Déconstruire les clichés tenaces liés à leur genre et donner de la visibilité à leurs actions locales, tels sont les objectifs du collectif des femmes brasseuses de Nouvelle-Aquitaine, porté par la chanteuse brésilienne Alê Kali. Elles se sont réunies pour la première fois le 10 mars dernier à la Microbrasserie béglaise autour d’un brassin collaboratif, afin d’acter la naissance de leur collectif féministe et solidaire.
Le café est chaud, les croissants sont disposés à côté des revues féministes. Alors que les premières invitées commencent à arriver, Alê Kali s’active dans son entrepôt reconverti depuis peu en microbrasserie. La chanteuse brésilienne s’est lancée dans l’aventure de la bière locale il y a quelques mois. Le 10 mars dernier, elle a réuni quatorze femmes brasseuses autour d’un brassin collaboratif. Toutes sont implantées en Nouvelle-Aquitaine et motivées par l’envie de concilier bière et sororité au sein d’un collectif résolument féministe.
« Ce brassin collectif a été mis en place dans le but de réunir les femmes de l’univers de la bière et de développer notre collectif de femmes brasseuses de la Nouvelle-Aquitaine, résume Alê Kali. Le groupe n’a pas encore de nom. C’est juste une envie de nous réunir autour d’actions, d’initiatives, de brassins collectifs régionaux… Et réaliser des actions pour affirmer la présence féminine dans ce milieu, montrer qu’on a une force au niveau local. »
Outre les moments d’échange organisés à intervalle régulier, le collectif veut donner plus de visibilité aux femmes dans cet univers traditionnellement masculin. « Dans les brasseries, il y a toujours des petites mains qui sont derrière les brasseurs. C’est important aussi de reconnaître leur travail, de montrer que les femmes sont là et qu’elles sont fondamentales », poursuit la chanteuse brésilienne.
Un brassin collaboratif
Au cours de cette première journée, les quatorze brasseuses s’accordent à produire une recette collaborative. Le produit final sera distribué dans chacune de leur brasserie. « Cette bière sera une double IPA, une bière plus forte en alcool… un truc de femme quoi ! Dans les huit degrés d’alcool, bien chargée en houblon, bien aromatique », s’amuse Alê Kali.
Le choix de ce breuvage n’est pas un hasard. L’objectif de ce brassin, c’est aussi de « déconstruire les clichés qu’on nous attribue tout le temps : « Les femmes n’aiment pas l’amertume, il vaut mieux faire une bière très sucrée, bien rouge, bien fruitée… » Non. On aime bien les bières bien chargées en houblon, bien amères, bien fortes en alcool. »
Les brassages collaboratifs s’inscrivent dans un mouvement international originaire des États-Unis, le Pink Boots Collaboration Brew Day, créé par l’association Pink Boots Society. Les bénéfices de ventes de ces bières seront redistribués entre les branches participantes. Les revenus peuvent notamment servir à financer la formation et la spécialisation des membres de l’association.
« L’histoire de la bière est intimement liée à celle des femmes »
Fin de matinée, c’est l’heure de la dégustation. Les quatorze brasseuses quittent le hangar et s’installent à l’extérieur autour d’une grande table de jardin, sur laquelle sont disposées des dizaines de bières. Chacune des participantes a ramené quelques bouteilles de sa production personnelle. Véro est venue avec ses bières “Virgo”. Elle et son acolyte – qui porte le même surnom – ont monté ensemble la microbrasserie Y a une sorcière dans ma bière, basée à La Réole.
« L’histoire de la bière est intimement liée à celle des femmes, assure Véro. Dès l’Antiquité, c’étaient les femmes qui brassaient la bière. Alors, pas forcément pour de bonnes raisons, puisqu’en fait il s’agissait d’une activité domestique, c’est-à-dire qui se faisait à la maison, dans la cuisine. »
C’est cette histoire oubliée liant les femmes au monde de la bière qui ont inspiré les deux Véro quant au choix du nom de leur entreprise locale. « À une époque, celle de l’Inquisition, les femmes brasseuses ont également été accusées de sorcellerie, puisqu’elles avaient une indépendance économique, rapporte la brasseuse. Les femmes ont été évincées du monde de la bière quand c’est devenu rentable, tout simplement. »
Selon Véro, des chercheur·ses s’accordent à dire que les accessoires commerciaux associés à la figure de la sorcière au moment d’Halloween tireraient leur origine « des femmes brasseuses, anglaises notamment, qui, pour se faire repérer sur les marchés quand elles allaient y vendre leurs bières, portaient un chapeau noir. Quand la bière était prête, elles installaient une gerbe de blé devant leur maison, qui peut faire penser à un balai. Elles avaient des chats pour chasser les rongeurs et puis surtout, elles préparaient leur potion magique dans un chaudron, dans la cheminée. »
Démarche féministe
Après la dégustation vient le temps de l’échange. À l’heure du déjeuner, les quatorze brasseuses débattent à propos du nom de leur collectif néo-aquitain et des modalités de leurs prochaines rencontres. Le calendrier n’a pas été laissé au hasard. Ce premier rendez-vous se déroule la semaine du 8 mars, date de la Journée internationale de lutte des droits de femmes. « On est dans une démarche féministe parce qu’il y a un déséquilibre dans notre société. Malheureusement, on doit se battre pour affirmer qu’on a des droits égaux », regrette Alê Kali.
Autour de ce brassin collaboratif, les professionnelles de la bière envisagent un avenir plus solidaire. « C’est ça qu’inspire ce collectif-là, c’est la sororité, sourit la brasseuse béglaise. C’est le fait de créer un espace d’entraide et d’écoute. C’est le fait de savoir qu’il y a quelqu’un à qui tu peux recourir si tu as besoin d’échanger, si tu as besoin d’un coup de main, pour faire avancer d’un pas et rendre ta journée plus légère. C’est ça le but d’un collectif. »