L’agglomération de La Rochelle fait face à une réalité inquiétante : un nombre anormalement élevé de cancers pédiatriques touche ses enfants depuis plus d’une décennie. Entre pollutions industrielles, usages intensifs de pesticides et une absence d’unité locale spécialisée, les familles vivent un combat tant sanitaire que social.
Quand un enfant déclare un cancer dans l’agglomération de La Rochelle, deux choix s’offrent à lui : prendre la voiture ou prendre le train. La préfecture ne disposant pas d’unité spécialisée, le soin en oncologie de la jeune patientèle ne peut être réalisé que dans le CHU d’une des grandes villes qui l’entourent : Bordeaux, Nantes ou Poitiers. C’est de ce dernier pôle qu’est partie l’alerte en 2018 : dans deux communes à l’Est de La Rochelle, 7 cas de cancers pédiatriques avaient été diagnostiqués en 12 ans. 4 à 7 fois plus qu’ailleurs en France.

Vous ne trouverez pas ces villes en carte postale sur le Vieux-Port. La première, Saint-Rogatien, marque la fin de l’urbanisation dense et le début des grandes plaines céréalières de l’Aunis. Quant à Périgny, elle est connue comme site industriel et industrieux, siège de la marque emblématique Léa Nature, traversée par une départementale tassée de poids lourds.
Dans sa recherche de causes environnementales, l’Agence régionale de santé croule sous les facteurs de risque : une usine d’enrobés qui embaume les alentours aux hydrocarbures, des lignes à haute tension qui câblent le cœur de l’agglo et, tout autour, une zone d’agriculture intensive qui collectionne les records dans l’épandage de glyphosate et autres produits volatils. Localement, les parents des victimes décident de faire de leurs exigences une bannière et créent en 2018 l’association Santé environnement 17 qui se présente bientôt aux élu·es de l’agglo.
Les « fautes à pas de chance »
S’en suit une série d’études, demandées voire financées en partie par la Communauté d’Agglomération de La Rochelle. Une première écarte les émanations de l’usine d’enrobés. Une autre se penchant sur les pesticides arrive à des conclusions plus ambiguës. Il flotte par là-bas un mélange inhabituel de polluants aériens : à Montroy où se trouve le capteur, 33 pesticides apparaissent en 2019, donc certains interdits depuis 1998. Les responsables agricoles assurent que, si un lien est établi, des mesures seront prises.
Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas
En 2021, les parents commencent à douter de la sincérité de ces promesses : les relevés déroulent alors 41 substances issues des épandages et des taux en augmentation. « C’est là où on s’est dit que les représentants agricoles nous avaient baladés », se remémore un membre de l’association.
En parallèle, les autorités de santé se penchent sur les autres facteurs : « Quand l’ARS est intervenue auprès des familles des enfants malades, elle a distribué des questionnaires sur l’environnement intérieur, se souvient Franck Rinchet-Girollet, parent et président de l’association ASE17. Ça nous a laissés perplexes. Aucun facteur commun n’a été trouvé, ça s’est arrêté là. »
Désemparés, les parents réalisent que leur cas souffre aux yeux des épidémiologistes de deux grosses faiblesses : une population trop faible pour l’étudier et un mélange de risque empêchant d’isoler un facteur commun. En 2019, l’INSERM a beau publier un rapport sur l’effet cocktail, qui pointe précisément le risque de voir le risque augmenter quand les pollutions se mélangent, le cas des enfants de la plaine rochelaise rejoint l’armoire des « fautes à pas de chance ». Faute à pas de données, surtout.
La science citoyenne pour sauver les enfants
« Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas », clame la tribune signée par 80 organisations en 2022 pour exiger la fin des pesticides de synthèse. Le territoire de La Rochelle y est décrit comme un cas d’école, un symbole, une terre de lutte : l’étude épidémiologique pointe l’excès de risque, les études pointent les causes possibles mais rien n’est fait.
Avec la visibilité apportée par la tribune, des fonds abondent pour soutenir la démarche des parents d’ASE17. Désormais dotés de moyens, ils et elles décident de les convertir en ce qui leur manque le plus : des données épidémiologiques.
En février dernier, l’association lance le projet « Nos enfants exposés aux toxiques » ou « NEXXT ». Cette étude citoyenne vise à étudier la présence de traces de toxique chez les jeunes habitant·es de La Rochelle de 3 à 17 ans dans six communes. « Nous attendions 70 enfants, nous avons eu 110 volontaires », se réjouit le président de l’association. La cohorte qui manquait attend désormais les premiers prélèvements.
Si les traces de pesticides occupent le haut de la liste des cibles, ASE17 insiste sur l’objectif de la démarche : « nous voulons accompagner la transition agricole et industrielle, bosser avec les agriculteurs, martèle Franck Rinchet-Girollet. Il s’agit juste d’appliquer le principe de précaution : si un produit rend les gens malades, pourquoi ne le retire-t-on pas de notre environnement ? »