Épisode 3
7 minutes de lecture
Lundi 23 septembre 2019
par Louise BUYENS
Louise BUYENS
Louise Buyens est journaliste en presse écrite et radio. Elle a collaboré avec Radio France, Society, Boudu et Sud Ouest.  Ses sujets de prédilection sont la santé, l'environnement et tout ce qui touche aux grands phénomènes de société.

Une bataille contre les algues vertes se déroule depuis une dizaine d’années sur l’île de Ré. On les connaît surtout pour leur présence sur les côtes bretonnes mais elles pullulent désormais sur l’ensemble du littoral Atlantique. En Charente-Maritime, le phénomène se concentre sur la très touristique commune de La Flotte. Localement, les défenseurs de l’environnement dénoncent l’inaction face à un grave problème écologique.

Illustration : Manon Jousse

« Ça commence tôt cette année, ça n’augure rien de bon. » Début juin, Pierrick François a ramassé les premières algues vertes de la saison sur la plage de La Clavette, à La Flotte, une commune rétaise de moins de 3 000 habitants. « La fois où on a eu le plus d’algues, ça avait commencé exactement comme cette année. On peut s’attendre à de grosses perturbations », enchaîne le président de l’AEMA, l’Association des étangs et marais d’Ars-en-Ré. Mandatée par la mairie de La Flotte, elle nettoie les plages de la commune envahies par les laitues de mer chaque été depuis 12 ans.

Tout près de la plage de La Clavette, très touristique, les restaurateurs en sont les premières victimes, car leurs clients désertent à chaque fois que les algues deviennent odorantes. Au bout de trois jours, les végétaux échoués commencent à se décomposer et à dégager une odeur d’œuf pourri. Les ulves relâchent en fait de l’hydrogène sulfuré, du H2S, un gaz très toxique qui peut être mortel en cas de fortes inhalations. Le phénomène avait eu un certain écho à l’été 2009, lorsqu’un cheval est mort sur une plage des Côtes-d’Armor, en Bretagne, à cause d’algues vertes en décomposition.

À quelques encablures de la plage de la Clavette, Léon Gendre, le maire de La Flotte, me reçoit dans son bureau. Chaque été, il appréhende l’arrivée des algues. « Les restaurateurs m’appellent en hurlant. C’est très contraignant et stressant », déplore l’édile de droite (Les Républicains), à la tête de la mairie depuis 42 ans.

Une mouette vole au-dessus des bâteaux des côtes de La Flotte, sur l'île de Ré.
Les côtes de La Flotte, sur l’île de Ré – Photo : Mag Boiss

Pour se débarrasser du problème, aussi gênant pour les touristes que pour les habitants, il est prêt à débourser 60 000 euros en moyenne chaque année. Une enveloppe entièrement destinée à l’AEMA. En période estivale et tous les trois jours environ, l’association nettoie les zones touchées par les algues vertes à grand renfort de pelleteuses. L’opération peut durer jusqu’à sept heures pour une plage d’à peine un kilomètre de long.

L’agriculture intensive en cause

Un investissement de temps et d’argent qui met le maire en colère. Pour lui, les coupables sont les agriculteurs du Marais poitevin. Léon Gendre m’expose sa théorie : « Ils font pousser beaucoup de plantes céréalières et pour avoir toujours plus de rendements, ils utilisent beaucoup d’engrais. Ils en mettent souvent trop, ça s’écoule dans les fossés puis dans les rivières qui rejoignent la Sèvre Niortaise et comme son embouchure est située à environ 20 kilomètres de chez nous, les algues se retrouvent sur nos plages. Nous sommes des victimes. »

Pour en savoir plus et m’éclairer sur la théorie de l’édile, j’ai discuté avec Sylvain Ballu, chercheur au CEVA, le Centre d’étude et de valorisation des algues basé en Bretagne. « Les diagnostics qui ont été faits jusqu’à présent montrent que les nitrates d’origine agricole favorisent la prolifération d’algues vertes. »

Il n’y a pas de solution d’élimination ou de valorisation de ces algues et les règles de stockage ne sont pas respectées

L’agriculture intensive aurait donc bien une responsabilité. Les nitrates proviennent des engrais, essentiellement composés de phosphate et d’azote. Lorsqu’ils sont utilisés en grandes quantités et sous l’effet de la pluie, ces produits très solubles ruissellent jusqu’aux rivières qui rejoignent ensuite le littoral. Une fois dans l’océan, les nitrates chargés d’azote favorisent la prolifération d’algues vertes.

Sur la responsabilité directe des agriculteurs du Marais poitevin, en revanche, le chercheur est plus prudent : « Il est très difficile de savoir d’où les nutriments viennent réellement. Il faudrait faire des études très poussées en fonction des courants, des coefficients de marée et du vent. Pour l’instant, les études réalisées sur l’île de Ré montrent que la Loire, la Gironde et la Charente sont impliquées », explique Sylvain Ballu.

Des règles bafouées

Qu’importe le responsable, ce sont aux communes de traiter les algues vertes. Sur l’île de Ré, une fois ramassées sur les plages, elles sont déposées sur un champ communal, loin des habitants et touristes. Une réponse loin d’être satisfaisante pour Pierre Le Gall, membre de l’association Ré nature environnement. « Il n’y a pas de solution d’élimination ou de valorisation de ces algues et les règles de stockage ne sont pas respectées », déplore-t-il.

Pour me convaincre, il m’emmène sur le terrain utilisé depuis l’été dernier par la commune. Avant même d’arriver sur le site, une odeur d’œuf pourri envahit l’air. Nous entrons sans difficulté sur le terrain, le portail est grand ouvert et aucun panneau de signalisation n’indique au public de ne pas s’approcher. Pourtant, d’après les règles édictées par le CEVA, les lieux de stockage doivent être balisés et interdits au public en raison des gaz émanés et du risque sanitaire qu’ils peuvent engendrer.

