très bien le producteur d’une société bordelaise, Mon Ballon Productions, qui m’a dit : “Tu n’as jamais essayé mais en fait, il ne faut surtout pas le modifier ton film, il faut le faire vivre de la manière dont tu l’as raconté et lui faire faire un circuit en festival.”
Pari réussi. Son documentaire est sélectionné au Festival du court métrage de Clermont-Ferrand. « C’est un circuit que je ne connaissais pas du tout, reconnaît Julien Goudichaud. C’est en me renseignant que je me suis aperçu de l’ampleur de ces festivals. Alors, quand on m’a annoncé les premières sélections, j’ai été très surpris. Surtout, cela m’a permis de découvrir un monde dans lequel il nous était permis de créer comme on voulait, de raconter les choses comme on voulait. »
La surprise est d’autant plus grande pour le réalisateur bordelais, qui remporte la catégorie dans laquelle son film est nommé. Covid oblige, l’annonce du grand gagnant a lieu en ligne, en distanciel. « Quand on m’a dit Prix du public, j’ai pas du tout cherché à faire bonne figure, s’amuse Julien Goudichaud. Je crois que j’ai poussé des cris, j’ai sauté, ça a beaucoup fait rire les gens qui regardaient ! »
« Pour moi, le Prix du public, c’est le prix numéro un, confie le journaliste. C’est le public que je cherche à émouvoir, à faire réfléchir, à faire se questionner. Je pensais que j’avais été sélectionné parce que mon film génère de l’empathie et qu’il y avait quelque chose de visuel, mais je ne pensais pas du tout que je serais primé. Je n’avais même pas moi-même appelé le public à voter, à relayer, à envoyer des mails. En fait, ça s’est fait naturellement, les gens l’ont vu et se le sont renvoyé entre eux. Il y a eu un espèce d’effet boule de neige, car je pense que les gens que j’ai filmés dans mon film les ont beaucoup touchés. Et c’est ça, la victoire. »