Dans les villes françaises, l’absence de monuments ou de mentions à la gloire des femmes témoigne de leur invisibilisation systématique et de leur éviction hors du champ de la mémoire et de l’Histoire. Julie Perez, guide conférencière chez Bordeaux Détours, propose une visite à vélo autour des femmes et des féminismes, afin de faire entendre les voix dissonantes de celles qui ont façonné le destin de Bordeaux.
Julie Perez, guide conférencière chez Bordeaux Détours, s’attache à faire entendre les voix des femmes célèbres et ordinaires qui ont façonné le destin de Bordeaux pour dessiner une histoire de la puissance des femmes.
Tout a commencé lorsque la jeune femme a été contactée par l’association Feminists in the City, qui lui propose de concevoir un circuit sur Bordeaux autour de cette thématique. Avec le Covid, la visite prend alors de nouvelles formes.
Désormais, Julie Perez propose cette visite à vélo afin d’explorer la thématique des femmes et des féminismes pour mieux comprendre l’histoire de la ville de Bordeaux. Nous l’avons suivie le temps d’une visite à vélo.
10 % de rues féminisées
À Bordeaux, comme dans les autres villes de France, les noms féminins sont sous-représentés. « Moins de 10 % des rues féminisées, c’est tout simplement lié au fait que les femmes ne sont pas seulement exfiltrées du champ de la mémoire, de la mise en scène dans l’espace public. Elles sont aussi sous-représentées dans l’Histoire et dans les grands récits qui sont faits du passé », explique Julie Perez.
Parmi ces noms de rues féminisés, il n’y a pas que des noms propres. « Rue des Alouettes, c’est considéré comme faisant partie de ces 10 % de rues féminisées, poursuit-elle. Si cette fois, on se recentre sur les noms de rues baptisées d’après des femmes célèbres, on tombe à 2 %. »
Modeste Testas
Premier arrêt de la visite. Nous nous rendons sur les quais, au niveau des Chartrons, pour admirer la statue de Modeste Testas, née Al Pouessi. L’objectif pour Julie Perez est de venir « questionner la place des femmes dans le système esclavagiste colon français du XVIIIe et du XIXe siècles, et donc d’aller regarder à l’intersection de la domination raciale et de la domination patriarcale, quel sort était fait aux femmes ».
« Cette statue, elle n’a pas de socle, elle est à notre niveau, elle n’est pas mise sur un piédestal comme le sont beaucoup des statues des grands hommes, commente la guide. Ici, elle est traitée vraiment comme une femme ordinaire. »
Beaucoup d’associations se sont d’ailleurs levées contre la représentation de cette statue. « Non pas pour le travail de Filipo, le sculpteur haïtien à l’origine de cette oeuvre, précise la jeune femme, mais bien derrière, parce que ça questionne sur la manière dont les pouvoirs publics veulent représenter l’esclavage. »
Rosa Bonheur
Nous enfourchons nos montures et direction le Jardin Public. Nous nous arrêtons face à la statue réalisée en 1910 par Gaston Leroux de Rosa Bonheur, peintresse emblématique du XIXe, née à Bordeaux.
« Sur cette sculpture, Gaston Leroux la représente en robe. Or, c’est l’une des rares femmes au XIXe à avoir eu le droit de porter un pantalon », rapporte Julie Perez. En effet, la peintresse a bénéficié d’une ordonnance de travestissement puisque étant peintresse animalière, elle était au contact des bêtes dans les champs et dans les abattoirs.
Selon la guide conférencière, ce n’est pas anodin de voir une statue représentant une femme historique : « Souvent, quand les femmes sont portraiturées dans la commande publique et notamment sous forme de statues, c’est pour représenter des allégories, c’est-à-dire que ça va être des supports charnels, des supports physiques à une idée abstraite. Mais elles ne sont pas représentées pour ce qu’elles sont, pour qui elles sont. »
Les sorcières du Palais Gallien
Nous reprenons la route direction les ruines du Palais Gallien. « Ruines du Palais Gallien très mal nommé puisqu’il s’agit en fait non pas d’un palais mais d’un amphithéâtre gallo-romain qui a été construit à la fin du Ier siècle », corrige Julie Perez.
Avec l’abandon progressif de ce bâtiment, des activités plus ou moins interlopes, comme de la prostitution ou de la petite délinquance, vont se développer dans ce quartier. C’est ainsi que le mythe du sabbat des sorcières s’y territorialise.
« Les sorcières, ce sont toutes les femmes qui échappent à la domination patriarcale du père, du mari, de l’Église, précise la guide. Elle rappelle que les chasses aux sorcières sont un événement historique qui a réellement eu lieu : « Elles se déroulent majoritairement à l’Époque moderne, plutôt entre le XVe et le XVIIIe siècle. Ce n’est donc pas un fait médiéval. Il y a tout un appareil juridique mais aussi religieux qui a été mis en place pour légitimer ce qu’on pourrait appeler finalement un premier féminicide de masse. »
Un métier majoritairement féminin
À la fin de la visite, Julie Perez nous parle de sa profession : « C’est un peu paradoxal puisque ce métier de guidage, c’est un métier essentiellement féminin, et donc ce sont des guides, des femmes qui parcourent les villes pour raconter l’Histoire, majoritairement écrite et mise en scène par les hommes. »
À travers cette visite, la guide conférencière s’attache « à montrer d’autres voies, faire connaître d’autres personnalités et attirer un petit peu le regard sur des problématiques qui sont aussi bien sûr contemporaines, actuelles, puisque les luttes féministes sont aujourd’hui beaucoup plus audibles qu’il y a ne serait-ce qu’une dizaine d’années ».
Vous pouvez contacter Julie Perez pour une réservation sur son compte Instagram : @bordeaux_detours