Photo aérienne de la côte où sont visibles les algues vertes.
Photo aérienne : CEVA

Nous arrivons devant un tas d’algues fraîches déposées le matin même. Les laitues de mer gisent sur un sol non-étanche. Là encore, le CEVA recommande de « récupérer les jus et de les traiter. Sinon, ils génèrent une pollution secondaire ». « Ce n’est pas respecté, tous les jus toxiques s’infiltrent dans le sol, puis dans la nappe phréatique », colère Pierre Le Gall.

Si la concentration en hydrogène sulfuré n’est ici pas assez importante pour être mortelle, ces règles ne sont pas à prendre à la légère, assure Sylvain Ballu du CEVA : « Il ne faut pas nier le danger potentiel, il faut informer quand on a des tas pourrissants et il ne faut pas s’en approcher. »

L’environnement impacté

Si on résume, c’est à cause de l’agriculture intensive et des engrais qui se retrouvent dans l’eau que les algues vertes se multiplient dans l’océan et finissent par s’échouer sur les plages. Une fois entreposées sur le sol, elles rejettent des substances polluantes qui se retrouvent à nouveau dans l’océan.

Les défenseurs de l’environnement dénoncent un cercle vicieux et pointent de graves conséquences écologiques. Si les ulves sont aujourd’hui déposées sur un site qui bénéficie d’un arrêté préfectoral, cela n’a pas toujours été le cas. En septembre 2017 les associations Ré nature environnement et Nature environnement 17 ont porté plainte contre X après la découverte du stockage et de l’enfouissement d’algues vertes sur un site communal classé au titre de la protection de l’environnement. « Il y avait des tas d’algues vertes d’environ 1,50 mètre de hauteur et des trous dans le sol remplis d’algues », témoigne Pierre Le Gall.

Les algues vertes sur la côte atlantique.
Les algues recouvrent la côte — Photo : AEMA

Sur ce terrain, situé à quelques pas d’un camping, les stigmates de la présence des ulves sont encore visibles. Entourés par des grillages, deux bouts de terrain d’environ 1 000 mètres carrés chacun accueillent une végétation très différente du reste du site. « On trouve des betteraves maritimes à cause de la présence de sel dans le sol », remarque Pierre Le Gall, biologiste marin à la retraite. La présence des algues aurait-elle modifié l’écosystème du site ? Sylvain Ballu confirme : « Si vous mettez un gros paquet de matière organique sur une parcelle végétale, ce qu’il y a en dessous n’aura plus de lumière et va mourir. S’il y a des gros amas d’algues, il y aura trop de sel et avec la putréfaction, il y aura des émanations d’ammoniac. Tout ça bien sûr, ce n’est pas bon pour le milieu. »

Personne ne veut de ces algues

À ce jour, la plainte des deux associations rétaises n’a pas reçu de suites et aucune solution durable de traitement n’a été trouvée.

Jusqu’en 2017, les agriculteurs volontaires récupéraient les algues vertes pour les épandre dans leurs champs, souvent sur des cultures de pommes de terre. Mais en 2017, les agriculteurs ont fini par renoncer. « Quand on ramasse les algues, on laisse passer des petits galets et ils bloquent les machines à planter les pommes de terre », explique Pierrick François de l’AEMA.

Site de dépôt des algues vertes.
Le site de dépôt des algues — Photo : Louise Buyens

Construire un centre de traitement et de valorisation des algues sur l’île de Ré ? Cela fait longtemps que Léon Gendre, le maire de La Flotte, y songe, mais dès qu’on parle budget, il se retrouve isolé. « La communauté de communes ne veut rien donner, puisque les maires des autres communes n’ont pas d’algues chez eux, ils me disent de me démerder ! » s’emporte l’édile de 82 ans. « Si les trois quarts du littoral de Charente-Maritime ou des grosses agglomérations comme La Rochelle étaient touchés, on peut imaginer que ça bougerait davantage », abonde Pierrick François.

Une réunion a pourtant eu lieu l’été dernier entre la préfecture de Charente-Maritime, la communauté de communes de l’île de Ré et la commune de La Flotte pour tenter de trouver une solution. Officiellement, rien de concret n’est ressorti de cette réunion. Mais selon Pierre Le Gall de l’association Ré nature environnement, l’option choisie a été d’envoyer les algues, plusieurs fois par semaine, vers un centre de traitement à Agen, soit à plus de 300 kilomètres de l’île de Ré. « Je ne vous dis pas le bilan carbone », commente le bénévole.

La solution plus proche, la mairie de La Flotte pensait l’avoir trouvée en 2017 quand elle a tenté d’envoyer les algues vers le centre de compostage des déchets verts de Fontenet, en Charente-Maritime. Mais la commune a refusé de traiter les ulves rétaises, arguant qu’elle « n’a pas vocation à accueillir tout ce qu’on ne veut ni voir ni traiter sur le littoral».

Il va pourtant falloir trouver une solution, car sur la commune de La Flotte, comme sur l’ensemble du littoral atlantique, la présence des algues vertes risque de s’amplifier avec le temps et le dérèglement climatique. « On peut avoir plus de pluies donc des ruissellements plus importants et le réchauffement des eaux littorales va plutôt dans le sens d’une aggravation du phénomène », prédit Sylvain Ballu.

Louise BUYENS
Louise Buyens est journaliste en presse écrite et radio. Elle a collaboré avec Radio France, Society, Boudu et Sud Ouest.  Ses sujets de prédilection sont la santé, l'environnement et tout ce qui touche aux grands phénomènes de société.
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